REFLEXION. Lors de l'édition 2018 des Assises du Logement, l'architecte Francis Soler est revenu sur les conséquences de la loi Elan et sur l'initiative du collectif Ambition Logement. Pour l'urbaniste, le logement est un sujet qui mériterait d'être géré par un commissariat interministériel placé sous l'autorité du Premier ministre.

La première édition des Assises du Logement, organisées en novembre 2018 par Batiactu Groupe, a notamment été l'occasion de revenir sur l'adoption du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique - Elan. Ce texte ambitionne de "construire plus, mieux et moins cher", en simplifiant les normes et procédures de construction. Acclamée par les constructeurs et promoteurs immobiliers, la loi logement du Gouvernement Macron/Philippe a aussi mobilisé bon nombre d'opposants : le Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA), l'Union nationale des syndicats français d'architectes (UNSFA), le Syndicat de l'architecture, le Droit au Logement (DAL), APF France Handicap, la Confédération nationale du logement (CNL), Sites&Monuments, le Syndicat national du second-œuvre (SNSO), le Groupement pour l'insertion des handicapés physiques (GIHP), l'Union nationale des étudiants en architecture et paysage (UNEAP), et France Nature Environnement. Ces derniers se sont réunis en un collectif baptisé "Ambition Logement", pour défendre les intérêts, le rôle et la place du logement dans la ville de demain. L'architecte Francis Soler, membre du collectif, a pris la parole lors de l'évènement pour revenir sur les conséquences d'Elan et sur la vision (et les propositions) du logement portée par son groupe de réflexion.

 

 

"L'initiative Ambition Logement correspond à une de mes préoccupations d'architecte. Je me demandais ce que le logement pouvait devenir, dans un pays en crise sur ce sujet et qui réclame la construction de 500.000 logements chaque année."

 

"L'initiative Ambition Logement correspond à une de mes préoccupations d'architecte. Je me demandais ce que le logement pouvait devenir, dans un pays en crise sur ce sujet et qui réclame la construction de 500.000 logements chaque année", explique Francis Soler au début de son intervention à la conférence intitulée "Le logement, tendances et perspectives : qualité et confort, nouveaux usages et nouveaux services". L'architecte est revenu sur l'origine de sa participation au collectif, et sur le fil conducteur de celui-ci : "Quand j'ai croisé Dominique Boré [présidente de la Maison de l'architecture d'Ile-de-France, NDLR] en janvier 2017, elle m'a proposé d'inscrire mon action, commencée un an plus tôt, dans le cadre de la Maison de l'architecture. J'ai bien sûr tout de suite accepté, car cela donnait une visibilité à l'ensemble des recherches et travaux que je menais. On a monté une équipe de 6 architectes en se demandant comment rendre service au logement, et comment en faire une pièce essentielle."

 

Une loi "pas totalement conçue dans l'intérêt du logement"

 

Francis Soler rejoint d'ailleurs l'idée, formulée plus tôt lors de cette conférence par Christian de Portzamparc, selon laquelle le logement doit s'inscrire dans une réflexion urbaine globale : "Le logement, c'est quand même 80% de la ville. Il constitue un secteur d'activité important, et c'est là où l'individu habite. Tout cela s'organise dans un espace urbain." Et l'architecte de regretter la méthodologie adoptée par le Gouvernement lors de l'élaboration de la loi Elan, ainsi que les conséquences du texte : "Pendant la préparation de la loi Elan, nous sommes allés à la rencontre de l'Elysée, des ministères, des parlementaires... Mais tout ce que l'on a pu dire n'a servi strictement à rien. De toute façon, on sait ce qu'il y a derrière cette loi : elle n'a pas été totalement conçue dans l'intérêt du développement du logement. Elle a supprimé les concours d'architecture, pensant que ce serait un gain de temps. Mais la suppression des concours supprime en fait les appels à idées, c'est-à-dire qu'on est désormais sur une préoccupation essentiellement foncière et financière, avant d'être celle du projet. Or la question de la ville, du projet, du logement, doit être posée avant que les industriels, la dimension financière, ne s'installent sur le projet. On doit parler des hommes, des échanges, du social, avant de parler du système économique mis en place."

 

"La suppression des concours supprime en fait les appels à idées, c'est-à-dire qu'on est désormais sur une préoccupation essentiellement foncière et financière, avant d'être celle du projet. Or la question de la ville, du projet, du logement, doit être posée avant que les industriels, la dimension financière, ne s'installent sur le projet. On doit parler des hommes, des échanges, du social, avant de parler du système économique mis en place."

 

Déclarer le logement d'intérêt général et public

 

Pour autant, le collectif Ambition Logement a redoublé d'efforts en proposant une salve de mesures à l'exécutif, de manière à faire du logement une cause nationale prioritaire, et de consacrer les ressources publiques nécessaires pour résorber la crise que connaît le secteur. "On a proposé de déclarer le logement d'intérêt général, d'intérêt public", poursuit Francis Soler. "Notre idée était de travailler de manière transversale, en réunissant les architectes, les ministères de la Culture, de la Cohésion des territoires, de l'Economie, de la Transition écologique et solidaire... Toutes ces structures pourraient être rassemblées dans un commissariat au logement, sorte d'établissement public regroupant tous les ministères concernés au sein d'un même processus décisionnel. Cette structure pourrait être placée sous l'autorité du Premier ministre, comme c'est le cas pour beaucoup de missions et d'établissements interministériels."

 

"Notre idée était de travailler de manière transversale, en réunissant les architectes, les ministères de la Culture, de la Cohésion des territoires, de l'Economie, de la Transition écologique et solidaire..."

 

La conception-réalisation dans le viseur

 

Dans le détail des propositions du collectif, le pilotage du dossier à l'échelle nationale occupe une place prépondérante : "La gouvernance pourrait être assurée par le commissariat dont j'ai déjà parlé, couplé à sept unités territoriales, car on ne construit pas des logements de la même manière selon la région et la ville". Pour le reste, Ambition Logement a également demandé d'orienter le logement vers l'usufruit, en distinguant clairement la nue-propriété de l'usufruit. La réforme de la procédure du permis de construire, ainsi que l'encadrement des recours et des dérogations faisaient partie des autres mesures préconisées par les contestataires d'Elan. Sur certains points, ces derniers ont d'ailleurs obtenu gain de cause dans le texte adopté par les parlementaires.

 

 

"Nous avons aussi demandé de reconsidérer la surface habitable, en remplaçant la notion de surface par celle de volume", poursuit Francis Soler. "Surtout, et c'est mon cheval de bataille, il faut circonscrire les opérations de conception-réalisation. Je considère qu'il y a ici un vrai sujet, et c'est une catastrophe pour l'architecture. Les choses ne se font plus dans le bon sens : on n'a plus d'appels à projets ou à idées qui deviennent ensuite des projets de construction ; maintenant, tout se fait à l'envers. Sans transversalité, on n'améliorera pas le domaine du logement en France si on ne peut pas prendre en considération tous ces éléments."

 

"Il faut circonscrire les opérations de conception-réalisation. Les choses ne se font plus dans le bon sens : on n'a plus d'appels à projets ou à idées qui deviennent ensuite des projets de construction ; maintenant, tout se fait à l'envers."

 

Focus sur les logements sociaux livrés Porte d'Auteuil

 

Pour illustrer son propos et les propositions portées par Ambition Logement, Francis Soler s'est appuyé sur le projet de logements sociaux de la Porte d'Auteuil : 176 appartements, de 33 à 98 m², répartis dans deux bâtiments, ont été livrés en décembre 2016 dans le XVIe arrondissement de Paris. Aux manettes : Anne Demians, Finn Geipel, Rudy Ricciotti et Francis Soler. "C'est un projet qui a été fait dans le bon sens : on n'est pas d'abord parti de la sphère de la construction pour arriver ensuite au choix de l'architecte et du projet", insiste ce dernier. "Du point de vue de l'architecture du logement, on défend tous les 4 la fabrication d'un morceau de ville cohérent, où les écritures architecturales sont cependant différentes. On a mis en place des systèmes de structures, de châssis, de colorations qui ont permis d'avoir une communauté de matérialité, garantissant à la ville une grande homogénéité de son quartier." En conclusion, l'urbaniste souligne que la responsabilité et la créativité de chacun doivent être assumées au sein d'un projet : "Si on veut favoriser la qualité du logement, il faut que toutes les énergies et tous les acteurs répondent présents, du maître d'ouvrage jusqu'à l'entreprise de construction, et que chacun soit à sa place."

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