FORMATION. L'apprentissage, qui parvenait enfin à démarrer en France en comptant environ 490.000 alternants à la fin 2019, risque de faire les frais de la crise du Covid-19. Pour le président de WorldSkills France, Armel Le Compagnon, l'enjeu est de faire monter en compétences les étudiants tout en les accompagnant.

Tout allait plutôt bien, mais la pandémie de coronavirus est passée par là. Comme dans bien d'autres domaines, la crise économique et sociale engendrée par le Covid-19 menace la formation professionnelle, particulièrement dans le bâtiment. Et ce alors qu'on observait enfin un décollage de l'apprentissage en France, avec environ 490.000 alternants recensés à la fin 2019. Un chiffre qui s'inscrivait sur une courbe de progression encourageante et qui laissait présager d'autres bonnes années, mais que va-t-il se passer maintenant ? "La crise est arrivée, elle a joué comme un frein sur les centres de formations qui ont dû modifier leurs cours, en intégrant par exemple de la visioconférence", analyse le président de WorldSkills France - Cofom (Comité d'organisation des Olympiades des métiers), Armel Le Compagnon. "En conséquence, ceux qui n'étaient pas en fin de stage vont pouvoir rattraper largement ce dysfonctionnement. Mais ce sera plus compliqué pour ceux qui sont en fin de formation." Les Centres de formation des apprentis (CFA) ont aussi dû gérer le problème des décrochages scolaires, toutefois qualifié "d'épiphénomène" par Armel Le Compagnon, qui précise que les équipes pédagogiques ont su s'adapter pour maintenir le contact.

 

 

Alors que la seconde phase du déconfinement s'est amorcée ce 2 juin et que la relance s'effectue lentement mais sûrement, beaucoup d'acteurs économiques s'attendent malgré tout à des licenciements et à une mise de côté des apprentis arrivant sur le marché du travail. "Je ne suis pas certain que ce soit si catastrophique qu'annoncé. Il y a des secteurs sous tension, qui ont des besoins de main-d'œuvre, comme le BTP. Nous restons vigilants mais plutôt confiants", tempère Armel Le Compagnon. L'organisation WorldSkills France, qui se présente comme un "outil" mis à disposition des différentes branches d'activité de la formation professionnelle, mise ainsi sur toujours plus d'accompagnement des jeunes en apprentissage, avec même l'objectif de faire de l'Hexagone l'un des cinq pays où la formation professionnelle serait la mieux enseignée. Dans le BTP, les acteurs veulent continuer à suivre au plus près les nombreuses évolutions technologiques, du BIM à la transition énergétique en passant par les économies d'énergies, pour mieux former les futurs salariés du secteur.

 


L'apprentissage en France en 2019

 

L'organisation professionnelle Evolis, issue du regroupement du Cisma et de Profluid, deux syndicats dédiés aux équipements pour la construction et les infrastructures, aux matériels fluidiques, ainsi qu'aux équipements de manutention et de sidérurgie, fournit quelques chiffres-clés sur l'état de l'apprentissage en France : on apprend ainsi que le nombre d'apprentis s'élevait à 491.000 au 31 décembre 2019, ce qui représente une progression de 16% par rapport au niveau de 2018. Sur l'année dernière, 368.000 contrats d'apprentissage ont été signés, tous secteurs d'activité confondus.

 


Finales mondiales de WorldSkills 2019, plomberie
L'équipe française lors de l'édition 2019 des finales mondiales de WorldSkills, catégorie plomberie-chauffage, à Kazan (Russie). © WorldSkills France

 


Des métiers toujours sous tension

 

"Le BTP est une activité en bonne voie mais l'automne risque d'être difficile", prévient cependant le président de WorldSkills France, rejoignant ainsi l'analyse d'un grand nombre d'artisans à l'échelle nationale. "Il y a ce problème des surcoûts de chantiers, mais ça ne veut pas forcément dire qu'il y aura aussi un impact sur l'emploi des jeunes, ceci pour trois raisons : il faut rattraper le retard accumulé ; des métiers sont en tension et ont donc besoin de main-d'œuvre ; et il y aura toujours des départs à la retraite à compenser." Les entreprises devraient donc toujours avoir besoin d'embaucher des jeunes pour renforcer leurs équipes, mais le système d'apprentissage est appelé à évoluer rapidement sur le plan des compétences et des qualifications. La promotion des savoir-faire locaux et la prise de conscience sur les compétences pourraient permettre de "donner un espoir aux jeunes pour trouver de l'emploi et des entreprises en France, afin de répondre aux besoins de l'économie nationale".

 

"Il y a ce problème des surcoûts de chantiers, mais ça ne veut pas forcément dire qu'il y aura aussi un impact sur l'emploi des jeunes, ceci pour trois raisons : il faut rattraper le retard accumulé ; des métiers sont en tension et ont donc besoin de main-d'œuvre ; et il y aura toujours des départs à la retraite à compenser."

 

Mais incontestablement, les étudiants ont découvert durant cette période de confinement sanitaire l'utilité des outils digitaux, ce qui engendre aujourd'hui "un bouleversement important dans la manière d'enseigner", d'autant qu'il est plus que probable que ces technologies soient amenées à se développer encore. Pour autant, est-il toujours possible de concilier métiers du bâtiment et numérique ? Il semblerait que oui, d'après Armel Le Compagnon, qui prend l'exemple du métier de tailleur de pierres : "C'est un des métiers les plus 'anciens' dispensés dans les centres de formations, qui ne subit que peu de changements. Et pourtant il y a un décalage entre les besoins des entreprises, qui peuvent aujourd'hui utiliser des robots, et l'enseignement du métier, où l'on pratique à la main." Cet exemple a motivé WorldSkills France à "réintégrer" cette profession pour en faire "une vitrine" du savoir-faire français, un référentiel étant même en préparation au niveau international. "Il est possible de valoriser ce métier grâce aux nouvelles technologies", insiste son président.

 

Prochaines finales françaises de WorldSkills à la mi-décembre

 

Car c'est bien l'un des principaux enjeux de la formation professionnelle : l'évolution des compétences acquises par les jeunes, actuellement en décalage avec les besoins réels des entreprises. "Tous les centres ne sont pas au niveau", poursuit Armel Le Compagnon. "L'apprentissage doit permettre d'entrer dans la filière avec de la visibilité, de proposer aux jeunes de prendre l'ascenseur social." Pour ce faire, l'une des missions de WorldSkills France est d'entraîner les équipes d'apprentis durant deux ans, laps de temps qui sépare les finales nationales des finales mondiales organisées par le groupe, avec à la clé "un gain de 10 ans" d'expérience. Alors que cette dynamique est en réflexion dans les CFA, les prochaines finales françaises, elles, devraient se tenir du 15 au 17 décembre 2020 à Lyon, et présenter entre 60 à 70 métiers. Et le président de l'organisation de conclure : "Si on veut que le pays se relève de la crise, il faut qu'on redynamise la formation professionnelle et qu'on accompagne nos jeunes".

 

 


Les propositions des entreprises de proximité pour relancer l'apprentissage après le confinement

 

La relance de l'apprentissage constitue un sujet d'inquiétude, parmi tant d'autres, des professionnels de la construction. "La pandémie et ses effets dévastateurs sur l'économie vont malheureusement impacter l'apprentissage qui était en progression depuis deux années", estime l'Union des entreprises de proximité (U2P) dans un communiqué. Afin d'éviter une situation catastrophique tant du côté des apprentis, qui risquent de ne pas trouver d'emploi, que du côté des entreprises, qui ne pourraient pas renouveler leurs compétences, l'organisation patronale propose une série de "mesures d'urgence" en faveur de l'apprentissage :

 

- Créer une aide exceptionnelle d'un an pour les entreprises de moins de 20 salariés, afin que le contrat d'apprentissage représente un "coût zéro" pour l'entreprise, quel que soit le niveau préparé, tout en maintenant le salaire de l'apprenti ;
- Renforcer l'aide unique accordée aux entreprises de moins de 50 salariés, en élargissant la mesure aux apprentis de niveau supérieur au Bac ;
- Accorder un délai d'un an (au lieu de six mois actuellement) maximum entre l'entrée en CFA et la formation pratique en entreprise pour faire face à une probable baisse conjoncturelle des signatures de contrats d'apprentissage, en prévoyant une prise en charge par les Opérateurs de compétences (Opco) dès l'entrée en CFA ;
- Réévaluer les coûts-contrats pour compenser les charges supplémentaires supportées par les CFA pour la mise en œuvre des règles de sécurité sanitaire ;
- Développer et soutenir financièrement la formation à distance dans les CFA ;
- Favoriser les entrées en apprentissage tout au long de l'année et renforcer les actions de pré-apprentissage, conformément à la loi Avenir professionnel ;
- Organiser une vaste campagne de communication afin de promouvoir l'apprentissage.

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