RENOUVELABLES. Il s'agit d'une énergie locale, de récupération ou d'origine renouvelable, qui est économiquement compétitive face aux sources fossiles. Cependant, la chaleur (et le froid) renouvelable ne serait pas assez mise en valeur dans le mix français. Des spécialistes, réunis à Nantes pour le congrès de la Fedene, ont évoqué des exemples réussis de réseaux largement décarbonés.

La chaleur renouvelable représente près de la moitié de toute l'énergie finale consommée en France. Si elle provient encore largement de sources fossiles (à 40 % du gaz, 16 % du pétrole et 5 % du charbon), cette chaleur a entamé sa révolution il y a quelques années. Et sa décarbonation est bien avancée, puisque les renouvelables et énergies de récupération représentent 21 % de la production de chaleur (biomasse en tête) et l'électricité, elle aussi faiblement chargée en CO2 dans l'Hexagone, en fournit 18 %. Il s'agit donc d'un "pilier de la transition", comme l'affirme Serge Nocodie, vice-président de l'association Amorce. Il explique : "La chaleur renouvelable est une énergie locale, renouvelable, compétitive, qui contribue à réduire les énergies fossiles. C'est donc une bonne solution pour l'économie. D'autant que les réseaux de chaleur maintiennent des tarifs abordables pour les usagers". Les cours du bois, par exemple, se montrent plus stables et maîtrisés que ceux du gaz ou du pétrole, soumis aux aléas internationaux. Malgré ces avantages, seuls 2,4 millions d'équivalents logements seraient aujourd'hui reliés à un réseau en France, qui s'étirent en tout sur 5.400 km. Les spécialistes du secteur mettent en avant le nombre d'emplois générés : 12.800 postes directs et indirects dont 80 % sont liés au fonctionnement des réseaux, pour un chiffre d'affaires de 2,2 Mrds €.

 

 

Des réseaux historiques qui vivent et croissent

 

A Nantes, par exemple, sept réseaux dont deux privés couvrent une grande partie de la ville, avec 109 km de canalisations. Plus de 30.000 équivalents logements sont raccordés ainsi que de nombreux bâtiments publics, pour un total de 325 GWh délivrés. Philippe Weisz, de la Métropole de Nantes, raconte : "Deux réseaux ont été créés entre 1968 et 1970. Initialement alimentés au fioul puis au gaz, ils se sont convertis à l'incinération des déchets depuis le milieu des années 1980. Dès 2008, un petit réseau de chaleur alimenté au bois est créé. Et depuis 2010, les réseaux historiques ont été grandement étendus". Biomasse et déchets fournissent l'essentiel des calories, et amènent le taux de couverture par des EnR à 67 %. Un chiffre déjà élevé qui ne satisfait pas encore les décideurs qui visent une cible de 75 %. De l'autre côté du territoire, à Chambéry, là aussi c'est un réseau historique qui alimente en chaleur les habitants. Plus compact que son homologue nantais, le réseau savoyard délivre annuellement 267 GWh. Et lui aussi valorise d'abord des ressources locales, biomasse en tête (35 %) et déchets (28 %), avant de brûler du gaz (23 %).

 

Stocker de la chaleur, la nouvelle bonne idée

 

Les réseaux de chaleur ne se montrent pas performants que pour des grandes agglomérations de plusieurs centaines de milliers d'âmes. A Châteaubriant, petite ville de 13.000 habitants, les bénéfices sont les mêmes. Le réseau local, qui mesure 10 km, parvient à fournir 21 GWh de chaleur chaque année. Chaudière biomasse et chaufferies gaz ont été récemment complétés par une solution originale : une centrale solaire thermique, installée sur le terrain d'une ancienne décharge. Dominique Egret, chargé du projet à la municipalité, dévoile : "Les capteurs solaires thermiques apportent 900 MWh sur la boucle retour. Nous avons mis en place une garantie de résultats impliquant le maître d'œuvre (Tecsol), l'installateur des panneaux et l'exploitant (Engie-Cofely), qui prévoit une pénalité de 140 €/MWh non injecté". Une façon d'assurer la rentabilité du projet qui a nécessité l'investissement de 1,5 M€ HT, provenant à 70 % de subventions du Fonds Chaleur de l'Ademe. La centrale solaire de 2.400 m² se double d'un stockage local, sous la forme de cinq réservoirs d'eau chaude de 50 m3 chacun. Cette idée de stockage de chaleur a également fait son chemin à Brest, où le réseau de chaleur de 50 km, alimenté par sept sites de production différents (déchets, biomasse et gaz), s'est récemment doté d'un grand réservoir à pression atmosphérique. Installé dans l'enceinte de l'université, ce grand cylindre à double peau métallique contient 1.000 m3 d'eau à 90 °C, correspondants à 17 MWh de chaleur. "Un élément novateur, intégré entre les productions de base et les utilisateurs finaux, dans une position intermédiaire", explique Yvan Bardin, d'Ecochaleur de Brest. L'équipement permet d'optimiser la couverture par des renouvelables en "flexibilisant" le fonctionnement de la chaufferie biomasse. Selon le spécialiste, ce sont 2.500 MWh par an (sur 160 GWh délivrés) qui transitent par ce stockage et qui évitent l'émission de 12.700 tonnes de CO2 par un moindre recours au gaz.

 

 

Thierry Franck de Préaumont, le président du Syndicat national du chauffage urbain (SNCU), salue "les progrès fulgurants du mix énergétique et l'effondrement des émissions de gaz carbonique". "Un bouleversement très important", selon lui, qui observe à la fois des transformations technologiques mais également des innovations contractuelles et financières. "L'abaissement des températures et des pressions amènent à des systèmes plus efficaces, avec des convergences entre les énergies qui ont davantage d'interactions entre elles", analyse-t-il. Le responsable du SNCU ajoute : "Nous passons d'un monde de gros opérateurs à un monde de production et consommation locales, porté par des énergies vertes. L'innovation financière se traduit par un rapprochement des usagers grâce au financement participatif". Le secteur deviendrait in fine, plus transactionnel, avec un équilibrage des productions et des consommations. Une tendance qui nécessitera d'abord un inventaire précis des énergies disponibles sur un territoire ainsi que des outils efficaces de prévision.

 

Mais quel sera l'avenir de ces réseaux de chaleur en France où le taux de pénétration est actuellement de 5 % là où le Danemark affiche 70 % ? La marge de progrès est importante pour les observateurs optimistes, qui soulignent que le pays dispose de toutes les ressources et compétences nécessaires. D'autres rappellent que la PPE et le projet de loi "Energie & Climat" ne mettent pas suffisamment l'accent sur chaleur et froid renouvelables et que le développement coûteux des infrastructures nécessite toujours des aides publiques, comme la TVA à taux réduit (applicable aux réseaux les plus vertueux) et le Fonds Chaleur, dont l'augmentation de 100 M€ est prévue, mais dont le doublement n'est plus à l'ordre du jour. Les experts de la filière espèrent que la future RE 2020 tiendra mieux compte de l'intérêt des réseaux pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.

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