ANALYSE. A l'occasion de sa 30e assemblée générale, le Plan Bâtiment Durable - qui fêtera ses 10 ans en 2019 - fait une rétrospective sur les dernières actualités marquantes du secteur de la construction. Philippe Pelletier et son équipe décryptent les annonces liées à la rénovation énergétique et à la réécriture du code, annonçant de multiples concertations.

"Il s'est passé plein de choses depuis notre dernière assemblée à Paris, qui s'est tenue en juillet dernier", s'exclame Philippe Pelletier, animateur du Plan Bâtiment Durable, en ouverture de la 30e assemblée générale, ce lundi 10 décembre 2018. Et notamment l'annonce conjointe de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), désormais réunies sous le vocable de "Stratégie Française pour l'énergie et le climat". "Les sujets énergie et carbone, se retrouvent autour de la stratégie des bâtiments durables à faible empreinte environnementale", note-t-il. La France, qui prend des engagements multisectoriels, a donc annoncé diverses mesures que détaille Anne-Lise Deloron, directrice adjointe du Plan : "Pour la PPE, il faudra remplacer un million de chaudières au fioul dans les 10 ans, et rénover 500.000 logements par an, dont la moitié occupée par des ménages modestes. Le CITE sera élargi aux équipements EnR en 2019 et aux propriétaires-bailleurs en 2020, et l'audit énergétique sera financé à 100 % pour les plus précaires et sera rendu obligatoire lors des mutations. Quant à la Réglementation environnementale 2020, elle intègrera l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre sur tout le cycle de vie d'un bâtiment". Des points comme une meilleure utilisation des biomatériaux et une prise en compte de l'économie circulaire ne seront pas omis. Elle poursuit l'analyse, en se penchant sur le volet SNBC : "La France vise la neutralité en 2050 et organise les budgets carbone des différents secteurs économiques. Or, tous ceux qui ont été mis en place par le passé ont été dépassés les années précédentes, pour les transports ou le bâtiment notamment. L'ambition pour le parc est de parvenir à 100 % au niveau BBC Rénovation en 2050, avec un rythme de rénovation confirmé pour la période 2015-2030, qui augmentera ensuite entre 2030 et 2050. Pour le parc tertiaire en particulier, priorité sera donnée au parc de l'Etat". Sur le couple PPE-SNBC, elle résume : "Il est cohérent et complémentaire".

 

 

Passer à l'action pour la rénovation des logements

 

Précisément sur la question de la rénovation énergétique des bâtiments, Philippe Pelletier intervient : "Il a donné lieu à une très large concertation nationale, avec des priorités claires, des objectifs et des moyens. Le temps est venu de le mettre en œuvre. François de Rugy a annoncé vouloir de nouveau rassembler les acteurs du bâtiment ; le moment n'est plus venu de faire cette concertation mais d'agir !". Le président du Plan Bâtiment Durable concède que des réunions pourraient être nécessaires sur certains points techniques précis, afin d'agir au plus juste. Mais il reste ferme : "Je trouverais dommage de prendre du retard quand il y a urgence à passer à l'acte et apporter des réponses concrètes aux Français. La lutte contre la précarité est la première mission du Plan Bâtiment Durable". L'avocat souligne l'extrême fragilité de certaines catégories de ménages, en zone péri-urbaine ou rurale, occupant des pavillons mal ou pas isolés : "Il faut hâter le pas et déployer une action massive". Lui qui a dirigé l'Anah pendant plusieurs années se déclare satisfait de voir les moyens de cette agence sécurisés pour les années à venir, jusqu'à la fin du quinquennat, ce qui permettra bien de rénover 75.000 logements par an. Mais il reste circonspect face à l'ouverture du champ de la rénovation à l'initiative privée pour un volume équivalent : "Ce deuxième pan n'est pas du tout consolidé".

 

Jérôme Gatier, le directeur du Plan, décortique les résultats de l'enquête "Trémi" publiés récemment par l'Ademe : "Il ne faut pas en tirer des conséquences statistiques pour l'ensemble du parc puisque cette enquête ne concerne que des maisons privées". Pour lui, les réponses apportées par les personnes sondées, montrent que la motivation pour lancer des travaux de rénovation est bien liée à la notion de confort, devant la volonté de réduire ses factures énergétiques, confortant par-là l'axe choisi pour la campagne de communication "Faire". "Beaucoup de travaux ont été lancés entre 2014 et 2016, avec 5 millions de ménages, mais seule une petite partie a un impact énergétique (25 %) car les autres n'ont tout simplement pas considéré cet aspect". D'autant qu'il existe un décalage entre l'impression des particuliers d'avoir procédé à une rénovation et la réalité des performances obtenues : "Les gens croient avoir rénové énergétiquement leur bien. Ils n'ont pas assez de conseils", note-t-il.

 

Décret tertiaire en vue !

 

Ainsi, la campagne "Faire", qui s'adresse d'abord aux particuliers, devrait également contribuer à mettre en ordre les marques de qualité, labels et certifications sous une signature commune unique. Le Plan Bâtiment Durable travaille actuellement à l'élaboration d'une charte pour tous les acteurs impliqués et formés, avec les fédérations professionnelles, les énergéticiens, industriels, négoces et organismes certificateurs, pour parvenir à des engagements sectoriels au début de 2019. Philippe Pelletier regrette notamment le report à 2025 du carnet numérique du bâtiment et souhaite proposer aux pouvoirs publics qu'une région-pilote teste ce dispositif avant cette date éloignée. Sur l'obligation de rénovation pour mettre un bien en location, Anne-Lise Deloron, répond : "Le secteur locatif privé totalise 6,5 millions de logements. Le Plan Bâtiment Durable va lancer une concertation spécifique pour accompagner les bailleurs-privés et les locataires. Un groupe de travail sera mis sur pied". Parmi les pistes envisagées, la directrice adjointe du Plan, évoque une modulation possible des taxes locales pour les propriétaires ayant engagés des travaux, à l'image de ce que Reims et Colombes proposent. "C'est une piste. Il y en a d'autres", assure-t-elle. Sur l'évolution attendue du Diagnostic de performance énergétique (DPE), Jérôme Gatier explique : "Ce qui est prévu dans la loi Elan, c'est que l'opposabilité soit introduite en janvier 2021. Le DPE ne sera alors plus purement informatif, ce qui suppose une amélioration et une fiabilisation de l'outil lui-même, de sa méthode de calcul, et des compétences des professionnels qui le mettent en œuvre". Le Plan Bâtiment Durable vise plusieurs professions : architectes formés, bureaux d'études qualifiés (Opqibi) et entreprises certifiées Qualibat. Là encore, une concertation doit être lancée dans les jours qui viennent, afin que tous ces professionnels se prononcent sur les améliorations à apporter et les difficultés à lever, avant que des groupes de travail ne soient mis sur pied pour travailler à des propositions.

 

Autre cheval de bataille du Plan animé par Philippe Pelletier, le décret tertiaire, portant sur la rénovation du parc des immeubles de bureaux. Le principal intéressé relate : "Il est en cours d'écriture, puisque la loi Elan a reposé les bases d'un fondement légal pour que le décret se déploie. Il fera l'impasse sur la période 2020, jugée trop proche, mais comportera des périodes 2030, 2040 et 2050 avec des progrès à réaliser à chaque marche". Sur le calendrier de publication de ce nouveau texte, il est prévu qu'il entre en vigueur au maximum une année après la promulgation de la loi, soit novembre 2019. Jérôme Gatier signale que des relais seront à trouver dans les territoires, à l'image des Espaces Info Energie qui sont eux destinés à répondre aux questions des particuliers sur la rénovation, afin d'accompagner à ce vaste mouvement de rénovation du parc tertiaire.

 

 

Du "permis de faire" à "l'obligation de résultats"

 

Sur la loi Essoc enfin, l'avocat décode : "La première ordonnance a été publiée à la fin du mois d'octobre. Elle autorise une dérogation à un certain nombre de règles de la construction pour parvenir à des résultats équivalents. Cette possibilité d'innovation, d'abord connue sous le nom de 'permis de faire', n'est plus réservée à certains acteurs. Elle est plus large pour la maîtrise d'ouvrage et dans le champ de ses applications : sécurité, aération, accessibilité, performance énergétiques, acoustique, prévention sismique, matériaux et réemploi, lutte contre les xylophages…". Philippe Pelletier insiste sur l'encadrement nécessaire à ces expérimentations, qui sera assuré par un pôle administratif et professionnel afin de vérifier les effets positifs du texte et que les dérogations ne soient pas débridées, "au risque de fragiliser les opérations de construction". La seconde ordonnance de la loi Essoc devra, quant à elle, être finalisée pour l'été 2019. "Elle a pour ambition la réécriture du livre 1 du code de la construction", résume le président du Plan Bâtiment Durable. "Une mise à plat des textes avec pour idée de substituer une obligation de moyens par une obligation de résultats. Ce qui est un renversement des valeurs", conclut-il. Des dispositifs successifs qui permettront, selon l'adepte du "droit souple", de libérer l'innovation dans le secteur de la construction mais de façon responsable.

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