ENTRETIEN. Elu le 26 octobre à la présidence de l'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa), qui compte 1.250 adhérents, Jean-Michel Woulkoff prendra ses fonctions le 1er janvier 2020. Il détaille ses priorités dans un entretien à Batiactu.

Vous deviendrez président de l'Unsfa le 1er janvier 2020. Quels seront les principaux chantiers de votre mandature ?

 

 

Il faut faire prendre conscience aux architectes de l'intérêt que représente l'Unsfa. Il existe en France 20.000 agences et 30.000 architectes. La profession étant assez atomisée, il est nécessaire de se fédérer, d'adhérer, pour pouvoir agir. Par exemple, en début de semaine, un collectif d'architectes et un collectif d'ingénieurs ont publié chacun une tribune en faveur du climat. Je trouve ces initiatives pertinentes, nous allons prendre contact avec ces collectifs afin que nous coordonnions nos actions dans ce domaine.

 

Je poursuivrai par ailleurs les discussions que mon prédécesseur, Régis Chaumont, a engagées depuis un an et demi avec les ministères de la Culture, de la Cohésion des territoires et de la Transition écologique, dans le but de créer une commission interministérielle dédiée à l'architecture, au-delà de notre rattachement à la Culture, notre ministère de tutelle. En effet, notre travail concerne à la fois le logement, la culture et le développement durable.

 

La rénovation énergétique, la préservation du patrimoine constituent d'autres grands dossiers. Il s'agit des grands enjeux de la décennie à venir, illustrés, par exemple, par le programme Action Cœur de Ville, qui fournit l'occasion de revitaliser 222 centres-villes, tout un patrimoine, et de développer une mixité sociale et d'usage. La rénovation est un grand chantier, qui s'adresse à toutes les agences d'architectes, indépendamment de leur taille, car elle concerne aussi bien le marché des copropriétés que celui des particuliers. Et l'architecte apporte une solution globale de rénovation énergétique. Ces opérations vont au-delà des opérations de rénovation sponsorisées par des constructeurs de chaudières ou des installateurs d'isolation.

Cette solution globale questionne la mission de l'architecte, parfois remise en cause…

Nous travaillerons beaucoup à ce que les architectes aient la mission complète sur leurs opérations. L'architecte n'est pas qu'un faiseur de permis de construire. L'architecte est un apporteur de solutions, comme l'avait dit le ministre de la Culture Franck Riester, c'est celui qui poursuit le dialogue avec la maîtrise d'ouvrage tout au long du chantier pour mener une opération à son terme. Cela apporte également une transparence totale dans les appels d'offre et l'assurance que l'opération réalisée est fidèle au projet conçu. L'architecte joue aussi son rôle dans le circuit court et le développement durable, en évitant le recours à outrance à la sous-traitance, il veille aussi au maintien de l'équilibre social du territoire.

Quel regard portez-vous sur le projet de loi Energie et Climat, qui consacre un volet à la rénovation des logements mal isolés ?

Il existe beaucoup de bonnes intentions dans le projet de loi Energie-Climat mais, à un moment donné, il faut que l'on entre dans l'opérationnel, que l'on codifie de bonnes pratiques. Dans le cadre du projet de réforme du crédit d'impôt pour la transition énergétique, je milite ainsi pour que la maîtrise d'œuvre soit intégrée dans le dispositif, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Un rapport de l'Inspection Générale des Finances préconise de ne pas reconduire le prêt à taux zéro dans le neuf, et des amendements favorables au retour de l'APL Accession viennent d'être rejetés à l'Assemblée nationale. Comment réagissez-vous à ces mesures défavorables à l'accession à la propriété ?

Ce qui m'inquiète, c'est la chute de près de 6% du nombre de permis de construire [d'octobre 2018 à septembre 2019 ; Ndlr] évoquée par le président de la Fédération française du bâtiment, Jacques Chanut. Si tel est bien le cas, l'ensemble de la filière construction va souffrir en 2020. Car qui dit recul du nombre de permis de construire dit baisse de l'activité des agences d'architectes. L'attentisme lié aux élections municipales n'arrange rien, c'est un drame en France, on ne fait rien six mois avant et rien non plus six mois après. Cette diminution de l'offre entraîne un gonflement artificiel des prix. Nos politiques doivent avoir une vision de plus long terme sur la production de logements et, au-delà, sur les aides à la rénovation énergétique.

Quelles sont vos pistes de réflexion sur la formation initiale des architectes ?

Concernant l'annonce faite par le ministre de créer le portail France Architecture, il faut désormais entrer dans une phase opérationnelle. Les plateformes de ce type sont importantes, mais l'Unsfa doit être intégrée aux réflexions, notamment sur la sécurisation de nos données sur la ville. Nous travaillons tous avec des logiciels de conception assistée par ordinateur (CAO), nous sommes dans le BIM et nous nous posons la question de la propriété de la maquette numérique, et nous voulons être sûrs que les éléments de conception apportés par l'architecte ne deviennent pas la propriété des éditeurs de logiciels.

 

Il y a également une réflexion sur l'exercice de la profession. Il serait bien qu'après la formation initiale, dans le cadre de la licence d'exercice, que l'habilitation à exercer la maîtrise d'œuvre en son nom propre (HMONP) soit plus en phase avec la durée de vie d'un projet, de sa conception à son exécution, qui dure couramment de deux à quatre ans. Pour que l'architecte ait cette vision globale du métier, et participer à la vie d'un chantier, il faut qu'il puisse poursuivre sa formation en agence pendant environ deux ans, contre les six mois prévus à ce jour. La directrice chargée de l'architecture Agnès Vince nous a indiqué que des accords portant sur des contrats-cadres étaient en discussion entre les écoles d'architecture et le ministère, et nous souhaitons apporter notre pierre à l'édifice.

 

Quel est votre avis sur la polémique de la modernisation de la Gare du Nord ?

C'est un projet qui mêle ERP et développement commercial. La Commission nationale d'aménagement commercial a rendu un avis favorable au projet, estimant qu'il avait été bien évalué en commission départementale. Le maître d'ouvrage doit désormais entendre l'avis du comité d'experts désigné par la Ville de Paris, ce qui amènera peut-être à une évolution de la typologie des fonctions. Mais la SNCF, maître d'ouvrage, reste libre de faire ce qu'elle veut.

L'architecte Jean-Michel Wilmotte regrette d'ailleurs que les projets architecturaux soient de plus en plus choisis sur leur aspect financier…

Il est clair que nous assistons à une financiarisation de l'économie, où la logique de rentabilité domine de plus en plus. Pour autant, peut-on déroger à cette orientation que prend la société dans la consommation de masse ? cela explique probablement le fait que la SNCF cherche des financements notamment au travers de baux commerciaux, ce qui est critiqué dans le projet de la gare du Nord.

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