ARCHITECTURE. L'année 2022 sera marquée par la thématique de la santé dans l'architecture, choisie par l'Union internationale des architectes (UIA). Celle-ci appelle à plus d'inclusion et de bien-être dans la conception de bâtiments et des espaces publics pour favoriser la santé des habitants dans le monde.

Patrimoine, logement social, écoles… L'architecture joue un rôle majeur sur la santé des usagers. C'est pourquoi l'Union internationale des architectes (UIA) a choisi de désigner 2022 comme l'année de l'architecture pour la santé. L'initiative, soutenue par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a pour objectif de mettre en lumière l'architecture qui protège la santé des usagers. Pour illustrer cette thématique et donner des indications sur les mesures qui devraient être appliquées pour assurer la protection et la promotion de la santé, de nombreux experts ont discuté du rôle majeur qu'occupaient l'architecture et l'urbanisme, lors d'un webinaire le 4 février.

 

 

"Toutes nos interventions en tant qu'architecte devront se faire dans un environnement sain, pour un monde en bonne santé", exhorte le président de l'UIA, José Luis Cortés. "Tous les architectes du monde doivent participer à cet effort dans leurs conceptions, que cela soit dans la création d'une école, de bureaux ou d'une gare. En cette période de pandémie, les architectes doivent être résilients et améliorer la qualité de vie des usagers." Pour la directrice du département de l'Environnement à l'OMS, Maria Neira, le lien entre santé et aménagement urbain "est très fort". Elle appelle à concevoir des villes inclusives et interconnectées, qui permettent "un air de qualité", avec des transports durables et des bâtiments donnant accès à des espaces verts. "Mettre en œuvre une urbanisation saine fait partie des grandes transitions de demain, pour une économie durable et saine qui protège la santé de tous", estime-t-elle.

 

De l'importance de changer l'environnement bâti

 

À l'international, les défis sont multiples pour des grandes villes déjà implantées. En Californie, les habitants doivent faire face aux menaces du Covid-19 et à celles des feux de forêts. "Jamais je n'aurais pensé que ça deviendrait la réalité de mon quotidien lorsque j'étais étudiant", atteste Richard Jackson, professeur émérite de santé publique à l'UCLA (Université de Californie). Il a notamment travaillé avec le ministère de la Santé des États-Unis et des pédiatres à se débarrasser la présence de plomb dans l'environnement. "Avant, on mettait du plomb partout, sur les fenêtres ou par terre, là où les enfants jouaient. Les gens étaient exposés à cette peinture." Il a également collaboré avec les pouvoirs publics à concevoir de nouvelles écoles. "Certains bâtiments ressemblaient dans le passé à des centres de détention. On disait aux enfants de faire plus de sport alors même qu'il n'y avait pas de trottoir devant les écoles", appuie-t-il, pour signifier que la santé passe aussi par l'aménagement des locaux. "Pour lutter contre l'obésité, il faut changer l'environnement bâti."

 

Des propos que soutient le Brésilien Thiago Hérick de Sá, du département de l'Environnement, du changement climatique et de la santé à l'OMS. Pour lui, "le temps presse et les matériaux doivent préserver l'environnement". D'ici 2050, 68% de la population mondiale vivra en milieu urbain, selon l'Onu. Il conseille aux architectes, urbanistes et soignants de travailler ensemble pour "influencer la transformation urbaine". Par exemple, il considère que des spécialistes devraient être consultés pour concevoir des hôpitaux capables de réagir à une crise comme celle du Covid-19. "Il faut intervenir partout pour s'assurer d'avoir des infrastructures plus sûres et inclusives ; dans le logement, les transports, sans parler des écoles et des lieux de travail où nous passons le plus clair de notre temps." En extérieur, l'expert souligne la nécessité de développer des espaces publics plus verts. La densité urbaine représente un danger dans certains endroits du monde. "Les favelas ne sont pas bonnes pour la santé."

 

Des espaces communs pour créer du lien social

 

La crise du Covid-19 a montré les défaillances de certains logements. En effet, les confinements successifs ont été très mal vécus par certaines familles habitant des logements sociaux. Le programme de travail de l'UIA "Habitat social", co-dirigé par Philippe Capelier, propose des solutions pour améliorer les conditions de vie et la santé des habitants. "De bonnes acoustique et ventilation participent à calmer les tensions entre voisins." Il faut, selon lui, redonner de l'importance aux espaces intérieurs partagés. "Le hall d'entrée représente le ton de la résidence : est-il spacieux ? Aéré ?", met-il en exergue. Aussi, la proximité d'espaces publics réduit l'anxiété et les risques d'accident ; et l'environnement autour du logement peut incarner une menace. Pollution atmosphérique, nuisances sonores, produits agricoles diffusés dans l'air, panneaux lumineux nocturnes… "Ils peuvent empêcher les gens de dormir et créent ainsi un stress permanent." Quant à la construction des logements, il appelle à se tourner vers des matériaux biosourcés. "Les matériaux traditionnels, tels que le ciment ou l'acier, sont des producteurs de CO² qui polluent l'air et le sol, et affectent la santé de tout un chacun."

 

La crise du Covid-19 a prouvé que le lien social était primordial pour la santé mentale des habitants. L'architecte basé à Melbourne (Australie) et co-directeur du programme de travail de l'UIA "Architecture pour tous", Allen Kong, considère que les architectes ont comme responsabilité de créer un environnement inclusif. "La conception d'un bâtiment peut correspondre à certaines situations, pour des personnes atteintes d'autisme ou de démence", rappelle-t-il. "L'environnement bâti répond à des détails de mobilité et d'accessibilité cognitive." Le co-directeur du programme de travail de l'UIA, "Patrimoine et identité culturelle", Mohammad Habib Reza, rebondit : "le patrimoine est un espace thérapeutique pour des personnes qui souffrent de démence ou de stress post-traumatique, et peut réduire la dépression".

 

Que promouvoir dans la conception des écoles ?

 

 

Sur la thématique de l'éducation, la Suédoise Suzanne de Laval, co-directrice du programme "Architectures et enfants", prône la conception d'environnement scolaires intérieurs et extérieurs favorisant la santé physique et mentale des enfants. Cela passe, par exemple, par le fait de créer des cours de récréation assez grande pour que les élèves puissent se dépenser et faire du sport ; mais aussi par l'utilisation de matériaux recyclés et renouvelables dans la construction des établissements. "La gestion de l'eau et des déchets est une autre de nos priorités."

 

Dans la même veine, Jorge Marsino Prado et Lawrence Leung co-dirigent le programme de travail de l'UIA "Espaces éducatifs et culturels". Ils montrent que la crise sanitaire a fait évoluer la réflexion sur l'importance de la santé dans la conception de bâtiments scolaires. "Une école salubre a un grand impact sur les familles", atteste Lawrence Leung. "Nos experts ont constaté que le virus [du Covid] peut se transmettre via les tuyauteries installées de façon verticale ou par une mauvaise circulation de l'air." Outre la santé physique des élèves, leur santé mentale dépend notamment de l'architecture des établissements. "Les écoles jouent un rôle d'intégration sociale et d'inclusion. L'ajout de rampes de circulation aide à faire face à l'exclusion de certains enfants", conclue son homologue Jorge Marsino Prado.

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