TRAVAUX PUBLICS. Basé en Rhône-Alpes, le groupe de TP Réguillon est composé de 5 sociétés, et emploie 150 salariés. Comme beaucoup d'autres entreprises du secteur, l'activité s'était arrêtée mi-mars, au début du confinement. Le président de l'entreprise, Michel Réguillon, a cependant rapidement mis en place un plan de relance qui lui permet d'avoir d'ores et déjà remobilisé la moitié de ses collaborateurs. Explications.

Batiactu : Comme chef d'entreprise, comment avez-vous réagi à l'annonce du confinement mi-mars ?

 

Michel Réguillon : Le 17 mars, à 12h, j'ai tout arrêté. Les collaborateurs des chantiers sont rentrés chez eux, les personnels des bureaux ont été mis en télétravail pour traiter les dossiers en cours, et le comité de direction s'est mis dans une optique cellule de crise. La première chose à laquelle nous avons pensé était de mettre en sécurité nos salariés. Mais dès la première semaine, j'ai aussi recherché des masques et du gel hydroalcoolique. Par chance et hasard, mon frère a une usine de textile, et il s'est mis à produire des masques. J'en ai commandé 1.500, 10 par salariés, qui ont été livrés le 3 avril et que nous avons distribués. Cela fait un masque par demi-journée et comme ils sont lavables jusqu'à 10 fois, chacun à un stock de masques pour 2 mois environ. J'ai par ailleurs trouvé auprès d'une pharmacie de gros de quoi réaliser 300 bidons d'un litre de gel hydroalcoolique, soit deux litres par personnes. Je n'ai pas attendu pour commander ces équipements, le faire plus tard ne m'aurait sans doute pas permis de les avoir aussi rapidement.

 

Batiactu : Avez-vous attendu de recevoir ce matériel pour relancer votre activité ?

 

M.R. : Non, dès le 23 mars, donc à peine une semaine après le début du confinement, deux catégories de personnes ont été remises au travail : celles qui sont sur les carrières et plateformes, car elles travaillent de manière confinée, sans contact, chacun est dans sa cabine d'engin. J'ai cependant mis en place des horaires décalés à l'embauche pour que les salariés se croisent le moins possible. Un chantier de terrassement privé a également pu reprendre, avec l'accord du donneur d'ordre. Cela concernait au total une quinzaine de collaborateurs.
Le guide de l'OPPBTP n'était pas disponible à ce moment-là. Nous avons rédigé un plan de continuité de l'activité (PCA) par entreprise pour définir des règles sanitaires, que nous avons déjà amendé quatre fois, notamment en l'adaptant aux recommandations de l'OPPBTP. A chaque fois, le document est signé par les délégués CSE et il est diffusé à tout le monde.

"La prise de conscience des salariés est forte"

 

Batiactu : Pourquoi avoir choisi de reprendre si rapidement, en à peine une semaine ?

 

M.R. : J'y voyais deux utilités. La première : engendrer un minimum d'activité alors qu'il faisait beau et que nous pouvions faire travailler les collaborateurs en sécurité. La seconde : observer la réaction et le comportement du personnel, jauger le niveau d'implication et de conscience par rapport à la crise sanitaire grave que nous connaissons. Grave non seulement pour la santé, mais aussi pour l'entreprise et éventuellement donc pour l'emploi. A ma grande satisfaction, la prise de conscience des salariés est forte. Le 17 mars encore, il était difficile de faire appliquer les gestes barrières, beaucoup se serraient la main par exemple. Dès le 23 mars, les comportements avaient changé radicalement. C'était rassurant pour organiser la suite de l'activité partielle. Si bien qu'au 6 avril, 30% des effectifs de l'entreprise avaient repris, un taux qui était de 50% au 14 avril et qui, j'espère, sera de 90% d'ici à la fin du mois.

 

 

Batiactu : N'a-t-il pas été compliqué de faire accepter une reprise du travail si tôt à vos salariés ?

 

M.R. : Pas vraiment. Beaucoup préfèrent venir travailler plutôt que d'être au chômage partiel. D'autant plus que, avec le système mis en place par le gouvernement, ils gagnent certes 84% de leur salaire net… mais uniquement sur 35h, alors qu'ils en font plutôt 41,5 dans mon entreprise. Par ailleurs, ils ne touchent pas les primes de déplacement et de panier. Si bien qu'ils ne reçoivent au final qu'environ 50% de leur paie habituelle. Et je communique régulièrement avec les salariés, pour les tenir au courant de la situation et de ce que nous mettons en place, c'est important pour la confiance également. Le plus difficile, c'est du côté des maîtres d'ouvrage.

"La maîtrise d'ouvrage publique doit se mettre à réfléchir à un plan de relance"

 

Batiactu : Quelles difficultés rencontrez-vous vis-à-vis de vos donneurs d'ordre ?

 

M.R. : Des réticences à la reprise persistent. Nous avons besoin que les grandes collectivités locales et donneurs d'ordre comme Enedis remettent en route les travaux, surtout en milieu urbain. Nous travaillons plutôt dans les zones rurales et je pense que c'est aussi ce qui nous a permis de reprendre plus rapidement. De façon générale, la maîtrise d'ouvrage publique doit se mettre à réfléchir à un plan de relance, peut-être département par département, pour redonner du souffle et préparer l'avenir.

 

Le personnel de Réguillon reçoit des masques
Pour reprendre l'activité en toute sécurité, dans un contexte où l'épidémie de Covid19 sévit toujours, le personnel de Réguillon a reçu 10 masques lavables. © Réguillon

 

Batiactu : Comment voyez-vous cet avenir justement ?

 

M.R. : En 2019, le chiffre d'affaires du groupe s'élevait à 20 millions d'euros environ, avec un résultat net de 600.000 euros. Nous étions bien partis pour suivre cette même direction avant la crise sanitaire. Désormais, je pense que nous aurons un résultat à 0, 0-, en fin d'année. Nous allons limiter la casse, à la condition que nous recommencions à travailler. Le comportement des collaborateurs qui ont déjà repris a permis de convaincre plus facilement nos partenaires financiers et d'obtenir une aide, ce qui est par ailleurs important pour garantir les emplois.

 

Batiactu : Quelles aides avez-vous obtenues ?

 

M.R. : J'ai demandé un prêt garanti par l'État qui a été accepté tout de suite, au cours d'une réunion avec les partenaires financiers la semaine passée [celle du 6 avril, NDLR]. Très rapidement, j'avais réalisé un prévisionnel et un plan de trésorerie pour mesurer jusqu'à quand nous pourrions tenir, j'avais repris le business plan du groupe jusqu'à la fin de l'année. J'ai donc su assez vite ce qui allait me manquer et comment maîtriser le résultat et la trésorerie. Ma demande de prêt reste cependant raisonnable : je ne suis pas allé jusqu'à 25% du chiffre d'affaires. De plus, elle était réfléchie en fonction du plan de reprise de l'activité, déjà amorcé. Et comme la relance se passait, cela a rassuré. Certains m'ont dit que j'allais trop vite, mais au contraire, je pense qu'il est important de redonner une dynamique rapidement. Se remettre au travail en juin sera trop tardif, il y aura plus de casse à attendre qu'à agir, de façon intelligente et en assurant la sécurité.

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