ÉTUDE. À l'heure où les infrastructures routières sont de plus en plus saturées et où les nouvelles technologies commencent à s'emparer de la chaussée, une étude s'est penchée sur les caractéristiques du périphérique parisien. Et propose, à la clé, des pistes d'amélioration pour la mobilité en Île-de-France.

Quel avenir pour le périphérique parisien, et plus largement pour les infrastructures routières d'Île-de-France ? C'est pour tenter de répondre à cette question que le cabinet de conseil Roland Berger et l'entreprise Kisio, filiale du groupe Keolis spécialisée dans les services de transports innovants, ont publié une étude sur la nouvelle "voix" à donner à la région parisienne en termes de routes. Rappelant en préambule que cette dernière représente 31% du Produit intérieur brut français, 23% des emplois et 18% de la population nationale (2 millions d'habitants dans Paris intramuros, 4,8 millions en Petite couronne et 5,3 millions en Grande couronne), les deux groupes d'experts affirment que le risque de saturation de ses principaux axes de circulation est bel et bien réel, comme en témoignent l'engorgement progressif du trafic et les bouchons devenus extrêmement fréquents - sans oublier, bien sûr, les conséquences sanitaires et environnementales. Les autorités organisatrices, telles que la mairie de Paris, Île-de-France Mobilités ou même le Gouvernement, ont lancé une salve d'initiatives pour réduire la place de la voiture individuelle dans Paris et sa région, ce qui a permis de faire reculer le trafic automobile de 19% depuis 2016.

 

 

Malgré cela, les problématiques demeurent, et se sont même largement invitées dans les programmes des candidats aux élections municipales de ce mois de mars 2020. D'autant que la grève dans les transports en commun de décembre 2019, contre la réforme des retraites du gouvernement Philippe, ont fait bondir de 50% le niveau habituel d'embouteillages. Pour Roland Berger et Kisio, "une régulation adaptée à chaque périmètre" doit être "définie par une gouvernance partagée entre l'ensemble des acteurs de la mobilité francilienne", laquelle devra aussi "cibler les investissements en matière d'infrastructures et de technologies". Car le sujet de la route de demain englobe en réalité bien d'autres sujets : il s'agit d'anticiper le déploiement des véhicules autonomes, de recourir à l'aide de gestion des flux avec des algorithmes d'intelligence artificielle, ou encore d'"interfacer" l'ensemble des services de transports utilisés par les usagers "grâce à des plateformes de réservation, d'optimisation des trajets, de commande, de paiement". D'après l'étude, "partir de la demande pour ajuster l'offre est une démarche peu fréquente qui permettra d'améliorer l'offre de transport existante et de faire émerger de nouveaux besoins".

 

"Le périphérique est une infrastructure historique de l'Île-de-France. Si son évocation met l'accent sur le fait qu'il matérialise une frontière spatiale entre Paris et sa banlieue, l'étude des flux réalisée dans cette étude démontre le contraire : le périphérique est en réalité une infrastructure de liaison entre Paris et sa banlieue."

 

Le périphérique est majoritairement emprunté par des Parisiens et des habitants de la Petite couronne

 

Dans le détail de leur analyse, Roland Berger et Kisio ont décortiqué les déplacements porte-à-porte d'un échantillon représentatif de 20.000 usagers du périphérique parisien sur la base de leurs données de localisation GPS sur une période de 50 jours, étalée de novembre à décembre 2019. Pour rappel, cette infrastructure compte près de 1,1 million de déplacements journaliers et 1,4 million d'usagers chaque mois, soit seulement 3% des déplacements quotidiens de l'Île-de-France. En comparaison, le RER A, reliant l'Est et l'Ouest parisiens, transporte chaque jour 1,2 million de voyageurs, ce qui en fait la ligne de transport en commun la plus fréquentée d'Europe.

 

On apprend donc que les Parisiens, contrairement à ce que l'on pourrait croire, utilisent autant le périphérique que leurs voisins franciliens : environ 10% d'entre eux l'empruntent tous les mois, un chiffre identique au reste de la région, alors que le taux de motorisation des Parisiens est beaucoup moins élevé que celui des autres Franciliens (36,8% contre 66,7%). Ce sont les habitants des arrondissements limitrophes au périphérique qui l'utilisent en écrasante majorité. De même, les habitants de la Petite couronne sont 595.000 à l'emprunter, contre 320.000 pour ceux résidant en Grande couronne. Ceci dit, si les Parisiens sont aussi nombreux à rouler sur le périphérique que leurs voisins d'Île-de-France, ils ne représentent que 18% des usagers de l'infrastructure et ne génèrent in fine que 22% du trafic.

 

En outre, les déplacements reliant Paris au reste de la région pèsent tout de même pour près de 50% du total des trajets, alors que ceux intra-zones ne représentent que 35%, et que ceux entre la Petite et la Grande couronne ne s'octroient que 13%. Les habitants de la Petite couronne représentent 43% des usagers du périphérique, contre 23% pour ceux de la Grande couronne, 18% pour les Parisiens et 16% pour les Français d'autres régions. De plus, les trajets des usagers réguliers s'élèvent à 50% du trafic sur l'infrastructure, dont 75% sont effectués en Petite couronne et à Paris. Roland Berger et Kisio notent également que le niveau de fréquentation est quasiment identique chaque jour de la semaine, avec cependant un pic le vendredi, et en toute logique une chute de 21% le samedi et le dimanche. "Pendant la journée, l'engorgement est logiquement plus marqué aux heures de pointe qui génèrent plus de 50% du trafic. Le pic du matin est réparti sur seulement trois heures (entre 5h et 8h), contrairement au pic du soir, beaucoup plus diffus, qui s'étale sur cinq heures", précisent-ils. Et d'ajouter : "Redonner une certaine fluidité à cette infrastructure améliorerait la mobilité globale de la région".

 

Utiliser la donnée, changer les comportements, développer la route intelligente...

 

Pour les analystes, les collectivités territoriales et les autorités organisatrices doivent toutefois s'emparer de certains sujets avant qu'ils ne se transforment en problématiques, à l'image des flux logistiques : selon leurs calculs, 200.000 tonnes de marchandises acheminées par poids lourds partent ou arrivent en Île-de-France ; au final, au moins 10% du trafic du périphérique résulterait des flux commerciaux. Or la croissance annuelle de ce secteur d'activité étant estimée à 8% jusqu'en 2030, l'intensification risque d'être telle que les acteurs publics et privés devront s'entendre sur la place à accorder au fret dans les transports urbains au cours de la prochaine décennie. Dans l'optique d'optimiser les trajets, les nouvelles technologies peuvent jouer un rôle considérable : à l'heure actuelle, les données routières disponibles proviennent "de simples cellules compteuses installées sur certains tronçons et ne permettent pas de reconstituer les flux (origine/destination)", alors que cette information serait le point de départ pour établir des politiques publiques de mobilité plus pertinentes.

 

 

Utiliser la donnée permettrait ainsi d'analyser plus finement la situation, et par extension de mieux répondre aux attentes des usagers, à l'heure où la multimodalité s'impose. Partant de ce constat, Roland Berger et Kisio suggèrent donc de mettre en place de nouvelles offres de mobilités, adaptées à l'ensemble des flux et prenant en compte les futures lignes du Grand Paris. Par exemple, des navettes de ramassage connectant la Petite couronne aux principales portes de la capitale pourraient voir le jour, de même que des voies prioritaires sur le périphérique aux heures de pointe, desservant le métropolitain et le RER. La place de la voiture individuelle doit aussi être repensée, notamment en réduisant (encore) la vitesse sur l'infrastructure, tandis que les changements de comportements doivent être encouragés, comme la réduction du versement transport des entreprises en contrepartie de l'instauration d'un système de télétravail régulier. Créer une voie réservée au covoiturage, aux transports publics, aux taxis et VTC est une autre piste mise sur la table, tout comme l'introduction de voies réversibles sur les grands axes pour ajuster leur nombre à la demande.

 

Enfin, l'étude recommande de "s'appuyer sur l'intelligence artificielle pour mettre en place des 'feux intelligents' afin d'adapter, entre autres, la durée des feux à la densité du trafic routier" et de "construire de nouvelles infrastructures protégées et adaptées (faible pente, bretelles d'entrées et sorties régulières, éloignement des pots d'échappement, etc) pour les modes actifs dont les origines/destinations seront à cibler". Des parkings supplémentaires pourraient de surcroît être bâtis aux entrées de Paris, pendant que "des routes intelligentes avec une vitesse adaptée au volume et à la nature du trafic" pourraient être développées.

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