INTERVIEW. Rare agence française présente en Inde, Enia Architectes nous livre ses impressions de travailler dans ce pays gigantesque depuis deux ans. Zoom sur ses réalisations, ses projets, dont le dernier en date, celui de la station de métro de Nagpur.

Batiactu : Quelle expérience retenez-vous de la visite protocolaire organisée en Inde le 24 janvier avec le chef de l'Etat et une délégation de 49 chefs d'entreprises ?
Brice Piechaczyk, Mathieu Chazelle, Simon Pallubicki :
Nous sommes arrivés le dimanche 24 janvier 2016 dans l'avion présidentiel avec 49 chefs d'entreprises français pour trois jours en Inde, dans la ville de Chandigarh (Nord). Cette ville est l'une des trois futures 'cités intelligentes' que la France avait décidé de visiter avec Nagpur, près de Bombay, et Pondichéry. La visite de Chandigarh était symbolique car cette ville nouvelle a été dessinée dans les années 1950 par l'architecte franco-suisse Le Corbusier. L'enjeu était de taille : les autorités indiennes ont, en effet, l'intention de transformer 100 villes en 'smart cities' dans les quatre ans à venir.

 

Parmi les mesures destinées à la rationalisation des ressources urbaines que le Gouvernement indien imagine : on a appris qu'un réseau électrique intelligent est en cours d'étude dans l'optique de répartir le courant selon les besoins, ainsi que des compteurs d'eau qui facturent différemment en fonction de l'horaire et un accès subventionné à des voitures hybrides. Nous avons également appris que le montant total des investissements nécessaires à la modernisation des infrastructures du pays sera colossal sur les cinq prochaines années. (Ndlr : 411 milliards d'euros).

 

Enfin, cette visite présidentielle a permis de nous ouvrir quelques portes en rencontrant des promoteurs, constructeurs et industriels. Nous avons également pu identifier des grands comptes comme la société Alstom qui souhaite construite une importante usine de matériaux roulants en Inde. A contrario, le groupe Vinci nous a expliqué son nouveau positionnement en s'intéressant davantage aux concessions d'infrastructures.

 

Par ailleurs, nous travaillons déjà avec des bureaux d'études comme Egis, des industriels, mais aussi des anciens collaborateurs : Nous leur proposons des sous-traitances. En allant sur ce terrain, nous apportons une alternative aux macrostructures.

 

Enia
De gauche à droite: Brice Piechaczyk, Mathieu Chazelle et Simon Pallubicki. © Enia architectes.
"Construire 20 fois Paris par an"

 

Batiactu : Quels sont les enjeux urbains de l'Inde ?
Brice Piechaczyk, Mathieu Chazelle, Simon Pallubicki :
L'Inde compte la croissance la plus rapide des grandes économies (7 %) et son urbanisation est folle. Seul un tiers de la population vit aujourd'hui en ville - un chiffre qui devrait plus que doubler d'ici à 2050, selon le gouvernement, pour atteindre 843 millions d'urbains. Au total, c'est une société de 1,2 milliard d'habitants qui est majoritairement rurale où l'enjeu urbain est considérable : construire 20 fois Paris par an. Au final, tout est à faire : les transports ferroviaires et routiers, les équipements portuaires aussi bien que la production d'électricité. Sans compter que ce pays manque aussi de routes en bon état, et d'usines de traitement des eaux.

 

D'ailleurs, d'ici à 2023, le vieux Shatabdi Express, qui relie Mumbai à Ahmedabad (ville de la province du Gujarat), où l'on a construit une préfecture de police, devrait changer d'allure. Ce train, qui parcourt 493 kilomètres en près de sept heures, devrait être le premier train à grande vitesse du pays. C'est un exemple significatif. Toutefois, posons-nous la question : ce pays démocratique sera-t-il capable de gérer cette urgence ?

 

Batiactu : Votre collaboration "main dans la main" avance bien depuis la création de votre agence en 2003. Pourquoi êtes-vous installé en Inde en août 2014 ?
Brice Piechaczyk, Mathieu Chazelle, Simon Pallubicki :
L'Inde n'a pas été choisi sur la carte du monde par hasard. Après avoir embauché notre chef de projet indienne au sein de notre agence parisienne, elle nous a dit son intérêt de repartir vivre à New Delhi. Nous lui avons alors proposée de participer à des concours dans l'ensemble du pays. Avec elle, nous avons commencé par gagner, en décembre 2013, la construction de la préfecture de police à Ahmedabad. Un grand ERP intégrant des plateaux tertiaires, des espaces d'accueil du public, un centre de conférences, 30 logements et un centre informatique.

 

Une fois le concours obtenu, nous avons vite pris conscience qu'il fallait absolument s'installer en Inde pour une meilleure connaissance des normes du pays mais aussi pour des raisons économiques. Finalement, nous avons décidé de monter en août 2014 un cabinet en Inde, notre premier à l'étranger en créant l'agence Enia Architects, basée à New Delhi, et dirigée par Atri Joshi et Shival Manchanda. Grâce à notre implantation dans le pays, nous pouvons également apprécier les différences d'échelles et de lieux, cela nourrit nos projets et améliore notre force créative.

 

"La loi indienne interdit aux groupes de BTP français de créer des filiales 100 % indiennes."

 

Batiactu : Quels sont les freins pour installer une agence d'architecture en Inde ?
Brice Piechaczyk, Mathieu Chazelle, Simon Pallubicki :
Disons-le : il est clairement impossible de construire de tels projets d'envergures, comme la préfecture de police à Ahmedabad, depuis la France. Rappelons que les taux d'honoraires sont de 3 % à 4 % pour toute la maîtrise d'œuvre calculée sur un coût de construction étant trois fois inférieur à celui de la France. Pour un bâtiment comparable, cela représente à peu près dix fois moins d'honoraire en Inde qu'en France.

 

 

Rappelons aussi que jusqu'à présent, la loi indienne interdit aux groupes de BTP français de créer des filiales 100 % indiennes. C'est également pour cette raison, que nous ne regrettons pas l'implantation de notre agence à New Dehli. Nous sommes les seuls à l'heure actuelle. Nous ne le cachons pas : l'Inde fait franchement peur aux architectes français.

 

"Patience et agilité"

 

Batiactu : Que retenez-vous de vos deux ans dans ce pays ?
Brice Piechaczyk, Mathieu Chazelle, Simon Pallubicki :
Outre, le fait d'être confrontés à des échelles urbaines auxquelles nous ne sommes pas habitués en France, nous devons chaque fois faire face à l'urgence. Tout doit aller très vite. Nous devons programmer un projet en moins d'un mois alors que nous attendons parfois plus d'une année pour obtenir le résultat.

 

En résumé, nous avons appris la patience et l'agilité. Car nous avons souvent l'impression de naviguer seul et de programmer des milliers de m² sans le moindre avis ou orientation du maître d'ouvrage. Au final, cette expérience indienne nous permet de nous remettre en question sur notre production en France.

 

Découvrez dès la page 2, les projets de l'agence Enia Architectes en Inde.

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