Alléger le budget logement en partageant le loyer, tout en profitant d'un plus grand appartement avec la compagnie d'autres locataires : la colocation est un mode de vie en commun souvent choisi pour des raisons économiques, mais peut aussi être un choix de vie. Si elle s'est largement répandue en France depuis le début des années 2000, elle reste cependant assez floue aux yeux de la loi qui ne prévoit pas, notamment, de bail spécifique. Décryptage.

Phénomène banalisé depuis de nombreuses années dans les pays anglo-saxons et mis en lumière par la série télévisée Friends dans les années 90, la colocation est encore timide en France mais devient de plus en plus fréquente. Il s'agit de partager un espace de vie, mais aussi le loyer. Logique, lorsque l'on sait que le poids du logement pèse de plus en plus sur le budget des ménages : selon une étude du Credoc, il est passé de 18 à 23% entre 1988 et 2006. S'ajoutent à cela la hausse vertigineuse des prix de l'immobilier depuis une décennie, et un phénomène de société, le fait que les Français vivent de plus en plus seuls en raison du vieillissement de la population, la progression du célibat et de la décohabitation des générations. En 2005, on comptait 33% de personnes habitant seules, contre seulement 20% en 1960. Une tendance qui pèse forcément sur le budget puisque le logement pèse mécaniquement plus sur celui d'une seule personne.

 

Si les causes ont évolué, le profil des colocataires également. On pense naturellement aux étudiants, ils ne sont plus les seuls. Jeunes actifs à la recherche de logements plus spacieux, professionnels devant passer plusieurs jours de la semaine dans une autre ville, étrangers en stage ou en mission pour quelques mois en France… «Ce n'est pas seulement une question d'argent, même si le partage du loyer est un aspect non négligeable et souvent le premier aspect recherché dans ce mode de vie», indique Bernard Cadeau, président du réseau d'agences immobilières Orpi. «Il y a aussi un aspect relations humaines qui est réel. Des personnes qui ne veulent pas vivre seules y voient un bon compromis». Si l'idée de la colocation a fait son chemin dans la tête des locataires, la route reste longue pour les bailleurs. «Cela peut en effet avoir un aspect anxiogène auprès du propriétaire», reconnait Bernard Cadeau. «Tout est dans l'équilibre et dans l'explication. La colocation ne doit pas être l'occasion d'augmenter les risques du bailleur mais de les cantonner».

 

Un mode de location mal encadré
Mais la colocation est-elle seulement prise au sérieux en France ? En effet, on parle d'augmentation des demandes, mais sans pouvoir réellement la chiffrer - seule l'agence nationale d'information sur le logement (Anil) avance le chiffre de 6% du parc locatif. Et les agences immobilières ne disposent pas de services propres à ce mode de location : pour trouver ou laisser des annonces à ce sujet, il faut se tourner vers des sites internet indépendants surfant sur ce phénomène, sortes de sites de rencontres où se croisent des personnes en mal de logement et d'autres, souvent des locataires à la recherche d'une nouvelle personne pour occuper une chambre vacante.

 

Mais surtout, il apparait que la législation ne prenne pas encore en compte les spécificités de ce mode de logement. En effet, quand plusieurs personnes s'engagent sur le même bail, elles signent une clause de solidarité, de sorte que si l'un des locataires n'honore pas sa part du loyer, les autres devront compléter. «Et si l'un des locataires donne congé, cela ne met pas fin à la solidarité», explique Jérôme Brossaud, secrétaire général de la Confédération générale du logement (CGL). Pour mettre fin à ce vide juridique et trouver un régime à la colocation, la Commission nationale de concertation auprès du ministère du Logement, réunissant notamment la CGL mais aussi d'autres acteurs du logement, a mis ce sujet à l'ordre du jour. Cependant, la commission ne s'est pas réunie depuis près d'un an, le projet est donc entre parenthèses. Le sujet de la colocation sera toutefois abordé dans un rapport auquel travaillent actuellement la CGL et d'autres acteurs avec l'USH (Union sociale pour l'habitat) au sein du conseil social, sur le thème plus général du logement des jeunes. Des rapports et textes officiels qui pourront peut-être donner des bases plus solides à la colocation, afin de protéger bailleurs mais aussi colocataires qui aujourd'hui se retrouvent dépourvus en cas de conflit (départ, répartition des allocations…) et doivent se tourner vers les associations pour tenter de trouver une solution.

 

Mieux définir la colocation
Autre problème soulevé par la CGL, celui de la hausse des loyers. «Il y a une montée de la colocation et on ne pourra pas aller contre. Mais dans un sens, accepter la colocation, c'est accepter le fait que l'on doive se mettre à plusieurs pour payer des loyers devenus exorbitants», dénonce Jérôme Brossaud. «Nous ne voulons pas que légiférer sur la colocation soit pris comme une complaisance envers les hausses de loyers». Paradoxalement, ce mode de vie, souvent choisi comme un moyen de réduire la part que chacun doit apporter dans le loyer, pourrait influer… sur la hausse des prix. Dans certaines colocations en effet, chacun signe un bail différent lui donnant accès à sa chambre en plus des parties communes. «Si chaque colocataire d'un cinq pièces paie 600 euros, cela nous fait au total un loyer à 3.000 euros, qui est bien supérieur à ce qu'aurait été le loyer de cet appartement s'il avait été loué en une seule partie», explique Jérôme Brossaud. Ce prix pèse ensuite sur l'ensemble du marché, lorsqu'il est inclus dans les statistiques de prix des loyers au mètre carré. Enfin, se pose la question de la qualité de vie. «On peut se demander à combien il est décent de partager une salle de bains ou une cuisine», note Jérôme Brossaud. «D'ailleurs, cela peut également avoir une incidence sur le prix du loyer».

 

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