ÉTUDE. A la demande de l'Association française des entreprises privées (Afep), le groupe de réflexion The Shift Project a réalisé une analyse de la transition énergétique des acteurs économiques. Les auteurs de l'étude appellent les entreprises à dépasser les limites des scénarios tablant sur une hausse de la température mondiale de 2°C, qui présenteraient des limites méthodologiques.

Si les entreprises veulent contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, il va falloir qu'elles soient plus ambitieuses dans leurs scénarios d'adaptation. C'est le principal enseignement de l'étude intitulée "Scénarios énergie-climat : évaluation et mode d'emploi", publiée en ce mois de novembre 2019 par le groupe de réflexion The Shift Project, spécialisé dans la transition énergétique et les politiques bas-carbone. A la demande de l'Association française des entreprises privées (Afep) et de ses 113 membres, les auteurs de l'étude rappellent les "fondamentaux" des enjeux climatiques et énergétiques et appellent les acteurs économiques privés à établir des objectifs et des scénarios plus pointilleux.

 

 

Face au changement climatique et à la transition énergétique qu'il impose, les entreprises, qu'elles soient publiques ou privées, n'auront d'autre choix que de s'organiser en conséquence, surtout si les gouvernements du monde décident de respecter l'Accord de Paris de 2015 - ce qui, pour l'instant, est loin d'être le cas. "Ces transformations pourront intervenir de manière chaotique, à travers des ruptures profondes d'ordre technologique, politique, économique et social", souligne l'étude. "Pour faire face à ces bouleversements inéluctables, les entreprises doivent se forger une connaissance précise des enjeux énergie-climat, appliquée à leur propre modèle d'affaires."

 

Des scénarios actuels pas forcément viables

 

Pourtant, les prévisions aujourd'hui établies par les entreprises sont insuffisantes : celles-ci se fondent pour l'heure essentiellement sur des scénarios de transition dits "scénarios 1,5°C" ou "scénarios 2°C", correspondant à la fourchette de hausse de la température mondiale que l'Accord de Paris recommande de ne pas dépasser. Sauf que ces hypothèses stratégiques ne répondent pas aux enjeux climatiques et énergétiques qui sont face à nous, et ce pour deux raisons : "d'une part parce qu'ils n'ont pas été conçus pour ça, et d'autre part parce qu'ils comportent de sérieuses limites méthodologiques". En effet, les modèles d'évaluation actuels n'auraient pas été pensés pour prendre en compte des "ruptures économiques et sociétales profondes" et se baseraient sur des "hypothèses hardies" auxquelles il serait difficile d'accorder un très grand crédit, pour la simple et bonne raison qu'elles ne sont pas assez étayées. Parmi ces scénarios peu fiables, on peut citer "une rupture de l'intensité énergétique du PIB sans précédent dans l'histoire économique" ; "le postulat d'une croissance économique future stable, sans impact négatif de la hausse des prix du carbone ou de contraintes sur l'accès aux énergies fossiles" ; ou encore "un développement colossal d'activités de capture-stockage du CO2 pour l'heure embryonnaires".

 

De même, les scénarios tablant sur une augmentation de 2°C à la surface du globe misent en parallèle sur un gain d'efficacité énergétique de l'ordre de 3% par an sur la période courant de 2020 à 2040 ; or, une telle performance "n'a jamais été observée, y compris lors des chocs pétroliers", prévient l'étude. "Elle revient dans certains cas à faire l'hypothèse d'une activité économique qui croît sans besoin croissant d'énergie [...]", une situation qui paraît peu probable. The Shift Project fait par ailleurs référence au dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), dont Batiactu s'est fait l'écho, qui lui-même fait état d'un gain d'efficacité énergétique de seulement 1,2% par an à l'heure actuelle.

 

Etablir des scénarios internes sur-mesure

 

 

Les conclusions du groupe de réflexion sont donc simples : "[encourager] les entreprises à développer la prospective stratégique à l'échelle de leur environnement d'affaires, en privilégiant une analyse fondée d'abord sur les flux physiques" ; et "amorcer un dialogue approfondi avec les concepteurs de scénarios, [pour] progresser vers une meilleure prise en compte des risques, mais aussi des opportunités d'adaptation et de transformation des modèles économiques". L'Afep, qui a accueilli favorablement les recommandations de l'étude de The Shift Project, a conseillé à ses adhérents - parmi lesquels Alstom, Bouygues, Michelin, Schneider Electric, Suez, Thales, Unibail-Rodamco-Westfield ou encore Veolia - d'intégrer l'analyse prospective à leur stratégie commerciale.

 

Concrètement, voici les principales étapes du processus d'analyse par scénario climatique tel que recommandé par The Shift Project : formuler le problème, puis identifier les "variables critiques" de l'entreprise, avant de réaliser les "narratifs" et de "quantifier" les résultats ; enfin, l'entreprise doit évaluer les impacts pour ses activités actuelles avant finalement d'élaborer des options stratégiques. Les auteurs de l'étude conseillent notamment de mettre sur pied des scénarios internes sur-mesure, considérés comme "un facteur de motivation et un guide pour l'action pour tous les collaborateurs de l'entreprise". En parallèle, la communication de l'entreprise doit être maîtrisée et se focaliser sur "la description du processus d'analyse par scénario mis en oeuvre, la synthèse des narratifs des scénarios étudiés ainsi que les principaux résultats décrivant la résilience du modèle d'affaires".

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