INTERVIEW. Au Royaume-Uni, à la suite du drame de Grenfell, les architectes se sont plaints d'avoir perdu le pouvoir dans le suivi des projets de construction de logements. Est-ce également le cas en France ? Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes (Cnoa), nous répond.

A la suite de l'incendie dramatique de la tour Grenfell, le président de l'Institut royal des architectes britanniques (Riba) estimait que les architectes devaient "reprendre le pouvoir" dans le domaine de la construction de logements. Selon lui, depuis plusieurs décennies, les architectes sont mis "sur la touche" du fait de l'utilisation "de contrats complexes comme celui utilisé pour la tour Grenfell".

 

 

Le Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa) se montre-t-il solidaire de la position britannique ? Les architectes français sont-ils confrontés au même type de problème ? Quelle est leur position sur l'utilisation massive de l'isolation thermique par l'extérieur ? Catherine Jacquot, présidente du Cnoa, répond à Batiactu.

Batiactu : Êtes-vous solidaire du message communiqué par l'Institut royal des architectes britanniques (Riba) à la suite de l'incendie de la tour Grenfell ?

Catherine Jacquot : Nous sommes non seulement solidaires, mais d'accord avec eux. Car cette question de la maîtrise des projets par les architectes se pose également en France, en neuf et encore plus en rénovation. La situation se dégrade depuis dix, vingt ans. Le rôle de chaque intervenant n'est pas assez bien déterminé. L'utilisation de plus en plus fréquente des contrats globaux en est la principale cause. Ils font que le rapport de force est plus en faveur de l'entreprise que de l'architecte, ce qui ne va pas dans le sens de la qualité architecturale des projets. L'architecte se trouve ainsi cantonné à une mission très limitée, avec peu de présence voire aucune sur le chantier. Heureusement, la loi Cap a redressé un peu la barre, en imposant une mission complète pour les architectes dans les contrats globaux.

Batiactu : Voici pour la commande publique. Qu'en est-il de la commande privée ?

Catherine Jacquot : En marché privé, ce n'est pas mieux : la mission de l'architecte se limite trop souvent à la conception et parfois s'arrête à l'obtention du permis de construire. Il n'y a plus de contrôle de l'architecte, l'entreprise se retrouve seul maître à bord, et elle fait de son mieux. Mais il n'y a plus personne pour cadrer son intervention. Or, la maîtrise d'oeuvre, architectes comme ingénieurs, devrait être là pour ça, assurer la qualité et la sécurité des bâtiments. Aujourd'hui, bien souvent, les entreprises sont juge et partie.

Batiactu : Que demandez-vous pour que la situation s'améliore ?

Catherine Jacquot : Nous souhaitons que l'architecte ait des missions complètes, depuis l'esquisse jusqu'à la livraison. Car ils sont les acteurs qui sont les plus à même de défendre la qualité des bâtiments. J'ajoute que résoudre ce problème est encore plus urgent en rénovation. C'est encore pire qu'en neuf car le plus souvent, il n'y a tout simplement aucun architecte.

Batiactu : Il peut ne pas y avoir de contrôle d'un architecte en cas, par exemple, de pose d'une ITE sur un bâtiment d'habitation ?

Catherine Jacquot : Ce genre de solutions peut être posé sans aucune intervention d'un architecte. C'est pourquoi nous nous étions opposés à la mesure prévue par la loi de Transition énergétique [votée en août 2015, NDLR] qui oblige de réaliser une ITE lorsque l'on rénove une façade. Car, dans ce cas là, l'entreprise fait ce qu'elle veut. Pourtant, l'ITE est un bon procédé : mais il faut qu'un architecte choisisse la bonne solution, au bon endroit, en toute sécurité.

Batiactu : Mais faire appel à un architecte augmente la facture...

Catherine Jacquot : Oui, mais c'est autant d'argent qui ne sera pas dépensé par la suite en cas de problème. J'invite les maîtres d'ouvrage à faire appel à des architectes en cas de réhabilitation, lorsque plusieurs corps d'états sont impliqués, même si ce n'est que pour des missions très limitées ! L'architecte doit établir un diagnostic global. Mettre de l'argent sur la phase étude permet d'économiser de l'argent à plus long terme. Par ailleurs, les architectes sont les seuls professionnels du secteur à avoir à la fois les connaissances techniques et le souci de l'usage du bâtiment par ses occupants.

Batiactu : Aviez-vous alerté les pouvoirs publics des risques potentiels liés à la multiplication des ITE ?

Catherine Jacquot : Nous avons toujours alerté les pouvoirs publics sur le fait que les rénovations d'immeubles comportaient des risques potentiels pour les habitants. La pose d'une ITE soulève bien sûr la question du risque feu, mais également celle de la qualité de l'air intérieur, ou de l'apparition de pathologies sur certains matériaux - je pense notamment à la prolifération d'insectes sur les constructions en bois. C'est aussi un sujet de santé publique.

Batiactu : D'après nos informations, les pouvoirs publics envisageraient de limiter voire interdire l'utilisation d'isolants combustibles dans les immeubles de quatrième famille. Qu'en pensez-vous ?

Catherine Jacquot : Les immeubles de quatrième famille ne sont pas des bâtiments courants, donc à mon sens cette décision n'irait pas assez loin. Je propose plutôt de faire confiance aux professionnels de la construction en leur laissant la possibilité de choisir le meilleur système au cas par cas.

 

Batiactu : La stratégie Logement présentée récemment par le Gouvernement semble aller dans ce sens. Il est en effet question de réécrire le livre premier du Code de la construction et de l'habitation (CCH) afin de faire primer un objectif de résultats, laissant ainsi davantage de champs à l'innovation. Pensez-vous que cela aille dans le bon sens ?

Catherine Jacquot : C'est effectivement un objectif du plan Logement, mais attention : si nous libéralisons à outrance, il y a un risque pour la qualité des constructions et pour la qualité architecturale. Nous devons plutôt mettre en place une procédure vertueuse, en trouvant le bon équilibre entre qualité du bâtiment (efficacité énergétique, sécurité...) et bonne performance économique des entreprises intervenantes.

 

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