Batiactu : Justement, avez-vous un conseil à donner, en particulier, aux élus qui voudraient suivre vos pistes d'action ?

 

Nicolas Soulier : En ce qui concerne les élus : la clef, c'est de ne pas faire à la place des gens, mais de les accompagner dans leur démarche. Par exemple, dans le livre, je parle d'une association de San Francisco qui propose aux habitants d'un quartier de planter des arbres devant chez eux. Cela a fonctionné : les habitants ont entretenu chacun l'arbre qui leur avait été offert et la municipalité a laissé faire tout en observant bien pour repenser, à l'avenir, ce type d'espace devant les maisons.

Batiactu : Certains des exemples que vous citez sont des échecs, en particulier en France. A quoi cela est dû et avez-vous trouvé d'autres exemples qui ont marché ?

Nicolas Soulier : Il n'y a pas que des échecs. Suite à la parution de mon livre, j'ai été contacté par un grand nombre de personnes qui m'ont montré des initiatives qui ont fonctionné, à Chevigny par exemple. Moi-même, j'ai découvert plus tard, dans le 4ème arrondissement de Paris, une rue qui est agréable à parcourir. Cet aménagement particulier a été rendu possible grâce à une exception urbaine : la rue est publique, mais la voie est privée et donc le sol appartient aux riverains. Cette règle de l'exception, comme elle est appliquée dans des pays comme l'Autriche, nous est complètement étrangère. Si l'exception doit être, selon moi, envisagée comme la confrontation entre le réel et la règle de base, en France, nous ne réfléchissons pas de cette façon. Une exception est pour nous quelque chose d'anormal, qui doit être cadré, et l'on crée pour cela une dérogation, qui enchaîne sur une autre dérogation, et ainsi de suite... C'est un cercle vicieux qui tue la spontanéité.

Batiactu : La généralisation des "zones 30" et du vélo semble être une des pistes sur laquelle vous misez le plus. Pourquoi ?

Nicolas Soulier : Le vélo n'est pour moi pas seulement un hobby, mais un véritable outil d'urbanisme. Il structure les rues, requiert des passages plus larges ou mieux partagés et est ouvert sur l'extérieur, contrairement à une voiture qui va être un coin d'intimité mais complètement fermée à la rue. Pour autant, je ne dis pas qu'il faut supprimer toutes les voitures, mais que le partage de la rue doit se faire en bonne intelligence. Et pour cela, les zones limitées à 30 km/h en ville me paraissent tout à fait indiquées. Elles permettent tout d'abord plus de sécurité, puisqu'une personne qui se fait renverser par une voiture qui roule à 30 km/h ou à 50 km/h, ce n'est pas du tout la même gravité. Aussi, contrairement à ce que l'on pourrait penser, on ne gagne pas beaucoup plus de temps en roulant à 50 en ville, puisque ce n'est pas une vitesse de pointe et que notre vitesse moyenne tourne plutôt autour de 18 km/h. Enfin, la pollution sonore est bien moindre en roulant à 30. En adoptant cette réglementation là où c'est nécessaire, nous gagnerions vraiment à avoir des centres villes mais aussi des rues résidentielles plus sécurisées et vivantes.

Batiactu : Existe-t-il des différences d'un point de vue culturel, entre la France et les autres pays pris en exemple dans votre ouvrage, qui bloqueraient notre passage à l'acte, autant chez les riverains que les élus ?

Nicolas Soulier : Dans tous les pays que j'ai visités, je dirais qu'ils sont peut-être plus ouverts à laisser une diversité se créer. En France, nous pensons être dans un pays assez avant-gardiste, qui veut échapper aux normes, mais en réalité, nous craignons la différence autant que nous la jalousons. Nous confondons différence et inégalité. Et cette logique se retrouve partout. Lorsqu'un processus est décidé, il doit être appliqué au niveau municipal voire national, pourtant l'on sait très bien que chaque situation est différente et que nous devons adapter la règle et non l'appliquer sans réfléchir. De plus, contrairement aux Etats-Unis, où cette mentalité est ancrée dans la société, je pense que nous souffrons, en France, de ne pas avoir de vision fondée sur le plaisir et sur l'amélioration de nos conditions de vie. Mais c'est en train de changer. A Bordeaux et à Lille, on m'a ainsi contacté récemment pour que je donne mon avis pour des projets d'aménagement des rues par et pour les riverains. J'ai bon espoir qu'on puisse voir certaines des idées avancées dans le livre appliquées dans les prochaines années.

 

*Reconquérir les rues

 

Par Nicolas Soulier
Editions ULMER
Prix Indicatif : 26 €
Cet ouvrage de l'urbaniste Nicolas Soulier est un essai. A l'aide de nombreuses citations d'articles, d'exemples vécus au cours de sa carrière et d'observations faites à l'étranger, il dresse un portrait de nos rues qui se vident et il tente d'en détailler les raisons.

 

Pour ne pas faire qu'un bilan des différents échecs des politiques urbaines françaises, il consacre toute une partie de son ouvrage à une étude de modèles, à l'étranger, qui fonctionnent et "produisent" des rues vivantes. La dernière partie de l'ouvrage est, quant à elle, consacrée à une somme de pistes d'actions et de propositions pour rendre les rues françaises plus vivantes et agréables.

 


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