"Reconquérir les rues" : vaste programme que propose Nicolas Soulier, urbaniste et professeur d'architecture, dans son tout dernier ouvrage*. Loin de donner des réponses toutes faites, l'auteur dresse un constat saisissant et propose quelques pistes d'action innovantes, en privilégiant toujours la notion de plaisir et de spontanéité. Entretien.

Batiactu : Que signifie le titre de votre ouvrage : reconquérir les rues ?

 

Nicolas Soulier : Reconquérir les rues, c'est pour moi, réinvestir un espace que l'on a su habiter par le passé. Il s'agit de se le réapproprier afin que nous puissions agir dessus. Je ne me concentre que sur les rues résidentielles et non celles où se trouvent les magasins et cafés. Le constat est simple et partagé par un grand nombre : les rues se sont vidées des gens qui l'occupaient habituellement, elles ne vivent plus. Désormais, la voiture a pris une place prépondérante et les rues ne sont plus que des voies de circulation. Un riverain qui flâne sur le trottoir sera ainsi mal vu par les automobilistes, comme n'étant pas à sa place.

Batiactu : N'est-ce pas un peu utopique que de penser que tous les citoyens se sentiront concernés par cette reconquête et feront le choix de la sécurité et de l'intérêt commun ?

Nicolas Soulier : Il ne faut pas être dans l'extrême angélisme ni dans le pessimisme le plus total. Cette question repose sur un équilibre. Il ne s'agit pas forcément de penser que tout le monde doit prendre part à cette reconquête. Soit cette initiative est personnelle et est encouragée par les services publics, soit le dispositif est le fruit d'un travail concerté entre riverains, associations et élus. Il ne faut pas grand-chose pour que cela bouge. Dans le livre, je parle d'un quartier brêmois, en Allemagne, qui était connu pour ses petits jardins devant les maisons. Epargné par les bombardements, il devait être rasé dans les années 70-80 pour laisser place à un pôle de services et à des voies destinées aux voitures. Un collectif de riverains s'est battu pour le préserver et a même utilisé une rue comme prototype pour montrer qu'il était possible d'aménager ce quartier en y mettant de la vie. Aujourd'hui, ce lieu inspire de nombreux urbanistes du monde entier et ce collectif a reçu une médaille très récemment pour son combat.

Batiactu : Qu'est-ce qu'une rue vivante selon vous ?

Nicolas Soulier : Une rue vivante est une rue où les enfants jouent dehors sans crainte, où les riverains prennent soin des abords de leur maison et prennent l'initiative pour aménager leur trottoir, et où les voitures ne prennent pas une place disproportionnée, ni dans leur circulation, ni dans leur stationnement. Une rue vivante favorise d'ailleurs le bon voisinage. Il suffit par exemple de quelques mots sur le temps, sur la vie qu'il peut y avoir dans la rue, pour créer un début de dialogue avec ses voisins. Cela devient possible uniquement lorsque l'on a quelque chose à faire devant chez soi, comme lorsque l'on entretient un petit jardin, devant sa maison, à la vue de tous. C'est aussi l'occasion de partager un moment avec ses voisins, sans les faire rentrer dans son intimité. Pour permettre ce petit échange, sans créer un espace commun à tous, on peut envisager l'installation d'une petite clôture qui ne coupe pas le regard. Les solutions sont multiples et ne nécessitent pas tout le temps l'action des pouvoirs publics.

Batiactu : A qui est destiné cet ouvrage ? Des élus, des urbanistes, des habitants soucieux de leur quartier ?

Nicolas Soulier : J'ai écrit cet ouvrage pour que tout le monde puisse se l'approprier. Je ne suis qu'une modeste contribution dans un processus de compréhension collective. Tout le monde est d'accord sur le constat, d'ailleurs, la première question que les gens me posent lorsque je présente mon livre, c'est "Comment fait-on pour reconquérir nos rues ?", comme si ce fait n'était pas discutable et qu'il fallait désormais se concerter collectivement sur nos moyens d'action. Pour l'instant, je suis très agréablement surpris et j'ai reçu un grand nombre de réactions positives, autant des professionnels que des particuliers. Cela témoigne d'un sentiment unanimement partagé : nos modes de vie évoluent, notre habitat doit suivre ce mouvement et surtout ne pas rester figé.

 

Retrouvez la suite de l'interview en page 2.

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