FORMATION PROFESSIONNELLE. Comme bon nombre de secteurs d'activité, et de corps de métiers dans le bâtiment, les entreprises du négoce de matériaux font face à un manque de main-d'œuvre qui pénalise leur activité. Pour y remédier, elles comptent communiquer davantage sur leur profession et veulent miser encore plus sur l'apprentissage.

Qui a dit que les artisans du bâtiment et les entreprises de travaux publics étaient les seuls à manquer de bras ? À la suite de leur assemblée générale qui s'est tenue le 12 mai dernier à Paris, les professionnels du négoce de matériaux se sont retrouvés autour d'une table ronde pour parler emploi, compétences, formation professionnelle et apprentissage, dans un contexte où l'activité ne manque pas pour le secteur de la construction mais où, pourtant, les entreprises peinent à motiver les candidats à les rejoindre.

 

 

La branche du négoce compte 80.000 salariés et effectue environ 15.000 recrutements par an. La dynamique s'est toutefois grippée depuis la crise du Covid : "40% des entreprises disent envisager de recruter dans l'année qui vienne, mais les perspectives d'embauches sont très variables en fonction de la taille de l'entreprise : il y a une nette différence entre les plus petites et les plus grosses", analyse Hervé Dagand, responsable de l'Observatoire des métiers du négoce. "Le problème de la pénurie de main-d'œuvre semble concentré dans les entreprises de plus de 50 salariés, et encore davantage dans celles de plus de 300 salariés."

 

Méconnaissance des candidats… et des institutionnels

 

À l'heure actuelle, trois métiers "en tension" seraient à un niveau particulièrement critique d'embauches : les magasiniers, qui constituent "les volumes d'effectifs les plus importants de la branche" du fait des besoins en logistique et en entreposage ; la fonction commerciale, avec les postes d'attachés technico-commerciaux qui doivent disposer de compétences multiples ; les chauffeurs-livreurs, très demandés depuis "l'explosion" du e-commerce.

 

Mais d'une manière générale, les entreprises admettent qu'elles doivent dorénavant prendre en compte des revendications de salaires et éventuellement revoir le niveau d'exigences propre à chaque poste. Pour Patricia Caillot, responsable ressources humaines chez Gedimat et membre de la commission formation de la FDMC (Fédération des distributeurs de matériaux de construction), la filière est confrontée à deux enjeux pour réaliser ses recrutements : "Il y a d'abord la méconnaissance de notre secteur et de nos métiers. Nous ne sommes pas visibles et donc pas connus par les candidats, mais aussi par une partie des institutionnels - Pôle Emploi, Missions locales, associations d'insertion… - et des organismes de formation."

 

Et ce, alors que les professionnels du secteur estiment disposer d'"atouts" et être "attractifs". "Nous devons communiquer sur le fait que nous sommes des entreprises de proximité offrant une grande variété de métiers avec des circuits de décision courts", poursuit-elle. L'organisation des entreprises devrait de plus faire preuve d'un peu plus de souplesse : "Les temps ont changé et les attentes des salariés ont changé", relève Patricia Caillot, citant notamment le télétravail, qui a bondi depuis le premier confinement sanitaire.

 

L'équilibre de la pyramide des âges doit également être surveillé de près. Dans la mesure où les premiers mois dans l'entreprise d'un nouveau collaborateur sont très importants pour l'intégration du premier et le fonctionnement de la seconde, l'accompagnement s'avère crucial. D'où l'importance du tuteur en entreprise, aussi bien pour un jeune que pour un moins jeune. "Cela permet d'attirer et de garder des salariés de tous âges", assure la responsable de la commission. Sur le plan des compétences recherchées, les entreprises du négoce misent sur des collaborateurs "ayant envie de travailler" et "avec le savoir-être qui s'impose".

 

Former aussi les encadrants

 

Il y a tout de même une classe d'âge qui cristallise les attentions des professionnels. "Il nous reste à relever le défi de séduire les jeunes", insiste Eymard de Crécy, secrétaire général au CFA (Centre de formation des apprentis) BTP des Pays de la Loire. Dans son établissement, le nombre d'apprentis est passé de 4.500 en 2021 à 5.000 en 2022, nouvelle preuve de l'excellente forme de l'apprentissage en France depuis 2020. Et signe aussi que les nouveaux apprentis viennent chercher quelque chose de spécifique dans ces formations, à commencer par des valeurs comme le sens de l'accueil et celui du service.

 

"Je crois que les jeunes ont aussi envie de métiers concrets, qui ont du sens. Ils n'ont pas forcément envie de travailler pour une entreprise, mais avec une entreprise", confirme Eymard de Crécy. Charge maintenant aux entreprises de se faire connaître auprès des potentiels apprentis, dont le rôle économique n'est pas négligeable. D'autant que les publics, les expériences et les parcours de ces alternants sont de plus en plus variés, du fait des nombreuses passerelles et reconversions qui existent aujourd'hui.

 

"Vous avez une responsabilité importante une fois que vous avez embauché un apprenti : un tuteur doit le suivre, l'encadrer pour suivre son évolution, le guider, le conseiller…", prévient le secrétaire général, qui préconise au passage de mettre en place des formations spécifiques pour les maîtres d'apprentissage, "car cela ne s'improvise pas". Dans les CFA des Pays de la Loire, 90% des entreprises embauchant des apprentis ont moins de 50 salariés, et 50% en ont moins de 20, ce qui implique un effet un aménagement du poste du maître d'apprentissage pour prendre en charge le jeune.

 

 

Auto-promotion

 

Les métiers du négoce ont donc un important travail d'auto-promotion à faire pour motiver les candidats, et particulièrement les plus jeunes, à les rejoindre. Responsable alternance chez Constructys (l'opérateur de compétences du BTP), Laura Taisne souligne que les contrats d'apprentissage ont bondi de 24% dans la branche en 2021. "Ces contrats sont un excellent levier pour recruter des jeunes et les fidéliser", assure-t-elle. Et de considérer qu'il y aura sans doute "une attente" par rapport aux aides gouvernementales à l'embauche d'apprentis, qui ont incité beaucoup d'entreprises à franchir le pas. "Embaucher un apprenti a un coût, c'est un investissement ; mais les jeunes restent plus facilement dans les entreprises qui les ont formés", précise Laura Taisne.

 

Le secteur organise donc des visites virtuelles, salons et évènements, et propose des sites Internet et des vidéos de présentation des métiers pour attirer l'attention des jeunes. Il est même parvenu à dresser un portrait-type de l'apprenti dans le négoce de matériaux : "Il est un peu différent de l'apprenti type bâtiment ou type travaux publics", explique la responsable de Constructys. "Il s'agit d'un homme - même si la branche du négoce est bien plus féminisée que l'ensemble du BTP -, qui a entre 18 et 21 ans, qui prépare une formation post-Bac, souvent un BTS, et qui travaille dans une entreprise de plus de 300 salariés."

 

Selon Laura Taisne, la filière a effectivement tout pour plaire aux jeunes, ne serait-ce que parce que "c'est un secteur qui paye", notamment grâce à un accord de branche récent qui majore la rémunération minimale des apprentis. Pour l'heure, elle appelle les entreprises à profiter des aides qui sont encore valables jusqu'au 30 juin. "Nous sommes en mai, il est donc temps de réfléchir à ses recrutements d'alternants."

 

La réflexion doit cependant être aussi menée du côté du jeune, selon Matthieu Merciecca, chef de la mission éducation-économie au ministère de l'Éducation nationale : "Il faut amener le jeune à s'interroger et à se professionnaliser. Mais il n'est pas le seul décisionnaire : il va aussi se tourner vers ses parents, ses professeurs…" Les opportunités ne devraient toutefois pas manquer : "Un plan de relance arrive avec beaucoup d'emplois à la clé, et un grand nombre d'acteurs s'associent pour aider les jeunes à trouver un poste".

 

Invité à conclure la table ronde, le président de la FDMC a fait montre d'optimisme sur la capacité du négoce à attirer les talents : "Après le big bang de la réforme de la formation professionnelle, nous sommes sur la bonne voie et nous avons à disposition des outils efficaces pour faire connaître nos métiers et proposer des formations adaptées", a déclaré Franck Bernigaud.

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