SANTÉ AU TRAVAIL. Le repérage amiante avant travaux est obligatoire sur tous les chantiers de rénovation où la présence d'amiante est possible, y compris les plus petits. Cette contrainte, déjà difficile à appliquer sur un chantier classique, se pose avec d'autant plus de force pour les travaux dits 'à 1 euro', qui se comptent par centaines de milliers par an.

La question du repérage amiante avant travaux sur les petits chantiers de rénovation, où le maître d'ouvrage est un particulier, se pose depuis déjà un certain temps : ces repérages ne seraient pas systématiquement effectués du fait d'un manque de sensibilisation des acteurs. De nombreux intervenants de second œuvre se retrouvent ainsi très probablement exposés à l'amiante sans protection adéquate. Mais le lien entre cette obligation et l'accroissement exponentiel du marché des offres dites 'à un euro' est plus rarement effectué. Or, au vu de l'accélération permise par ce dispositif financé massivement par les CEE (on parle de centaines de milliers de chantiers par an), au vu de la présence avérée d'éco-délinquants sur ce marché qui, par définition, ne sont pas obsédés par le respect strict de toute réglementation, on ne peut s'empêcher de se poser la question des conséquences en matière d'exposition de très nombreux ouvriers du BTP à l'amiante. Et de possibles conséquences sanitaires.

 

La réglementation est très claire, elle impose, depuis un décret du 9 mai 2017, d'effectuer un repérage amiante avant travaux pour "toute opération comportant des risques d'exposition des travailleurs à l'amiante". Cette obligation concerne-t-elle les offres à un euro pour l'isolation et le chauffage ? Questionné par Batiactu à ce sujet, le ministère est formel : "Cette obligation concerne tous les types de travaux sans distinction."

 

Isolation, remplacement de chaudière : des travaux où l'amiante n'est pas rare

 

Dans le cas des offres à un euro, la question est encore plus délicate, du fait de la question du coût. Impossible de rester 'à un euro' si l'on ajoute un diagnostic amiante voire une intervention en désamiantage. Luc Baillet, architecte et secrétaire général du "résoA+", spécialisé dans les questions d'amiante, alerte depuis longtemps acteurs et pouvoirs publics à ce sujet. "Lorsque l'on change une chaudière, il ne s'agit pas uniquement de remplacer un matériel par un autre", explique-t-il à Batiactu. "Il faut changer le combustible, éventuellement démonter une cuve au fioul, ce qui n'est pas une mince affaire, car il faut parfois percer voire abattre une partie de cloison." Autant d'opérations qui peuvent se faire en présence d'amiante, souvent utilisé, par exemple, pour du calorifugeage de canalisations.

 

 

En ce qui concerne l'isolation des combles, on sait également que l'amiante peut être présent sous forme d'amiante-ciment. "Sur ces quinze dernières années, j'ai remarqué que les produits en amiante posés dans les années 70 commençaient à vieillir", observe de son côté Thierry Marchand, président de la chambre des diagnostiqueurs immobiliers de la Fnaim, contacté par Batiactu. "Des fibres d'amiante chutent de vieilles toitures en fibrociment.". Il confirme également la présence d'amiante dans certaines cuves au fioul, ou aux alentours. "Il y a beaucoup de matériaux amiantés dans ces cuves. On trouve également des joints amiantés." Des déchets dangereux qui devraient ensuite être stockés dans des décharges spéciales, ce qui renchérirait encore le coût d'une opération qui deviendrait plus proche d'une 'offre à 1.000 euros' qu'à '1 euro'.

 

Des repérages qui n'arrangent personne ?

 

Si ces repérages ne sont pas systématiquement faits, c'est probablement parce qu'ils n'arrangent pas grand monde. La réglementation impose en effet aux maîtres d'ouvrage de faire faire un diagnostic amiante avant travaux, comme nous le confirme le ministère. "C'est le donneur d'ordre, le maître d'ouvrage ou le propriétaire qui porte l'obligation de réaliser ce repérage de l'amiante. Un particulier se doit donc de faire réaliser ce repérage conformément à l'arrêté du 16 juillet 2019." Dans les offres à un euro, le plus souvent, c'est bien le particulier qui est maître d'ouvrage. Or, il n'a pas forcément intérêt à 'découvrir' de l'amiante chez lui, au vu du coût d'un désamiantage (si toutefois il ne se débarrasse pas des produits amiantés d'une manière peu orthodoxe en nourrissant une décharge sauvage). Il n'a, en plus, pas grand intérêt à faire retirer à prix d'or de l'amiante située dans des parties de son logement où il n'est que rarement.

 

"Un document indispensable à l'entreprise dans le cadre de son évaluation des risques"

 

Du côté de l'entreprise intervenante qui, dans le cadre des offres à 1 euro est souvent sous-traitante, elle est censée s'appuyer sur le repérage amiante fourni par le maître d'ouvrage pour réaliser son évaluation des risques et protéger ses salariés intervenants. "Le repérage avant travaux est un document indispensable à l'entreprise dans le cadre de son évaluation des risques", nous confirme le ministère. "Si ce repérage avant travaux n'est pas communiqué par le maître d'ouvrage, c'est bien simple : l'entreprise est censée faire comme si tous les matériaux étaient amiantés", explique à Batiactu Thierry Marchand, président de la chambre des diagnostiqueurs immobiliers Fnaim. Principe de précaution qui fait que sur un chantier de rénovation où un diagnostic amiante n'aurait pas été fait, les ouvriers sont censés intervenir en 'tenue de cosmonaute', et avec des douches de décontamination... Pour une offre dont le principal intérêt est de ne rien coûter au client, on comprendra aisément que la réglementation n'est pas applicable. "En ce qui concerne les travaux de rénovation énergétique, nous avons oublié les risques amiante et plomb !", résume Thierry Marchand. "Aujourd'hui, les repérages ne sont pas faits. Les artisans qui interviennent ne connaissent pas encore la réglementation."

 

L'artisan n'a lui non plus pas un grand intérêt économique à sensibiliser le client à son obligation de réaliser un diagnostic. En effet, impossible de 'vendre' une offre à un euro si l'on doit y ajouter 500 euros de diagnostic amiante, voire 2.000 euros de coût de désamiantage avant de pouvoir faire les travaux. Du côté de Géo PLC, délégataire en certificats d'économie d'énergie, on assure que les équipes ont été sensibilisées à l'obligation de réaliser un repérage avant travaux, inscrite dans le marbre par un arrêté de juillet 2019. "Tous les travaux mêmes minimes sont concernés et la présence d'amiante peut tout à fait bloquer un chantier", affirme pour sa part Nicolas Moulin de Vos travaux éco. "Notre politique consiste d'ailleurs à renforcer les contrôles des chantiers via des bureaux de contrôle tierce partie indépendante (Dekra, Bureau Veritas)."

 

Quant à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), jointe par nos soins, elle explique de son côté qu'il s'agit "d'un sujet qui concerne surtout les copropriétés". "Pour nous, ces diagnostics sont faits en amont, et ils sont d'ailleurs inclus dans les dossiers de demandes d'aides pour les travaux." L'agence ne fait aucun commentaire au sujet des aides apportées à des ménages individuels.

 

L'État doit-il prendre en charge le coût des diagnostics ?

 

Pour Luc Baillet, une solution serait la prise en charge par l'État du coût des diagnostics amiante, qu'il chiffre à 300 millions d'euros en partant sur une base de 500 euros unitaire. Au risque pour les pouvoirs publics de diminuer le nombre de chantiers réalisés en matière de coup de pouce - et donc d'atteinte des objectifs politiques de rénovation énergétique. Thierry Marchand (Fnaim) ne croit pas à la théorie d'un État qui négligerait volontairement les diagnostics avant travaux pour ne pas risquer de ralentir le rythme des chantiers. "Cette situation est plutôt le résultat d'un cloisonnement des services les uns par rapport aux autres", analyse-t-il. La politique amiante se décide au ministère du Travail, et non de la Transition écologique et solidaire ou du Logement. "Il faudrait un travail interministériel sur le sujet. Il est urgent de prendre conscience du risque !"

 

Le président de la Fnaim diagnostiqueurs pointe également le sujet de la bonne utilisation de l'argent des Français - les CEE étant financés, en dernière analyse, via les factures de chauffage de tout un chacun) : "Cet argent est-il bien utilisé lorsqu'il finance l'installation de laine de verre sous des toitures amiantés ?"

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