FINANCES PUBLIQUES. Suite à son audition par le Sénat, Christophe Béchu, le président de l'AFITF, a reconnu que les soubresauts politiques de ces derniers mois avaient eu des répercussions négatives sur le budget 2019 de son organisation. Elisabeth Borne, la ministre des Transports, a annoncé l'enveloppe, au moment où la LOM va être examinée au Sénat.

Ce 27 février 2019, la ministre des Transports, Elisabeth Borne, a déclaré à l'Agence France Presse qu'elle maintenait l'enveloppe prévue pour le budget 2019 de l'AFITF (Agence de financement des infrastructures de transports de France), soit 2,5 milliards d'euros, une somme un peu moins importante que prévu (2,6 Mds€) et approuvé le même jour par l'organisation. Celle-ci note que son budget est en hausse de 10% par rapport à l'exercice 2018, affirmant même qu'il "permettra d'assurer l'ensemble des investissements sur lesquels s'était engagé l'Etat pour cette année". "On a effectivement sur 2019 un sujet ponctuel - en tout cas conjoncturel - lié à la dégradation des radars. Comme les radars fournissaient une partie des recettes de l'AFITF, je ne vais pas vous dire que ça ne nous complique pas la vie", a admis Elisabeth Borne, ministre rattachée au ministère de la Transition écologique et solidaire. "Et donc on va trouver une solution sur ce sujet pour 2019." D'après le Gouvernement, plus de la moitié des radars routiers ont été endommagés depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, ce qui représente pour les caisses de l'Agence un manque d'environ 400 millions d'euros, issus des amendes.

 

 

Reste que le problème devra certes être réglé pour cette année mais également sur le long terme : "Pour 2020, on a toujours dit qu'on allait réfléchir à une nouvelle recette, pérenne, pour les infrastructures de transports", a assuré Elisabeth Borne. "Ce n'est pas un sujet sur lequel on va conclure sans attendre la fin du grand débat, mais ça reste évidemment un objectif de sécuriser la trajectoire d'investissement qui a été prévue." Pour rappel, la recette en question devra être en mesure de rapporter 500 millions d'euros chaque année à l'AFITF. Malgré cela, la ministre a tenu à rassurer ses interlocuteurs : "On va traiter 2019 pour répondre à nos engagements, et dans la durée, effectivement, on maintient les trajectoires qui ont été annoncées. On assure une montée en puissance sur l'entretien des réseaux, et on veut absolument mettre la priorité sur les transports du quotidien."

 

En parallèle, l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) va commencer le 6 mars prochain au Sénat - et non à l'Assemblée nationale comme le veut le processus législatif habituel. D'après nos confrères du Monde, des amendements au texte ont déjà été déposés par des sénateurs qui envisagent de flécher vers le budget de l'AFITF les recettes issues de la hausse de la TICPE - Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. De cette manière, 2 centimes d'euro par litre de carburant pour les véhicules légers et 4 centimes pour les poids lourds seraient prélevés puis totalement reversés à l'Agence. A l'heure actuelle, cette ressource représente 1,2 milliard d'euros affecté au budget de l'AFITF, alors que son potentiel est estimé à 1,9 milliard.

 

"Les limites du système de financement et la soutenabilité de l'AFITF ont été soulignées à plusieurs reprises"

 

Le mardi 29 janvier dernier, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a auditionné Christophe Béchu, le président du conseil d'administration de l'AFITF. Cette dernière, qui ne compte que quatre collaborateurs - un secrétaire général, un adjoint, un secrétaire et un comptable - aurait dû voter son budget 2019 à la mi-décembre 2018, mais les évènements sociaux et les soubresauts politiques de ces derniers mois ont retardé le processus. D'une manière plus générale, c'est la pérennité même des financements de l'agence qui ont motivé les sénateurs à entendre le responsable. Hervé Maurey, sénateur centriste de l'Eure, a d'ailleurs rappelé en préambule : "Les limites du système de financement et la soutenabilité de l'AFITF ont été soulignées à plusieurs reprises, que ce soit par la Cour des comptes ou par le Conseil d'orientation des infrastructures, et cela a conduit à ce que de nombreuses promesses en termes de réalisations d'infrastructures ne soient pas financées."

 

Taxe carbone et amendes radars, "victimes" collatérales des Gilets jaunes

 

Initialement, le budget 2019 de l'AFITF devait se chiffrer à 2,6 milliards d'euros, dont 1,2 Md€ financés au titre de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) et 500 M€ au titre des amendes radars, mais ces dernières auraient été surévaluées du fait que beaucoup de ces équipements ont été mis hors-service à cause de la révolte sociale des Gilets jaunes. Idem pour la TICPE, dont la contribution risque d'être plus faible que prévu, en raison des "renonciations" de l'exécutif sur la taxe carbone, là encore pour tenter d'apaiser la grogne sociale. Les deux questions fondamentales sont alors de savoir, d'une part de quelles ressources disposera l'agence pour l'année qui vient de débuter, et d'autre part si ses ressources seront votées à temps d'ici l'examen de la loi LOM (Loi d'orientation des mobilités) par le Sénat. "La situation sur les ronds-points de notre pays, au cours de ces derniers mois, a fait qu'il a été davantage question de pouvoir d'achat que de la manière de trouver des impôts nouveaux pour faire en sorte d'accompagner un programme d'infrastructures", note Christophe Béchu.

 

"La situation sur les ronds-points de notre pays, au cours de ces derniers mois, a fait qu'il a été davantage question de pouvoir d'achat que de la manière de trouver des impôts nouveaux pour faire en sorte d'accompagner un programme d'infrastructures."

 

A compter de 2020, les parlementaires s'interrogent donc sur "la mise en œuvre éventuelle de ressources additionnelles pérennes au budget de l'AFITF, à hauteur de 500 millions d'euros" : ce manque à gagner est précisé dans le texte de la LOM, mais quelles contreparties financières vont être proposées ? "Les trajectoires de dépenses devront-elles être revues à la baisse, sachant que 13,7 Mds€ sont prévus sur les 5 ans qui viennent, et 14 Mds€ sur les 5 ans qui suivent ?", se demande ainsi le rapporteur LR de la commission, Didier Mandelli.

 

Les séquelles de l'écotaxe se font encore sentir

 

Face aux parlementaires de la Haute assemblée, Christophe Béchu a admis "des zones d'ombre et d'incertitude [subsistant] à cause du 2e semestre 2018" : "Sans augmentation du budget, il n'y a pas de sujet sur la soutenabilité de l'agence à payer ce qu'elle doit, y compris sur une longue période ; en revanche, sans recette nouvelle, il y a une véritable impossibilité à faire en sorte de financer des projets nouveaux." En raison de l'actualité politique et sociale, le budget de l'AFITF ne sera voté que le 27 février, donc avant le début de l'examen de la LOM par le Sénat, ce qui répond à l'une des questions des parlementaires. Mais qu'en est-il des ressources à proprement parler ? "En 2018, nous avons eu la répercussion d'une forte diminution de nos encaissements au titre des amendes radars. Nous n'avons donc encaissé que 248 M€ au lieu des 450 M€ prévus."

 

 

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes, quant à elles, doivent contribuer à hauteur de 1 Md€ au budget de l'agence. Et pour compenser la privatisation des autoroutes, le système de l'écotaxe avait été pensé pour garantir des ressources pérennes à l'agence... avec le dénouement que l'on sait. "L'écotaxe ne s'est pas traduite par des recettes mais par des dépenses. 2018 nous a amené à payer les derniers crédits que nous devions au titre de la fin d'Ecomouv [la société jadis chargée par l'Etat de collecter l'écotaxe et à qui ce dernier devait rembourser le contrat annulé, ndlr] : presque 350 M€ ont été acquittés pour solder cet épisode", précise le patron de l'AFITF.

 

"L'écotaxe ne s'est pas traduite par des recettes mais par des dépenses. 2018 nous a amené à payer les derniers crédits que nous devions au titre de la fin d'Ecomouv [la société jadis chargée par l'Etat de collecter l'écotaxe et à qui ce dernier devait rembourser le contrat annulé, ndlr] : presque 350 M€ ont été acquittés pour solder cet épisode."

 

Des réseaux à moderniser et des projets à concrétiser

 

Quelques bonnes nouvelles sont toutefois à prendre en considération pour le montage financier du budget 2019, à commencer par les ressources émanant des produits énergétiques : "Malgré la décision prise de ne pas augmenter la TICPE pour l'année 2019, la part versée à l'agence sera bien d'1,2 Md€." En revanche, pour ce qui est de la création d'une nouvelle taxation, Christophe Béchu préfère mettre en garde le Gouvernement : "Pour des raisons éminemment politiques, je ne suis pas certain que la période soit extraordinairement propice au fait d'exposer ce que pourraient être les contours d'un nouvel impôt."

 

Mais comme le souligne le responsable devant la commission sénatoriale, les financements doivent impérativement être trouvés pour réaliser les opérations d'entretien-maintenance des réseaux à travers tout le pays : "L'enjeu des recettes nouvelles ne tient pas au fait d'honorer les engagements qui sont déjà les nôtres ; il est nécessaire pour accompagner [...] le renforcement des besoins au titre de la régénération, l'augmentation des crédits pour VNF [Voies Navigables de France], le financement potentiel d'un Plan vélo tel qu'évoqué dans la LOM, et la capacité à financer ou à accompagner des projets nouveaux, de nature ferroviaire ou routière."

 

"L'enjeu des recettes nouvelles ne tient pas au fait d'honorer les engagements qui sont déjà les nôtres ; il est nécessaire pour accompagner [...] le renforcement des besoins au titre de la régénération, l'augmentation des crédits pour VNF [Voies Navigables de France], le financement potentiel d'un Plan vélo tel qu'évoqué dans la LOM, et la capacité à financer ou à accompagner des projets nouveaux, de nature ferroviaire ou routière."

 

Les LGV pèsent encore lourd dans le budget de l'AFITF

 

La trajectoire du budget 2019 de l'AFITF prévoyait d'augmenter de 100 M€ le budget de régénération des infrastructures routières. S'agissant des équipements ferroviaires, leur modernisation dépend uniquement de la SNCF. L'agence n'intervient que sur les nouveaux projets de lignes, le système GSM-R (standard européen de télécommunications ferroviaires) et les trains Intercités. Malgré tout, c'est bien sur le ferroviaire que l'AFITF assumera les charges les plus lourdes dans les années qui viennent : jusqu'au milieu des années 2030, rien que les dernières LGV livrées représenteront une enveloppe de 4,5 Mds€.

 

Pour ce qui est des routes, le Conseil d'orientation des infrastructures a estimé qu'il fallait débloquer environ 1 Md€ chaque année pour enrayer la détérioration du réseau routier national non-concédé et assurer sa maintenance. Sur ce point, l'agence est parvenue à libérer 700 M€ au titre de l'année 2018, avec un objectif à 800 M€ pour 2019. Concernant VNF, les besoins sont estimés à 110 M€ pour 2019 afin d'assurer la modernisation du réseau fluvial, après une enveloppe de 80 M€ en 2018. "Quoi qu'il arrive, nous ne diminuerons pas ces sommes", assure Christophe Béchu. Mais si elles ne baissent pas, dans quelles proportions seront-elles augmentées ? Cela dépendra du budget finalement voté le 27 février.

 

Pas de programme spécifique pour les ponts

 

Et quid des ponts ? Après que la même commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a lancé une mission d'information sur la sécurité de ces ouvrages, suite à l'effondrement à l'été 2018 du viaduc de Gênes, les élus locaux sont maintenant invités à s'exprimer sur une plateforme Internet dédiée pour faire remonter les difficultés des collectivités territoriales à entretenir les ponts. Mais sur cette question, l'agence ne dispose pas d'un programme spécifique d'entretien-modernisation. "Les deux ponts qui ont les structures les plus altérées, le viaduc d'Echinghen sur l'A16 et le viaduc de Carontes sur l'A55, ne relèvent pas de l'agence ; le premier étant sur une partie concédée, le deuxième étant sur une partie non-concédée mais couvert par des crédits classiques", répond le patron de l'AFITF. "Mais, en l'état, autant l'agence pourrait avoir un rôle en aval de la mission d'expertise, autant elle ne peut pas en avoir en amont du diagnostic et du recensement des besoins." A l'heure actuelle, seulement quelques centaines de ponts auraient été expertisés sur les milliers que compte le réseau routier à l'échelle nationale.

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