ENTRETIEN EXCLUSIF. Le Gouvernement a renforcé les règles de sécurité incendie, notamment pour les immeubles de moyenne hauteur (IMH) créés par la loi Elan. Le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales (MCTRCT) justifie cette décision et précise ses enjeux pour Batiactu.

La loi Elan, promulguée fin 2018, a notamment pour objectif de renforcer la sécurité incendie dans les bâtiments de quatrième famille (de 28 à 50 mètres), bientôt rebaptisés immeubles de moyenne hauteur (IMH). AU lendemain de l'incendie de la tour Grenfell, à Londres, en juin 2017, le CSTB avait effectivement repéré une lacune dans la règlementation incendie française : les nombreuses isolations thermiques par l'extérieur posées sur ces immeubles de quatrième famille.

 

 

Alors que trois textes réglementaires encadrant ce renforcement devraient paraître l'été prochain, le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales (MCTRCT) a répondu aux questions de Batiactu autour de cette réforme.


Batiactu : Les pouvoirs publics vont interdire entre 28 et 50 mètres (dans le cadre de la création des immeubles de moyenne hauteur, les IMH) les produits trop combustibles, en privilégiant les solutions "pratiquement" incombustibles. Qu'entendent les pouvoirs publics par l'expression "pratiquement incombustibles" ? Certains types de matériaux sont-ils menacés ?

 

Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales (MCTRCT) : La formule "pratiquement incombustible" désigne usuellement un objet incombustible. En effet, l'incombustibilité absolue n'existe pas, le pouvoir calorifique supérieur (mesuré par essai) n'est jamais nul. Les éléments "pratiquement incombustibles" sont les éléments classés en réaction au feu A2 au moins, au sens du décret/arrêté d'application.

 

"Exclure les matériaux susceptibles d'engendrer une propagation rapide et incontrôlable du feu"

 

L'idée n'est pas d'exclure un matériau en particulier, mais plutôt tous les matériaux susceptibles d'engendrer une propagation rapide et incontrôlable du feu. Le polystyrène serait par exemple visé, ou le bois (parement). D'après le retour des laboratoires spécialisés, les systèmes de polystyrène sous enduit classiques n'atteignent pas la performance souhaitée et affichée par le décret.

 

Batiactu : Cette exclusion concernerait-elle les isolants de type polyisocyanurate (PIR) et les isolants biosourcés (laines de bois, paille, produits à base de coton, chanvre, etc.) ?

 

MCTRCT : Les exclusions concernent la performance du système de façade dans son ensemble. Le parement extérieur seul n'est pas suffisant pour atteindre une bonne performance. Les mauvais isolants d'un point de vue incendie sont donc concernés, qu'ils soient biosourcés ou non. Concrètement, le PIR n'est pas exclu, si un laboratoire agréé en résistance au feu ou en réaction au feu par le ministre de l'Intérieur démontre la performance d'un tel système. Considérant leurs réactions au feu, les isolants laines de verre ou de roche sont avantagés. Les parements extérieurs combustibles sont interdits.

 

Batiactu : Êtes-vous en discussion avez les fabricants et industriels de ces solutions qui pourraient sortir de la réglementation en matière de produits de façade ?

 

MCTRCT : La filière industrielle (AIMCC, FFMI, FIEEC) et la filière bois sont représentées dans la concertation (association Adivbois notamment, UMB-FFB).

 

Batiactu : Ces vues ne seraient-elles pas contradictoires avec la stratégie nationale bas carbone, et l'augmentation de la part de marché du bois dans la construction ?

 

MCTRCT : Non, car la construction des 28-50 mètres est marginale dans la construction (moins de 1%). Par ailleurs, sous certaines conditions (protection par un écran thermique et appréciation de laboratoire) le bois peut être employé en façade.

 

 

"L'idée est de ne fermer aucune porte si la preuve de la performance est apportée"

 

Batiactu : Qu'en est-il des solutions PSE, qui ont notamment l'avantage d'être économiques ?

 

MCTRCT : Les laboratoires sont partagés. D'un point de vue économique, l'encapsulage nécessaire pour atteindre la performance ad hoc semble lourd pour des isolants très combustibles et fusibles. Mais l'idée est de ne fermer aucune porte si la preuve de la performance est apportée, mais de ne permettre clairement que des solutions sûres.

 

Batiactu : Sur le parc existant d'immeubles de quatrième famille, l'État compte-t-il procéder à des injonctions de travaux s'il existe un risque identifié ? Que ce soit dans le parc privé ou dans le parc social ? Dans le cas d'injonction ou même en cas d'incitations, des aides seront-elles mises en place ?

 

MCTRCT : Dans un premier temps, une campagne de sensibilisation sera organisée à l'occasion de la sortie des textes pour inciter les propriétaires ou gestionnaires de bâtiments existants à s'assurer de l'état de ces bâtiments au regard des exigences définies dans ces textes.

 

"Il ne s'agit en aucun cas d'interdire les systèmes avec lame d'air"

 

Batiactu : Les pouvoirs publics ont également identifié le risque lié aux systèmes avec lame d'air (risque d'effet cheminée). Entendez-vous par là que tout système d'isolation avec lame d'air sera interdit entre 28 et 50 mètres ? Ou bien que la lame d'air puisse être maintenue mais en suivant des procédés de construction et de sécurisation encore plus stricts ?

 

MCTRCT : Les lames d'air ne sont pas nécessairement dangereuses, il ne s'agit en aucun cas d'interdire les systèmes avec lame d'air. Mais les systèmes avec lame d'air peuvent favoriser la propagation verticale des flammes. Il s'agit donc de respecter les règles de recoupement de ces lames d'air.

 

Batiactu : Quel est le calendrier de la mise en œuvre de cette réforme de la sécurité incendie pour les IMH ?

 

MCTRCT : La publication des textes est prévue pour l'été, avec prise d'effets en janvier 2020. En résumé, le décret ne vise pas les produits en particulier, il fixe des critères de performance d'ensemble de la façade qui s'apprécie notamment sur des tests en laboratoire reconstituant les situations réelles (essai Lepir). En l'état actuel des technologies, certains matériaux ne pourront pas être utilisés sur ces catégories d'immeubles (1% des constructions neuves) mais restent utilisables en dessous. Suite à l'incendie de la tour Grenfell à Londres, l'ensemble de la réglementation a été passée en revue afin d'évaluer les risques. Aucune difficulté notable n'a été relevée à ce jour. La réglementation prévient la propagation rapide du feu en façade. Toutefois, les immeubles de 4ème famille ont fait l'objet d'une attention particulière par rapport aux autres catégories de bâtiments : les IGH mieux protégés ou au contraire les immeubles plus bas pour lesquels les conditions d'évacuation ou de confinement sont satisfaisantes. Cela a conduit à renforcer les conditions de résistance au feu des façades.

 

actionclactionfp