ENTRETIEN. Les victimes d'incendies dans l'habitat ancien ont été nombreuses ces derniers mois. Pourtant, des solutions simples existent pour sécuriser au mieux ce type de bâtiments, comme nous l'explique Jean-Michel d'Hoop, expert honoraire auprès de la Cour d'Appel de Paris.

Batiactu : Ce début d'année 2019 est marqué par de nombreux incendies dans des immeubles d'habitation. Identifiez-vous un point commun dans tous ces sinistres ?

 

Jean-Michel d'Hoop : Effectivement, depuis le 1er janvier 2019, cinq incendies de ce type ont fait des dizaines de victimes (à Courchevel, rue Trévise, porte d'Orléans et rue Erlanger à Paris, rue Bayard à Toulouse). Le dénominateur commun, c'est que tous ces immeubles ont été construits avant 1970, année du premier texte précisant les premières véritables mesures de sécurité répondant au décret de 1955 qui indiquait très brièvement : "La construction doit pouvoir permettre aux occupants en cas d'incendie soit de quitter l'immeuble sans secours de l'extérieur, soit de recevoir, le cas échéant, un tel secours."

Batiactu : Ne pourrait-on pas soumettre ces bâtiments de manière rétroactive à la réglementation ?

Jean-Michel d'Hoop : Une 'mise en conformité' à la réglementation actuelle (1er janvier 1986) ne peut pas être envisagée du fait que la réglementation n'est justement pas rétroactive, et que le bâti existant rend une telle démarche impossible. Toutefois, dans l'esprit de la loi Essoc et du permis de déroger qu'elle introduit, je pense que l'on doit pouvoir être créatif et ne pas se limiter au catalogue des dispositions réglementaires pour relever le niveau de sécurité des immeubles existants, immeubles qui abritent la grande majorité des habitations collectives.

 

Pour répondre à l'exigence énoncée en 1955, la réglementation actuelle est basée sur le principe fondamental suivant : le feu dans un logement ne doit pas se propager aux autres logements ; seuls les occupants du logement sinistré doivent évacuer (en refermant la porte palière) ; les occupants gagnent un premier espace sécurisé (palier), ventilé ou, mieux, désenfumé ; ils peuvent alors gagner un escalier à l'abri des fumées (encloisonné ou à l'air libre) ; les secours peuvent intervenir par les façades. Ce cahier des charges doit pouvoir servir de fil conducteur pour toute réflexion visant à améliorer l'existant.

Batiactu : Quelles mesures de protection pourraient être prises pour ces immeubles-là ?

Jean-Michel d'Hoop : Voici quelques exemples de mesures qui peuvent être compatibles avec l'existant. Éviter la propagation du feu aux autres logements est un point souvent impossible à réaliser dans le bâti ancien sans prévoir la démolition. Le principe du 'C+D' ne peut être mis en œuvre, les planchers n'ont pas une réelle résistance au feu, etc. Il faut donc réfléchir autrement, surtout lorsque l'on sait que les incendies sont aujourd'hui beaucoup plus violents qu'il y a 50 ans du fait du contenu des logements.

 

 

Il faut donc envisager des solutions visant à interrompre très rapidement le développement de l'incendie. Envisager l'utilisation d'extincteurs par les occupants (qui seraient valides et formés) présente trop de risques. Une solution utilisée dans d'autres pays (USA, UK, Pays Scandinaves, etc.) est le sprinkleur résidentiel qui est sur le point d'être l'objet d'une norme en France. Pour limiter les risques de propagation du feu aux autres logements, mais surtout aux parties communes, on peut aussi remplacer les portes palières, si nécessaire, par des portes résistantes au feu et aux malfaiteurs. De telles portes répondent également à des critères de confort acoustique.

 

Enfin, en ce qui concerne l'espace commun comprenant les paliers et l'escalier : cet espace, pour permettre l'évacuation, doit être désenfumé : il faut alors utiliser toutes les possibilités pour créer des ouvrants (c'est souvent le cas dans les immeubles haussmanniens), sinon installer des pyrodômes à l'occasion d'une intervention sur l'étanchéité de la toiture. Ce point important peut compenser l'impossibilité structurelle d'encloisonner l'escalier. On pourra enfin remplacer les revêtements des murs et des sols par des matériaux incombustibles ne dégageant pas de fumées toxiques.

Batiactu : Ce genre de dispositions semblent d'autant plus importantes du fait que, comme dans le sinistre rue Erlanger, le lieu de l'incendie peut être difficilement accessible pour les services de secours...

Jean-Michel d'Hoop : Lorsque c'est le cas, il faut prévoir des installations fixes permettant aux sapeurs- pompiers d'accéder aux étages. Des escaliers de secours extérieurs, tels que fréquemment installés aux États-Unis, pourraient être prévus au fond d'une cour et permettraient également l'évacuation des occupants. D'autre mesures ponctuelles peuvent être mises en œuvre, telles qu'un isolement des locaux destinés aux poubelles, aux stockages des colis commandés par Internet, des locaux techniques (chauffage, électricité).

 

Ce 'catalogue' n'est pas exhaustif. La seule démarche à prévoir consiste à oublier la notion de conformité qui, dans ce cas n'est d'aucune utilité. Il faut se référer aux principes fondamentaux et étudier quels sont les moyens, en termes d'efficacité et de coût, qui peuvent être raisonnablement envisagés pour approcher un niveau de sécurité acceptable dans notre société d'aujourd'hui.

actionclactionfp