ENTRETIEN. L'administration est en passe de renforcer les exigences anti-incendie pour certaines catégories d'immeubles d'habitation. La Fédération française de l'assurance (FFA), par la voix de Christophe Delcamp de la direction des assurances de dommages et responsabilité, invite les pouvoirs publics à profiter de cette occasion pour traiter le sujet en profondeur.

En matière de renforcement de la sécurité incendie dans les bâtiments, trois projets de textes viennent d'être présentés devant le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) : le décret relatif aux travaux de modification des immeubles de moyenne hauteur et son arrêté d'application (précisant les solutions constructives acceptables pour les rénovations de façade) et l'arrêté modifiant l'arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation.

 

En l'attente de la publication des texte finaux, la Fédération française de l'assurance a proposé des pistes d'amélioration. Détails avec Christophe Delcamp de la direction des assurances de dommages et responsabilité.

 

Batiactu : Le Gouvernement va renforcer la sécurité incendie des immeubles de troisième et quatrième familles, ces derniers étant renommés "Immeubles de moyenne hauteur" (IMH) par la loi Elan promulguée fin 2018. Trois textes ont été présentés devant le CSCEE : qu'en pense la FFA ?

 

Christophe Delcamp : Tous ces travaux de renforcement menés par l'administration, notamment l'article 30 de la loi Elan créant les immeubles de moyenne hauteur (IMH), vont dans le bon sens [lire notre article ici, NDLR]. Ils viennent en effet combler un manque réglementaire en matière de sécurité incendie dans les immeubles d'habitation de quatrième famille (de 28 à 50 mètres). Celui que le rapport du CSTB, réalisé après l'incendie de la tour Grenfell en 2017, avait identifié [lire notre article ici, NDLR].

 

Nous regrettons toutefois que ce travail n'ait pas été lancé plus tôt. Il y a, en effet, eu plusieurs alertes : l'incendie de la tour Mermoz, à Roubaix, en 2012 ; celui du foyer Adoma, à Dijon, en 2010. Un autre sinistre, moins connu, a eu lieu le 29 mai 2012, en Allemagne, durant un chantier de pose d'isolation thermique par l'extérieur, avec une propagation rapide du feu [voir les images ici, NDLR]. Tous ces exemples malheureux prouvent qu'il faut traiter ce sujet avec tout le sérieux qu'il mérite.

 

Batiactu : Les projets de textes soumis au CSCEE vous ont-ils satisfaits ?

 

Christophe Delcamp : Dans une certaine mesure seulement. C'est pourquoi nous avons formulé plusieurs propositions, en nous basant sur les retours d'expérience des incendies qui ont déjà eu lieu, mais également sur notre vision globale de la vie d'un immeuble : nous assurons en effet les bâtiments dès la phase chantier, puis durant toute leur phase d'utilisation qui dure plusieurs dizaines d'années.

 

 

Lors du sinistre de Roubaix, les fenêtres étaient restées ouvertes et le feu avait ainsi pénétré à l'intérieur des appartements. Nous savons que la réglementation française en matière d'IGH ne permet pas aux occupants d'ouvrir les fenêtres ; ce risque y est donc exclu. En IMH, il ne le sera pas car les habitants pourront ouvrir les fenêtres. Il faut donc garder ce risque en tête et bien réfléchir aux caractéristiques des produits qui seront posés en façade de ces immeubles.

 

En matière de classement des matériaux du système d'isolation pour les IMH, les pouvoirs publics proposent de rendre obligatoire du A2-s3-d0 (s3 correspondant à des matériaux dégageant beaucoup de fumées). Nous avons proposé que le texte impose du s1, c'est-à-dire un faible dégagement de fumée. En effet, les fumées sont asphyxiantes et brûlantes, elles génèrent des lésions parfois irrémédiables pour les habitants qui les inhalent. Elles sont opaques, ce qui peut déclencher un effet de panique. Leur température élevée peut, enfin, jouer un rôle dans la propagation de l'incendie.

 

"Le texte n'évoque pas non plus l'idée de rendre obligatoires des contrôles périodiques"

 

Toujours au sujet de la classification des éléments, les pouvoirs publics envisagent de permettre qu'un sous-ensemble du système de façade soit classé en-dessous du seuil de A2-s3-d0, si celui-ci est protégé par un écran thermique. Mais les caractéristiques d'un tel écran ne sont pas précisées par le projet de texte. Et rien n'est dit sur l'évolution de sa performance dans le temps, sur plusieurs décennies. Le texte n'évoque pas non plus l'idée de rendre obligatoires des contrôles périodiques pour précisément vérifier cela. Ce point est clef au regard du vieillissement des immeubles.

 

Batiactu : Vous parliez d'un exemple allemand de sinistre durant un chantier d'ITE. Auriez-vous souhaité que ce point soit traité également ?

 

Christophe Delcamp : Oui, c'est un type de sinistre qui existe. Nous aimerions qu'un focus soit fait sur les opérations de rénovation, sachant de plus que les isolations thermiques par l'extérieur sont posées en site occupé. Pourquoi ne pas instaurer une limitation des volumes d'isolants combustibles sur site ? Car ils sont parfois stockés sur place sans être protégés par un écran thermique.

 

Voici donc les points que nous avons défendus devant le CSCEE ; et je note qu'au lendemain de cette réunion a eu lieu l'incendie de Draguignan. Un sinistre qui n'a heureusement fait aucune victime, mais qui vient rappeler que le risque de propagation rapide d'un feu par la façade est toujours présent. Ainsi, tant qu'à ouvrir ce chantier réglementaire, autant le mener à terme en abordant l'ensemble des points, plutôt que d'opter pour une réponse qui se révèlerait incomplète. Le risque serait ensuite de devoir recourir à des solutions radicales, comme au Royaume-Uni après Grenfell : interdiction de tout produit combustible en façade au-delà de 18 mètres et déblocage de centaines de millions d'euros pour remplacer des systèmes de façades défaillants en logement social.

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