MAQUETTE NUMÉRIQUE. Quels sont les risques juridiques posés par l'utilisation de plus en plus massive de la maquette numérique ? C'est à cette question que l'avocat Cyrille Charbonneau a souhaité répondre lors des 11èmes rencontres de l'assurance construction.

"Aujourd'hui, le Bim n'est plus un fantasme : de très nombreux projets, de toutes tailles, y ont recours. Mais, juridiquement parlant, il n'y a encore aucune assise légale." C'est sur ce décalage que Cyrille Charbonneau, avocat associé au cabinet Aedes Juris, a disserté à l'occasion des 11èmes rencontres de l'assurance construction, qui se sont déroulées en novembre 2018 à l'institut océanographique de Paris. "Le Bim, c'est pour le moment un sujet de l'imprévision. C'est chic, on le fait parce qu'il faut le faire, mais on le fait sans rien écrire : et pour l'assureur, ce n'est pas rassurant ! Si on n'écrit rien, on le regrettera tous. Du Bim non contractualisé, c'est la meilleure façon de déboucher sur une grave difficulté."

 

Le garant de l'unicité de la maquette, le Bim manager

 

Pour l'avocat, la nouveauté apportée par ce dispositif est la "réalisation d'un bâtiment virtuel avant son édification réelle". "C'est l'agglomération des contributions des intervenants autour d'une unicité, et cela à tout stade de la construction et de la vie d'un bâtiment." Le garant de cette unicité étant le Bim manager, qui effectue la coordination entre les différents acteurs, sous l'égide du maître d'ouvrage. "Puisque chacun doit contribuer à la maquette unique, il faut des règles du jeu communes. C'est l'intérêt de la maquette numérique : cela permet, avant la phase réalisation, de vérifier les concordances entre chaque partie et de corriger cela par un coup de souris, sans en arriver aux problèmes liés aux réservations du gros œuvre."

 

 

Pour que cela puisse fonctionner, le document contractuel est celui de la convention Bim. "Les chartes Bim existent également, mais seulement lorsque les maîtres d'ouvrage ont des velléités particulières pour que le Bim qui sera dans leur projet réponde à leurs exigences opérationnelles - les sociétés HLM ont été parmi les premières à mettre en place ce genre d'outils", observe Cyrille Charbonneau.

 

"Il y autant de versions du Bim que de situations contractuelles"

 

Il résulte de cette contractualisation propre aux souhaits particuliers de chaque maître d'ouvrage pour son projet "qu'il y autant de Bim que de situations contractuelles", comme le résume l'avocat. "Dans certains cas, un maître d'ouvrage veut juste une maquette séduisante pour plaire à un banquier qui le financera. Dans d'autres, il veut aller jusqu'au Bim exploitation et maintenance. Aujourd'hui nous sommes rarement en 'full Bim', la plupart s'arrêtent en phase de document de consultation des entreprises (DCE)."

 

L'un des soucis rencontrés sur le terrain étant le fait que "le degré de maturité des maîtres d'ouvrage est à peu près inexistant" en matière de maquette numérique (mis à part les sociétés HLM), alors même que c'est à eux d'impulser la dynamique. Pour que la "bimisation" d'un projet soit efficace et cohérente, il faut en effet que le client sache où il veut aller dès le début du projet, et dans quel but précis il souhaite avoir recours à la maquette numérique, ce qui ne semble pas être toujours le cas.

 

Quelle est la différence entre un bon et un mauvais Bim manager ?

 

Là où le bât blesse, également, c'est que bien souvent aucune règle ne prévoit d'encadrer le processus dans la convention Bim. Par exemple, des sanctions sont-elles prévues contre un intervenant qui ne rendrait pas sa copie Bim à temps ? Et quels sont les contours exacts du rôle du Bim manager ? "Un bon Bim manager ne décide rien, mais révèle aux intervenants concernés qu'il constate un problème de compatibilité entre les parties qu'ils ont communiquées. Mais il ne doit pas être maître d'œuvre et ne pense pas à l'ouvrage."

 

L'avocat a toutefois repéré des situations dans lesquelles tout n'est pas aussi clair. "Imaginons qu'un intervenant rende, juste avant la date butoir, une maquette qui est en 2D et non en 3D, ou qui a été mal faite. La tentation est grande pour le Bim manager de finir le travail lui-même - passer du 2D ou 3D, ou apporter des corrections à la contribution en 3D. La question devient alors : en finissant le travail, en déplaçant peut-être certains éléments avec sa souris, le Bim manager ne devient-il pas un constructeur ? Ne sort-il pas de son rôle d'agrégateur de contenus ? Il ne faut pas oublier que le Bim ne fonctionne que si chacun reste à sa place."

 

Des progrès restent donc à effectuer avant que l'utilisation de la maquette numérique soit bordée juridiquement.

 

Trois points de risques liés à la maquette numérique

 

En résumé, l'avocat Cyrille Charbonneau a repéré trois risques principaux liés à l'utilisation de la maquette.

 

- "La maquette numérique est en mouvement permanent", a-t-il expliqué lors des 11èmes rencontres de l'assurance-construction. "On produit tous des maquettes et on les agglomère ; mais à quel moment va-t-on cristalliser la maquette et vérifier qu'elle est bien conforme à chaque phase réelle de travaux ? Il faut séquencer la livraison en Bim. Mais cela n'est pas fait systématiquement." Le problème se pose également dans la numérisation de bâtiments existants : qui garantit que la maquette réalisée correspond parfaitement au bâtiment réel ?

 

- Un autre risque concerne l'utilisation de malwares pour bloquer la maquette contre rançon. "Comme tout est stocké dans le cloud, les constructeurs peuvent aussi se retrouver confrontés au problème d'altération du support de la construction." Il y a un risque de perte de données et/ou d'atteinte à la maquette.

 

- "Il faut un principe de primauté de la maquette numérique sur tout autre chose", avance enfin Cyrille Charbonneau. "Le seul intérêt du Bim, c'est qu'on va tout rassembler pour vérifier que tout est correct avant de passer à l'exécution. C'est une forme de prévention du risque. Mais cela ne fonctionnera que si tout ce qui a été entré dans la maquette est conforme, et que tout ce qui en sort va conduire à l'exécution." D'où l'importance d'écrire et contractualiser. "La maquette numérique change la donne en matière d'imputabilité et de traçabilité. On doit savoir qui a fait quoi, et à quel moment."

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