PATRIMOINE. La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales a auditionné ce 7 mai l'animateur Stéphane Bern sur deux sujets : la Mission Patrimoine qu'il dirige et qui lui a été confiée par Emmanuel Macron, et le rôle des collectivités et des métiers du bâtiment dans la sauvegarde du patrimoine local. Le journaliste en appelle notamment à un "New Deal du patrimoine".

"Le seul facteur d'égalité entre les villes et les zones rurales, c'est le patrimoine." Là où les services et équipements publics font défaut, c'est-à-dire au coeur des zones blanches qui représentent tout de même une part non-négligeable du territoire national, c'est le patrimoine qui fait office de passerelle entre les citoyens : voilà le message du journaliste Stéphane Bern, auditionné ce 7 mai par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, qui s'est réunie en visioconférence sur le thème "Patrimoine et collectivités territoriales". Au moment de la remise d'un rapport parlementaire intitulé "Les maires face au patrimoine historique architectural : protéger, rénover, valoriser", le présentateur de Secrets d'histoire lance une plateforme participative sur le site www.missionbern.fr pour permettre à chaque citoyen de signaler des monuments historiques et sites remarquables qui nécessiteraient des financements en vue de travaux de rénovation.
 

22 millions d'euros récoltés en 2018 par le Loto du patrimoine, "un levier" pour enclencher des chantiers


Aujourd'hui, Stéphane Bern se félicite d'avoir réussi à sensibiliser les Français sur ces questions - même s'il reste encore beaucoup à faire - mais interpelle aussi l'Etat et les collectivités territoriales à faire preuve d'encore plus d'engagement, surtout en ces temps compliqués de crise sanitaire et économique qui risque de perturber fortement les secteurs de la culture et du tourisme pour cet été. Le Loto du patrimoine, qui a permis de collecter 22 millions d'euros en 2018, n'a pourtant pas fait office "d'alpha et d'oméga" mais doit être perçu comme "un levier" qui a permis d'enclencher un certain nombre de chantiers de rénovation, abondés par le mécénat et par des organisations comme la Fondation du patrimoine. A noter : une visioconférence entre le ministre de la Culture, Franck Riester, et les acteurs du patrimoine est prévue la semaine prochaine pour aborder notamment les questions de fiscalité dans l'optique de relancer les travaux de réhabilitation. "Parce que ma crainte, c'est qu'on privilégie évidemment les grands chantiers, alors que je pense que les petits chantiers sont beaucoup plus intéressants pour les normes sanitaires", a déclaré Stéphane Bern face aux sénateurs. "Il faut rouvrir d'urgence les petits sites et soutenir les petits chantiers. Il va falloir qu'on travaille pour sauver ce petit patrimoine de proximité."
 
"On est favorable au patrimoine, on est favorable à la préservation des sites."

Et l'animateur de faire lien avec la revitalisation des centres-bourgs et des centres-villes, le patrimoine devant être considéré comme "un cadeau" offrant "une manne touristique" mais aussi comme "un investissement" permettant de créer des emplois non-délocalisables. Le paysage doit aussi être préservé et ne pas être dénaturé par des constructions comme les aérogénérateurs : "Je suis un peu plus réticent sur les éoliennes [...], ça fait du bruit, c'est une lumière permanente, c'est une énergie intermittente", tacle Stéphane Bern. "On est favorable au patrimoine, on est favorable à la préservation des sites." Dans tous les cas le Loto du patrimoine va donc continuer, et la nouvelle saison est lancée : "On a déjà les 18 sites, je pense qu'on sera prêt fin août pour annoncer les 103 monuments du maillage territorial", poursuit l'animateur.



Mais les problèmes financiers demeurent : "Ce qui est compliqué, c'est qu'on n'a pas de visibilité sur la manière dont les compensations des taxes vont être débloquées par l'Etat ; or ces compensations ne peuvent aller que sur des monuments historiques, classés ou protégés." Face au désengagement de certaines Drac (Directions régionales des affaires culturelles) pour financer des sites ayant bénéficié de sommes issues du Loto, la Mission Patrimoine répète qu'elle n'a jamais eu vocation à se substituer à l'Etat mais vient "en renfort" en apportant une aide complémentaire, au même titre que les aides régionales ou européennes : "Ce n'est pas fromage ou dessert, c'est fromage et dessert", assène Stéphane Bern.
 

Assouplir l'ingénierie administrative et miser sur le patrimoine pour la relance économique


Ce dernier a par ailleurs déploré, une nouvelle fois, les lourdeurs et complexités administratives - "un cahier des charges impossible" - ainsi que le "problème d'ingénierie administrative" auxquels sont confrontées les collectivités territoriales, avec d'un côté le retrait des Architectes des bâtiments de France et de l'autre, l'Assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) qui doit être renforcée : "Il faut augmenter le travail de l'AMO, que le ministère de la Culture en fasse un service qu'il rende, à travers les Drac, aux collectivités et aux maires", estime le journaliste. Qui en appelle aussi à un plan massif : "Il faudrait décréter que le patrimoine rural est une cause nationale, débloquer l'argent nécessaire parce que ce sont des grands chantiers - on parle de New Deal, voilà ce que j'aimerais entendre de la part de l'exécutif, un New Deal en faveur du patrimoine !"

Face à la récession qui pointe déjà le bout de son nez, Stéphane Bern considère que "le patrimoine est essentiel pour relancer l'économie de notre pays". Et cela passe par tout un maillage économique et social, présent dans les territoires et qui contribue à les faire vivre : "Ce sont des micro-entreprises, des artisans : je pense à mes tailleurs de pierres, à mes charpentiers, je pense à mes couvreurs, à mes maçons, à tous ceux qui travaillent ici sur nos chantiers du patrimoine - ce sont des auto-entrepreneurs, ils n'ont aucune sécurité, ils ont besoin qu'on leur donne des chantiers !"
 
"Alléger parfois ce qui est pointilleux, et en même temps rester très strict sur les normes"

Face à tous ces "blocages", le chantier est donc "vaste". L'animateur juge qu'il faut "alléger parfois ce qui est pointilleux, et en même temps rester très strict sur les normes - il ne peut pas y avoir de dérogation à la sécurité du patrimoine", renvoyant à la loi d'exception sur la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. "Ces métiers d'art, c'est la transmission des savoirs. On doit initier les jeunes au patrimoine. C'est accessible pour tous, c'est une chance qu'on doit donner à tous les enfants de France, de découvrir le patrimoine, de se l'approprier, de faire en sorte qu'ils deviennent les Stéphane Bern de demain, qu'eux-même ensuite transmettent cet amour du patrimoine", a-t-il conclu face à la caméra des sénateurs, en comparant les métiers d'art à "de l'or entre nos mains", le patrimoine français à "notre gisement de pétrole".

 

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