CONJONCTURE. En cette rentrée 2021, la Fédération française du bâtiment parle d'une relance économique "bridée" pour le secteur. La maison individuelle redresse nettement la barre, l'amélioration-entretien remonte la pente. Mais les difficultés de recrutement et d'approvisionnement en matériaux menacent à terme la santé financière des entreprises.

La reprise économique est là, mais elle n'est pas suffisante. Indéniablement et fort logiquement, le premier semestre de l'exercice 2021 enregistre une nette hausse de l'activité dans le secteur de la construction en comparaison à celui de 2020. Mais on est encore loin du niveau d'avant-crise sanitaire, si l'on en croit la Fédération française du bâtiment (FFB).

 

 

La maison individuelle redresse nettement la barre avec une progression de 4% des mises en chantier, de 18,3% des délivrances de permis de construire et de 16,3% des ventes. "La dynamique du logement neuf constitue la très bonne surprise du premier semestre. Les évolutions ressortent bien plus positives que prévu", note Olivier Salleron, le président de la FFB. Qui se dit toutefois vigilant sur le "Zéro artificialisation nette" (ZAN), la Réglementation environnementale 2020 et les futures recommandations du Haut conseil de stabilité financière (HCSF), qui influence les politiques des banques en matière d'octrois de crédits. "La volonté de nos concitoyens d'avoir une maison avec un bout de jardin se confirme avec une tendance au Covid long. En revanche, certes les mises en chantier se redressent, mais il s'agit avant tout d'un effet de report des projets qui ont été retardés en 2020", poursuit Olivier Salleron. "La fin d'année 2021 et le début d'année 2022 resteront incertains. On attend aussi les premières conclusions de la mission Rebsamen le 20 septembre puis le 20 octobre."

 

Ma prime rénov' et les CEE boostent les travaux de rénovation énergétique

 

La relance se fait également sentir sur le segment de l'amélioration-entretien, dont le chiffre d'affaires global reste certes inférieur d'environ 5% à son niveau des six premiers mois de 2019. Les chantiers de rénovation énergétique de logements, boostés par les très bons résultats de Ma prime rénov' et les Certificats d'économie d'énergie (CEE), engrangent néanmoins 4,1%. Ce qui devrait permettre à l'ensemble du segment de renouer avec son volume d'activité d'avant-crise, "surtout si l'effet des 4.214 projets de rénovation énergétique des bâtiments d'État retenus dans 'France relance' s'amplifie", note la FFB. "L'amélioration-entretien déçoit ; toutefois la rénovation énergétique tient ses promesses, grâce au redéploiement de Ma prime rénov'", analyse de son côté son président, qui ajoute que "la rénovation énergétique dans le non-logement reste donc encalminée".

 

En revanche, moins bons sont les chiffres des logements collectifs et des bâtiments non-résidentiels : les premiers ont vu leurs mises en chantier augmenter de 3,5% sur deux ans, mais c'est la résultante des reports de projets qui n'ont pas pu être lancés en 2020. Permis et ventes des logements collectifs dégringolent par contre de presque 7%. "Le blocage réside dans la délivrance des permis de construire" confirme Olivier Salleron, bien que cette situation ne s'observe que dans les grandes agglomérations. "De fait, le rapprochement des sept premiers mois de 2019 et 2021 révèle une chute de 11% du collectif en zone A, Abis et B1, alors qu'il progresse de 21% ailleurs et que l'individuel se redresse partout", analyse la fédération. Qui constate aussi avec "inquiétude" que "tous les segments du marché" du non-résidentiel neuf "continuent de fortement reculer sur deux ans, y compris la commande publique".

 

Le contexte économique risque d'assombrir le bilan de l'année

 

Sur la base de ces indicateurs, la FFB révise donc ses prévisions formulées en début d'année et table désormais sur une baisse de 5% de l'activité du secteur sur l'ensemble de l'exercice 2021 par rapport à celui de 2019. Dans le détail, le neuf reculerait de 8,1%, le logement de 5%, le non-résidentiel de 12,4% et l'amélioration-entretien de 2,9%. En comparant aux volumes d'activité du premier semestre 2019, les six premiers mois de 2021 accusent -8,6% pour le neuf, dont -7% pour le logement et -10,8% pour le non-résidentiel, et -4,8% pour l'amélioration-entretien, soit -6,3% pour l'ensemble de la filière. Et ce, même si les carnets de commandes sont présentés comme remplis et les perspectives, très bien orientées.

 

Car le contexte économique reste pour le moins très incertain : les difficultés d'approvisionnement en matériaux, voire les pénuries de certains produits, se poursuivent, avec des prix qui augmentent encore en ce mois de septembre, notamment pour le bois, le PVC et l'acier. "Pour l'heure, les entreprises font le dos rond, parfois dans un effort partagé avec les donneurs d'ordres", juge la fédération. Ce qui n'empêche pas une certaine désorganisation des chantiers, avec parfois des retards à la clé, des problèmes pour répondre aux appels d'offres, ainsi que des marges et des trésoreries qui se dégradent. Les professionnels ne voient pas d'amélioration avant au moins la fin de l'année, notamment pour le bois. Un sujet qui interpelle d'ailleurs le bâtiment :

 

"Nous attendons que la filière bois se restructure un peu plus puisque les matériaux biosourcés prévalent dans la RE2020. Or, si à la moindre secousse du marché nous sommes en pénurie, nous ne pourrons pas appliquer de nouvelles normes avec des matériaux que nous n'avons pas."
-Olivier Salleron

 

Attirer les candidats

 

Et pourtant, preuve que la situation économique et le marché de l'emploi sont relativement décorrélés, environ 70.000 postes ont été créés dans le secteur au cours du premier semestre 2021. Un "hiatus" qui s'explique par la très bonne tenue des carnets de commandes, faisant de la construction le seul secteur d'activité économique à afficher des hausses d'effectifs. Tout n'est cependant pas gagné : "Cette situation n'est pas durable et pourrait s'aggraver si rien n'est fait dans l'avenir, car les entreprises ont très peu de réserves", prévient Olivier Salleron.

 

 

Des réserves qui seront peut-être amenées à grossir grâce au "succès" de l'opération "Jeunes talents bâtisseurs", qui a déjà permis de recruter près de 10.000 jeunes, demandeurs d'emploi et stagiaires principalement venus des quartiers difficiles, "y compris en zone rurale". L'insertion de réfugiés en situation régulière permet également de fournir des bras à la filière. "Ce qui veut dire que nous pouvons trouver de la main-d'œuvre", souligne le patron de la FFB, avant de préciser : "Les artisans ne prennent des apprentis que si et seulement si leur carnet de commandes est bien rempli".

 

Évidemment perçue comme "une très bonne chose", la prolongation des aides à l'embauche de jeunes en apprentissage annoncée par le Premier ministre Jean Castex ne doit pas pour autant dédouaner le rôle des entreprises : "À nous aussi d'être beaucoup plus malins, attractifs pour les jeunes adultes, en communiquant sur l'intelligence artificielle, l'innovation dans nos métiers. L'image du secteur a peut-être changé après le Covid, avec une reprise rapide et résiliente, et des métiers qui rémunèrent bien. L'ascenseur social fonctionne dans le bâtiment", plaide Olivier Salleron. À la veille du lancement d'une campagne nationale en faveur des métiers du bâtiment, la FFB insiste une nouvelle fois auprès de ses adhérents pour développer l'apprentissage.

 


"Tant que les carnets de commandes sont pleins, on gardera ces effectifs."
-Olivier Salleron

 


Une "Ma prime RE2020" sous forme de subvention ?

 

"Pour éviter un crash de l'emploi décalé dans le temps et pallier le choc des matériaux", ce dernier demande par ailleurs de procéder à une indexation généralisée des marchés et au gel des pénalités de retard sur tous les marchés - qui ne s'applique pour l'heure que pour celui des marchés publics. Dans le cadre du projet de loi de Finances 2022, le bâtiment souhaiterait en outre que l'État prenne intégralement en charge l'activité partielle en cas de problème d'approvisionnement handicapant pour l'entreprise.

 

En parallèle, le secteur rappelle les propositions qu'il a porté auprès de la commission Rebsamen pour relancer le logement collectif neuf, particulièrement en zone tendue : la mise en place d'une instance de médiation sur les refus de permis, des mesures spécifiques pour accélérer le traitement des contentieux portant sur ces mêmes refus de permis, des contre-parties financières ou urbanistiques en cas de surcoûts identifiés et l'instauration du permis déclaratif. S'agissant de l'individuel neuf, la FFB souhaite aussi introduire une "possibilité de modulation locale" dans le ZAN. Afin de ne pas casser la dynamique de la rénovation énergétique, les professionnels demandent également à ne plus modifier Ma prime rénov' et les CEE, ainsi que la mise en place d'un accompagnement financier pour pallier les surcoûts engendrés par la RE2020. Celui-ci pourrait se traduire par un crédit d'impôt sur les amortissements d'emprunt dans le neuf ou "pourquoi pas par une Ma prime RE2020" sous forme de subvention, indique Olivier Salleron.

 

Le "lean management" en complément de la REP

 

Au 1er janvier 2022, les acteurs de la construction vont aussi faire face à la mise en place "progressive" de la filière REP (Responsabilité élargie du producteur de déchets), après des années de discussions. Si le dossier ne les inquiètent pas, ils ne garantissent toutefois pas d'être totalement prêts en temps et en heure : "Il y a beaucoup d'interrogations mais il ne faut pas rater cette marche du recyclage. Il va falloir être beaucoup plus rigoureux sur le tri des déchets, mais ce n'est pas sûr que tout le monde soit prêt au 1er janvier car ce ne sera pas simple", tempère le président de la FFB. Alors que les éco-organismes sont créés les uns après les autres, la fédération préconise en complément de recourir au "lean management" pour développer l'économie circulaire dans la filière. Pour rappel, le "lean management" est un concept né aux États-Unis dans les années 1980 et qui englobe "un certain nombre de principes visant à améliorer la qualité de production, réduire le gaspillage et répondre aux nécessités de délais et de coûts", d'après l'OPPBTP (Organisme professionnel de prévention du BTP).

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