La France vient d'arracher un accord à ses partenaires de l'Union européenne sur le renforcement de la Directive "détachement". Si tous saluent une avancée indéniable, la prudence est de mise sur le contenu de cette mesure, qui reste encore à définir précisément. Les acteurs du bâtiment et le ministère du Travail nous confient leurs premières réactions.

"Cette journée marque un progrès pour la défense de notre modèle social, pour la défense des travailleurs et pour le refus du dumping social", avait déclaré le ministère du Travail, au sortir de la réunion du 9 décembre 2013 à Bruxelles, qui a vu naître un accord européen sur la question du travail détaché.

 

La France a finalement obtenu gain de cause, notamment sur deux points qu'elle a défendus bec et ongles : l'établissement d'une liste ouverte des documents exigibles pour tous les travailleurs détachés en France ; la responsabilisation des donneurs d'ordre du secteur du bâtiment et des travaux publics vis-à-vis de leurs sous-traitants.

 

Coup d'arrêt
Si les acteurs du BTP saluent unanimement cet accord, se réjouissant que la France ait été moteur dans cette décision, ils en mesurent déjà les limites. Ainsi, Didier Ridoret, président de la FFB, exprime sa satisfaction, mais estime que cet accord n'est qu'une étape : "Nous serons obligés d'avoir, à côté, un arsenal législatif. Il faut aussi être conscients que cet accord ne va que ralentir le processus du travail détaché, et pas le stopper". Son organisation entend également "rester attentive aux contours exacts du dispositif prévu concernant la responsabilité des donneurs d'ordre". Elle demande notamment "la responsabilisation accrue des donneurs d'ordre qui auraient recours à des offres anormalement basses". Quant à la liste ouverte, "sur quoi va-t-elle déboucher?", s'interroge Didier Ridoret. "Ce qu'il faut retenir aujourd'hui, c'est le point marqué par la France, qui est une bonne chose, au niveau de l'Europe", conclut-il.

 

Même son de cloche chez son homologue de la Capeb, Patrick Liébus, qui attend désormais que "ces mesures soient confirmées par le Parlement européen". Et d'ajouter : "Cette première étape est une vraie victoire (…) Pour une dissuasion efficace, les contrôles auprès des entreprises indélicates doivent être nombreux et rigoureux et faire l'objet d'une visibilité médiatique suffisamment convaincante". Reste que le président de la Confédération des artisans du bâtiment "n'en a pas fini avec cette question (…) Il faudra bien s'attaquer à une harmonisation des règles fiscales et sociales au niveau européen afin que nous soyons tous sur le même pied d'égalité", martèle-t-il.

 

Encore insuffisant
En fin de semaine dernière, le spécialiste du recrutement Prism'Emploi faisait part de ses propositions pour lutter contre les abus du travail détaché. Aujourd'hui, l'entreprise salue l'accord, mais estime que les mesures sont insuffisantes pour faire cesser les dérives. Concernant le principe de la liste ouverte adopté à Bruxelles, "il aurait été nécessaire que ces documents soient établis selon le même modèle", déplore Prism'Emploi. Quant à la responsabilité des donneurs d'ordre, là encore, elle plaide pour une "transposition dans chacun des Etats membres", ce qui n'est pas indiqué dans l'accord. "C'est un premier pas, mais le problème reste le coût du travail élevé et le différentiel des charges sociales avec certains Etats membres de l'UE", explique François Roux, délégué général.

 

Un projet de loi avant les municipales
Interrogé par Batiactu, notamment sur les différentes échéances et la teneur du texte, le ministère du Travail nous confirmait, mardi soir, que "des coopérations seront mises en place entre Etats pour éviter les détournements". Sur le sujet de la responsabilité des donneurs d'ordre, le ministère estime que "ce sera un levier puissant pour assurer le respect des règles (…) Les sanctions décidées dans un pays seront appliquées dans toute l'Europe". En outre, "une amende pourra être décidée en France à l'encontre d'une entreprise domiciliée dans un autre pays européen qui ne respecte pas le droit des travailleurs détachés. Son recouvrement pourra être effectué dans le pays d'origine", assure le ministère. En attendant que ces dispositions soit prises et que le texte définitif soit adopté, le gouvernement français compte "agir fermement et vigoureusement", et a indiqué que la Parlement français examinera une loi, qui "permettra aux inspecteurs du travail de mieux cibler les contrôles en croisant les données".

 

En effet, les députés PS ont décidé de déposer une proposition de loi "avant les municipales", vu que l'accord obtenu le 9 décembre doit recevoir l'aval du Parlement européen, pour une entrée en vigueur pas avant 2016. "Dans l'intervalle, nous avons besoin de mesures législatives et de contrôles sur le terrain", a indiqué la porte-parole Annick Lepetit, citée par l'AFP. Les députés demandent entre autres, la création d'une "liste noire" des entreprises qui fraudent ou encore l'introduction d'une "double notification de détachement de travailleurs étrangers, non seulement par l'entreprise qui détache mais aussi par le maître d'ouvrage".

 

Désormais, au Parlement européen de "prendre la mesure des enjeux en question", rappelle le ministère du Travail, qui va suivre attentivement les prochaines étapes de la validation de l'accord.

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