RÉTROSPECTIVE. Jean-Louis Borloo, Emmanuelle Cosse, Brice Lalonde et Emmanuelle Wargon se sont succédé à la tribune du Plan Bâtiment Durable, afin d'évoquer 10 années de travail autour de la construction et de la rénovation. Morceaux choisis.

Le Plan Bâtiment a dix ans. Au lendemain du Grenelle de l'Environnement, le ministre d'Etat à l'Ecologie Jean-Louis Borloo participe en 2009 à la création du "Plan Bâtiment Grenelle", dont il choisit l'animateur et président, Philippe Pelletier, "repéré alors qu'il présidait l'Agence nationale de l'Habitat", toujours aux manettes aujourd'hui. Dans la préface de l'ouvrage qui célèbre tout le chemin parcouru, le ministre déclare : "Dix ans après, le Plan Bâtiment est devenu durable et le bilan est loin d'être négligeable". Pour retracer toute cette période et parler de construction et de bâtiments, pas moins de quatre ministres sont intervenus sur scène, lors de la soirée d'anniversaire organisée ce 6 février 2019 dans les locaux parisiens de la SMABTP.

 

Wargon policée, Borloo libéré

 

C'est l'actuelle secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Emmanuelle Wargon, qui a ouvert le bal, en rappelant les priorités du gouvernement : "Des priorités très simples et très fortes avec 1,2 milliard d'euros pour lutter contre la précarité énergétique, 1,5 milliard pour le logement social et 4,8 milliards pour la rénovation du parc tertiaire public". Des chiffres qui seront également martelés par son ministre de tutelle, François de Rugy lors d'EnerJ-meeting, et que le gouvernement entend focaliser sur les mesures les plus efficaces : "Le dispositif des chaudières à 1 €, comme les combles et l'isolation", annonce-t-elle. Le Diagnostic de performance énergétique (DPE) sera rendu opposable au 1er janvier 2021, le temps d'être fiabilisé, précise la secrétaire d'Etat. Elle se dit convaincue que la transition écologique sera rendue accessible à tous : "Pour la rénovation, nous avons tout pour réussir : des moyens, de la motivation et l'engagement de tous les acteurs. Il reste à trouver les clefs pour simplifier les aides et les mettre à disposition des Français pour qu'elles soient facilement métabolisables".

 

"Bercy ne peut plus piloter le logement en France !", Jean-Louis Borloo

 

Un constat partagé par Jean-Louis Borloo, qui l'exprime toutefois bien différemment. L'ancien ministre de l'Ecologie déclare : "Malgré 40 milliards d'euros on n'arrive pas vraiment à faire évoluer la situation". Après avoir expliqué qu'il était convaincu que l'exclusion débutait par les problèmes de logement, d'urbanisme et de conditions de vie, il a tempêté : "Bercy ne peut plus piloter le logement en France !". La situation actuelle, héritée de l'immédiat après-guerre, le consterne : "C'est un problème culturel majeur. L'habitat, l'urbanisme et tout ce qui va autour a été conçu trop rapidement, sans accompagnement, sans culture, sans sport, sans beauté. C'est l'exemple absolu de la nécessité de pilotage de l'action publique qui implique toujours au moins sept acteurs différents - voire jusqu'à 30 - avec une complexité qui évolue chaque jour, une folie absolue". Allant plus loin dans son analyse, Jean-Louis Borloo poursuit : "La France n'est pas centralisée. Elle est totalement émiettée". Revenant sur le plan de rénovation des bâtiments publics, il enfonce le clou : "L'audition a été faite il y a 10 ans pour 100 M€. Depuis, sur les milliards de travaux prévus, 8 millions d'euros ont été entrepris !... Il y a un manque de moyens criant". L'ancien ministre, à la parole très libérée, recommande de supprimer les tutelles inutiles et préconise la convergence des forces vives sous la houlette de l'Ademe ou de l'Anru.

 

Une relation de confiance avec Emmanuelle Cosse

 

 

Quant à Emmanuelle Cosse, ministre du Logement et de l'Habitat durable en 2016-2017, elle estime que de vrais progrès ont été réalisés en 10 ans. Y compris, "l'expérimentation E+C-, lancée grâce à Alain Maugard et Philippe Pelletier en trois mois seulement". Elle ne manque pas de mots aimables pour le président du Plan : "Beaucoup d'obstacles et de freins furent levés à force de pédagogie, de travaux partagés et d'une recherche de consensus. Pour cela, on doit beaucoup à la personnalité de son président, Philippe Pelletier, qui a toujours voulu convaincre de la nécessité d'avancer en évitant toujours d'être dans l'obligation-interdiction-sanction". L'ex-ministre, qui estime que beaucoup de travail restait à effectuer, met en garde contre tout dogmatisme et toute pensée unique : "Il n'y pas qu'une seule solution, il y a toujours un panel". Répondant à l'intervention de Brice Lalonde, autre ex-ministre de l'Environnement (en 1991-1992), qui a effectué un plaidoyer pour le vecteur électrique décarboné dans le cadre de la transition énergétique en cours, Emmanuelle Cosse a soutenu l'idée d'un mix comprenant également du gaz renouvelable.

 

Le président du Plan Bâtiment Durable, qui a travaillé avec tous ces gouvernants successifs, a pour sa part défini deux priorités pour cette nouvelle année, la onzième de son action : "En rénovation, nous avons décidé de mettre toute notre énergie sur le Plan de rénovation pour qu'il se déploie vite et bien". Il a notamment évoqué la signature commune "Faire", destinée à harmoniser les actions, la fiabilisation du DPE et l'accentuation de la lutte contre la précarité énergétique. Deux sujets qui lui tiennent à cœur seront à nouveau traités : la rénovation du parc tertiaire et celle des bâtiments éducatifs. Sur les immeubles de bureaux, il s'amuse : "Nous avons un dialogue avec les pouvoirs publics pour élaborer un nouveau décret tertiaire, le troisième, de façon apaisée, plus tranquille, pour enfin lancer la rénovation massive du parc". Sur les bâtiments d'enseignement, l'avocat plaide : "Le moment d'une action coordonnée sur tout le territoire est arrivé". Enfin, sur la construction neuve, Philippe Pelletier désigne le défi stratégique majeur que celui de préparer la Réglementation environnementale 2020 : "Les choses sont sur les rails, l'expérimentation est à l'œuvre, pour prendre en compte le carbone, les énergies renouvelables, le bien-être et le coût de la construction". Et loin de trouver que cette tâche immense est suffisante, il ajoute, à l'adresse d'Emmanuelle Wargon, qui co-pilote le Grand Débat National, que le Plan Bâtiment Durable pourrait faire remonter, via ses réseaux, les idées et revendications des acteurs de la construction qu'ils pourraient vouloir exprimer. Inépuisable.

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