CONJONCTURE. Si l'exercice 2022 devrait être celui du rattrapage d'activité post-Covid, il cumulera encore de nombreux sujets d'inquiétude aux yeux de la Fédération française du bâtiment, de la RE2020 à la Zéro artificialisation nette en passant par la crise des matériaux et la flambée des prix. L'emploi se maintient à un bon niveau mais la trésorerie des entreprises demeure préoccupante.

Comment se portera le secteur du bâtiment en 2022, année évidemment marquée par l'élection présidentielle ? Pour l'heure, la filière estime que le prochain exercice se traduira très certainement par un rattrapage d'activité post-Covid. Les perspectives de la Fédération française du bâtiment (FFB) partent ainsi du principe que la crise sanitaire se détendra, ne serait-ce que sur le plan économique, et que le marché du crédit se maintiendra grâce à l'intervention continue des banques centrales et ce, en dépit de l'inflation persistante pour les matériaux et les énergies jusqu'à la fin du premier semestre 2022.

 

 

La transformation en réglementation des recommandations du Haut conseil de stabilité financière sur l'accession à la propriété pourrait néanmoins perturber le marché, en parallèle de l'entrée en vigueur au 1er janvier prochain de la Réglementation environnementale 2020. Le texte est d'ailleurs accusé de provoquer en moyenne une hausse de 3,5% des prix dans l'individuel à compter de 2022. Le fait qu'un certain nombre de collectivités se soient également emparées du principe de Zéro artificialisation nette (Zan) devrait en outre raréfier le foncier constructible, et donc fort logiquement en augmenter les prix.

 

Logement en forme, non-résidentiel en difficulté

 

Partant de là, la FFB estime que le neuf devrait malgré tout franchement repartir l'année prochaine, portée par les chiffres encourageants de 2021 : si les mises en chantier n'ont timidement progressé que de 0,9% en 2021 par rapport à 2019 (la comparaison avec 2020 n'est pas vraiment pertinente vu l'exercice très particulier qu'elle a représenté), avec 390.000 logements commencés, les mises en chantier ont avancé de 4,9% sur deux ans, atteignant 472.000 logements autorisés. Ce qui devrait déboucher sur une hausse de 2,1% des mises en chantier en 2022. En retrait de 5,8% en 2021 en comparaison à 2019 à cause des délais de réalisation, rallongés par le Covid, la production de logements neufs devrait ainsi bondir de 7,3% l'année prochaine, dépassant même son niveau d'avant-crise. Attention toutefois : la FFB reconnaît se baser sur "un postulat fort", celui selon lequel "le très important surplomb formé de 53.000 logements d'écart entre permis et ouvertures de chantier dans l'individuel en 2021" engendrerait "dans la plupart des cas" des travaux en 2022. D'autant que les permis de construire continuent à chuter sur le segment collectif dans les zones tendues.

 

Après avoir vu ses surfaces mises en chantier et ses surfaces autorisées dégringoler respectivement de 11,6% et de 8,8% en 2021 par rapport à 2019, le non-résidentiel neuf accuse un retrait de 10,5% de sa production sur la même période. L'exercice 2022 devrait cependant bénéficier d'une certaine embellie du côté des locaux industriels, des bureaux et de la commande publique, pour in fine augmenter de 4,7% sur un an. Mais le non-résidentiel neuf ne retrouvera pas, d'une manière générale, son niveau d'avant-Covid l'année prochaine. Les professionnels s'étonnent par ailleurs d'un écart important entre les budgets des collectivités, "annonçant une nette progression des dépenses en bâtiment sur 2021", et les projets qui ont effectivement été réalisés. Et de croire que cela s'explique en partie par un retard à l'allumage, et pour le reste par des abandons de chantiers.

 

Avenir prometteur pour l'amélioration-entretien

 

Concernant l'amélioration-entretien, le marché enregistre de très bons chiffres : tirée par Ma prime rénov', dont le succès n'est plus à prouver, les opérations de rénovation énergétique ont bondi de 5% en 2021, mais les travaux restants, notamment dans le non-résidentiel, ont du mal à redresser la barre. Globalement, le segment recule ainsi de 2,6% cette année par rapport à il y a deux ans. Les chantiers de rénovation des bâtiments de l'État encouragés par France Relance, le crédit d'impôt mis en place pour ces mêmes travaux à destination des locaux des TPE-PME et le dynamisme des ventes dans l'ancien pourraient néanmoins renverser la tendance pour 2022 avec une croissance de 2,7%. En cumulant l'ensemble de ces marchés, le secteur du bâtiment verra finalement son activité se replier de 5% en 2021 en comparaison à 2019. Mais les bons chiffres de l'individuel neuf, des bâtiments industriels et de la rénovation lui permettront d'augmenter sa production en volume de 4,3% en 2022, ne laissant plus qu'un écart de 0,9% par rapport à la situation d'avant-crise.

 


"En termes d'activité, 2022 s'annonce comme une très bonne année, mais - il y a toujours un mais - attention à 2023 en raison du recul attendu l'année prochaine sur les permis de construire, à cause de la RE2020, du ZAN..."
- Olivier Salleron, président de la FFB

 


Explosion des coûts de construction, bois en tête

 

Bien que les carnets de commandes soient remplis, des nuages pourraient malgré tout venir perturber cet horizon : les difficultés d'approvisionnement en matériaux et équipements, et les hausses de prix qu'elles provoquent, couplées à celles des énergies, conduisent inévitablement à augmenter les prix des intrants de la filière. Ce qui pèse sur les comptes des sociétés et, par extension, sur leurs marges : "La situation financière des entreprises reste vraiment un sujet d'inquiétude. La crise des matériaux n'y est évidemment pas étrangère, avec des courbes assez explicites", détaille le président de la FFB, Olivier Salleron. Qui précise son propos : "Les coûts de construction ont explosé cette année : entre octobre 2020 et décembre 2021, on a enregistré +70% pour l'acier, et certains matériaux comme le bois ont même quasiment doublé, tandis que les mélanges PVC s'affichent à +65% minimum. Le choc supplémentaire des prix de l'énergie alimente cette crise et l'étend à d'autres matériaux, donc celle-ci n'est malheureusement pas encore derrière nous."

 


"Certains matériaux n'ont pas encore atteint leur pic d'inflation. Quand j'entends certaines filières dire que leurs produits ont retrouvé leur niveau de prix d'avant-crise, comme le bois, ce n'est pas la vérité. Nous avons aussi dénoncé des effets d'aubaine de certains producteurs et distributeurs."
- Olivier Salleron

 

 


L'emploi se maintiendra quant à lui à un bon niveau, les créations d'emplois se limitant à 25.000 postes en 2022 dans la mesure où les entreprises ont déjà recruté "massivement" en 2021 (60.000 postes intérim inclus). "Il y a d'ailleurs un paradoxe entre l'activité chancelante et l'emploi qui progresse, qui s'explique notamment par la perte de temps et de productivité liée au Covid, les problèmes de matériaux et un moindre recours aux travailleurs détachés, qui sont retournés dans leurs pays d'origine avec la crise sanitaire", poursuit Olivier Salleron.

 

Soutenir les trésoreries et relancer le neuf

 

Ce qui amène ce dernier à rappeler les demandes de sa fédération : déjà, le versement immédiat des créances de "carry back" (report en arrière des déficits) pour un exercice 2021 déficitaire ; ensuite, "traiter la panne du neuf en zone tendue" via des propositions de la commission Rebsamen. Parmi celles-ci, la FFB insiste sur "le suivi contraignant de la réalisation des PLH (Programmes locaux de l'habitat)", "la mise en place auprès des préfets de régions d'une instance de médiation sur les refus ou retraits de permis", ou encore "la réduction des délais de traitement des contentieux sur des refus de permis". Elle demande aussi "une majoration du Pinel à compter de 2023 pour les logements qui respecteraient les critères extra-réglementaires promus par la ministre en charge du Logement (Emmanuelle Wargon)", "un crédit d'impôt sur les annuités d'emprunt pour adoucir le surcoût de la RE2020" ainsi qu'"une marge de manoeuvre sur le ZAN pour permettre aux collectivités d'en adapter les effets aux réalités locales". "L'urgence reste le logement, zone tendue ou pas", conclut Olivier Salleron.

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