INFRASTRUCTURES. A l'occasion des 20 ans de l'accident du tunnel du Mont-Blanc, Thibaud Chardiny, directeur du département tunnels et ouvrages souterrains chez Engie Axima, revient pour Batiactu sur les risques liés à la maintenance, notamment des systèmes de ventilation, pour ce type d'infrastructures. Entretien.

Le 24 mars 1999, un incendie se déclenche dans le tunnel du Mont-Blanc, en Haute-Savoie, et coûte la vie à 39 personnes. 20 ans après, le drame est encore bien présent dans la mémoire collective, et particulièrement dans celle des spécialistes des tunnels et autres ouvrages souterrains. A l'instar de Thibaud Chardiny, le directeur du département tunnels et ouvrages souterrains chez Engie Axima, la branche de l'énergéticien spécialisée dans les solutions de génie climatique, de la réfrigération et de la sécurité incendie : ce dernier rappelle que les enjeux liés à la maintenance et aux dispositifs de sécurité des infrastructures souterraines restent toujours d'actualité. Ceci dit, les évolutions techniques et technologiques dans ce domaine offrent également des perspectives intéressantes, notamment pour les transports en commun ferrés. Entretien.

 

Batiactu : Quelles sont les raisons qui vous ont motivé à signer une tribune intitulée "Tunnels et ouvrages souterrains : ces artères sous terre dont il faut prendre soin" ? Quels messages vouliez-vous faire passer à cette occasion ?


Thibaud Chardiny : La publication de cette tribune libre correspond aux 20 ans de l'incendie du tunnel du Mont-Blanc. Ce drame a malheureusement dimensionné notre profession et le sujet de la rénovation des ouvrages souterrains en général. L'idée était donc de faire une mise au point sur la législation, avec un focus sur les nouvelles normes visant à assurer la sécurité des usagers. J'y aborde aussi la question des transports guidés, sur laquelle il y a encore beaucoup de travail à faire.

 

Batiactu : Vous mettez notamment l'accent sur la maintenance des systèmes de ventilation. Où en est-on concrètement sur ce sujet ?


T. C. : Les systèmes de ventilation et les problématiques de désenfumage sont incontournables si on ne veut pas connaître un nouveau drame, avant l'arrivée prochaine d'une législation plus rigoureuse et de professionnels maîtrisant ce type de travaux. C'est un sujet qui revient d'autant plus dans l'actualité avec tous les chantiers en cours dans le cadre du Grand Paris Express, et la construction des nouvelles lignes de métro y afférant. La même rigueur devrait être appliquée partout ; or, aujourd'hui, il n'y a pas franchement de législation sur le sujet : les textes sont vieillissants, dans la mesure où ils datent d'une bonne vingtaine d'années, soit avant la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc… Cela pose d'ailleurs davantage problème pour les transports en commun empruntant des ouvrages souterrains que pour les tunnels routiers.

 

Batiactu : Dans ces conditions, que fait une entreprise comme la vôtre pour faire bouger les lignes ? Quels sont vos moyens d'action ?


T. C. : Engie Axima est membre de l'AFTES, l'Association française des tunnels et de l'espace souterrain, dont les groupes de travail émettent des recommandations mais sans caractère contraignant. Les pouvoirs publics sont certes à l'écoute de ce genre de sujets, mais ils ne les considèrent sans doute pas comme une priorité… Nous apportons aussi notre contribution à la CNESOR, la Commission nationale d'évaluation de la sécurité des ouvrages routiers, une entité avec mission de contrôle placée sous la responsabilité du CETU, le Centre d'études des tunnels, lui-même rattaché au ministère de la Transition écologique. Dans ce cadre, notre objectif est de formuler des recommandations mais aussi des avis techniques, des mises à jour et des vérifications pour s'assurer que les ouvrages routiers ne présentent aucun problème de fonctionnement. Il n'existe cependant aucun équivalent pour les tunnels accueillant des transports guidés. Malgré cela, nous avons de la chance, en France, de disposer d'une organisation comme le CETU.

 

Batiactu : Vous faites souvent mention des transports guidés empruntant des ouvrages souterrains et des limites réglementaires qu'ils rencontrent. Pourriez-vous développer ?


T. C. : Les transports en commun ferrés font face à des évolutions majeures qu'il faut prendre en compte. Dans le cadre du Grand Patis Express, on assiste à un développement de nouveaux matériels, plus rapides, qui ont un impact sur les équipements de ventilation. En effet, les nouvelles rames exercent une pression à l'avant et une dépression à l'arrière, d'où un fort enjeu sur le pistonnement des trains. Mais dans ce domaine, chaque ouvrage souterrain fait office de prototype : il faut faire ad hoc à chaque fois, avec un développement sur-mesure de systèmes sur beaucoup de chantiers.

 

Batiactu : Et quelles sont les solutions techniques proposées par Engie Axima dans ce domaine de la sécurité et de la maintenance des ouvrages souterrains ?


T. C. : Nous avons développé deux innovations : un véhicule électrique sur rails équipé d'appareils de mesure embarqués, pour réaliser des contrôles de débit d'air en toute sécurité, de façon reproductible et efficace, et le Capit'n, pour Camion d'assistance pour l'installation en tunnels. Le véhicule électrique sur rails permet de calculer le débit d'air dans le tunnel afin de mesurer les bonnes performances et la continuité de ces performances de ventilation dans le temps. L'exploitant devant prouver que sa ventilation n'est pas dégradée, cet outil automatisé permet d'éviter les éventuelles erreurs humaines. Si l'Etat était amené à légiférer sur le sujet, Engie ferait ainsi office de précurseur avec cette innovation. D'autant que la durée de vie d'un ouvrage souterrain étant en moyenne de 30-40 ans, nous assistons au début de la rénovation de nombre de tunnels de la région parisienne, ce qui constitue une autre opportunité.

 

La seconde innovation, c'est donc le Capit'n, uniquement dédié aux ouvrages routiers. Sa fonction est de faciliter l'installation et la maintenance des accélérateurs de ventilation présents dans les tunnels, c'est-à-dire les machines tournantes lourdes suspendues au-dessus des voies de circulation. Mais nous travaillons aussi sur d'autres projets, comme la dépollution de l'air intérieur des tunnels. (Voir encadré)

 

Batiactu : Engie Axima s'est illustré en proposant des solutions clés en main, de la conception à la maintenance, pour des projets d'infrastructures dans différents pays. Où en est-on sur ce sujet à l'international ?


T. C. : Les équipements de sécurité des ouvrages souterrains sont un enjeu universel, et Engie bénéficie d'une implantation mondiale grâce à ses partenaires locaux. Ainsi nous profitons d'un terrain de jeu un peu plus grand que la France ! Par exemple, nous avons apporté notre expertise pour le tunnel Léopold II en Belgique, ou encore le système de ventilation du métro de Riyad. Il existe un vrai savoir-faire français pour les travaux de génie civil, et nous sommes reconnus à l'international pour cela. C'est justement tout ce savoir-faire que l'on veut exporter, au travers de sociétés comme Systra [groupe d'ingénierie et de conseil pour les modes de transports, notamment ferrés, issu de la fusion des filiales d'ingénierie de SNCF et RATP, ndlr].

 

 

La couverture végétale, une solution pour purifier l'air intérieur des tunnels

 

 

Engie Axima signe en outre un procédé dit de couverture végétale : concrètement, ce système de dépollution mise sur une biofiltration végétalisée, localisée aux extrémités du tunnel et au niveau de la canopée. D'après l'énergéticien, cette technique réduirait de 90% les principaux polluants présents dans l'ouvrage : les particules fines, le benzène, le dioxyde d'azote… Mais sur le plan financier, le coût moyen d'une telle installation est estimé à 2,5 millions d'euros par tunnel. Malgré tout, Engie Axima a réalisé une étude de faisabilité sur des ouvrages souterrains en Ile-de-France. Ainsi, c'est une vingtaine de tunnels qui pourrait être concernée, de même que des projets de couverture d'infrastructures, comme les boulevards périphériques. Pour la seule région parisienne, le marché pourrait s'élever à plus de 60 millions d'euros.

 

"La dépollution de l'air intérieur des tunnels routiers se traduit par l'extraction de la pollution là où elle se concentre le plus", explique Thibaud Chardiny. "Pour ce faire, nous utilisons des filtres végétaux pour fixer les particules de dioxyde d'azote et de carbone. En 2019, notre objectif est de réaliser une maquette taille réelle pour un tunnel de la région parisienne. Néanmoins, les volumes et les débits d'air sont tels qu'il faudrait des surfaces importantes, de l'ordre de centaines de m²… Mais c'est toujours cela de gagné !"

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