INFRASTRUCTURES. Dans la foulée du rapport sénatorial sur l'état des ponts en France, plusieurs organisations professionnelles ont tenu à rappeler aux collectivités territoriales les outils dont elles disposent pour garantir la sécurité de ces ouvrages d'art. L'idée d'un "carnet de santé" est notamment revenue sur la table.

Quelques semaines après la publication du rapport sénatorial sur l'état des ponts français, plusieurs organisations professionnelles ont tenu à rappeler aux collectivités territoriales que des outils administratifs et techniques sont à leur disposition pour réaliser le diagnostic de leurs ouvrages d'art et préparer d'éventuelles opérations d'entretien. Le Syndicat national des entrepreneurs spécialistes de travaux de réparation et renforcement de structures (Strres) et l'Ingénierie de maintenance du génie civil (IMGC) sont ainsi allés à la rencontre d'élus locaux et d'entreprises de travaux publics en Auvergne-Rhône-Alpes afin de les sensibiliser davantage à ce patrimoine spécifique. Une piqûre de rappel a d'abord été faite par Christian Tridon, président du Strres, sur les principaux enseignements de la mission parlementaire. Contacté par Batiactu, ce dernier s'est d'ailleurs dit "agréablement surpris" par le contenu du rapport sénatorial.

 

 

"Premier enseignement : il n'existe pas de cartographie précise des ouvrages d'art en France ! On estime entre 200.000 et 250.000 le nombre de ponts routiers en France, soit un pont routier tous les 5 km. [...] Selon la commission sénatoriale de l'aménagement du territoire et du développement durable, environ 10% de ce parc, soit 25.000 ponts, seraient en mauvais état structurel. Par ailleurs, 2.800 ponts sous gestion de l'Etat, construits dans les années 50 et 60, arriveront dans les prochaines années en fin de vie. L'Association des maires de France (AMF) collabore donc avec le Strres pour améliorer la gestion de ce patrimoine et trouver de nouvelles solutions."

 

Etablir un "carnet de santé" pour chaque ouvrage

 

Dès lors, que faire ? Les spécialistes estiment que les élus locaux doivent en premier lieu recenser les ouvrages de génie civil dont ils ont la gestion directe et les classer par nature ; puis, les infrastructures sont inspectées pour pouvoir ensuite prendre les mesures adéquates. Les professionnels ont notamment abondé dans le sens d'une des propositions des sénateurs, celle de la mise en place d'un "carnet de santé" attribué à chaque pont. Ce document permettrait non seulement un travail d'inventaire, mais également une centralisation et un partage des connaissances techniques et des données de maintenance. Par ailleurs, le carnet de santé en question comprendrait des informations techniques allant des photographies aux données géométriques et de géolocalisation des ouvrages.

 

De plus, un volet du document serait consacré aux opérations d'entretien préconisées suivant le type d'infrastructure. Puis une dernière fiche répertorierait l'ensemble des actions de maintenance et de réparation déjà effectuées sur l'ouvrage. "L'idée est d'affecter à chaque pont français un carnet de maintenance, comprenant une fiche technique, une fiche d'entretien et de maintenance, et une fiche de traçabilité", précise le président du Strres. "Ce dispositif permettrait aux collectivités gestionnaires de connaître facilement les recommandations des professionnels, telles qu'une préconisation de limite de charges ou les opérations de rénovation nécessaires après sondages et inspections. On ne peut pas, à l'heure d'un mouvement de société où tout est classé, répertorié avec les outils modernes, continuer comme ça. Un pont est avant tout un ouvrage sophistiqué."

 

Les professionnels amenés à travailler sur les ponts sont de moins en moins nombreux à posséder la qualification nécessaire

 

Nonobstant les difficultés juridiques pour savoir de quelle collectivité relève la gestion de tel ou tel pont selon que celui-ci enjambe un cours d'eau, une route ou une ligne de chemin de fer (30 à 50 ponts sont étiquetés comme "orphelins" car on ignore de quelle autorité ils relèvent), des difficultés financières se posent également : 90% de ces infrastructures étant gérées par les communes, groupements de communes, départements ou régions, les mêmes collectivités peinent à dénicher les financements nécessaires aux travaux d'entretien. Un autre problème mis en lumière par le rapport du Sénat concerne la main-d'oeuvre : les professionnels amenés à travailler sur les ponts sont de moins en moins nombreux à posséder la qualification nécessaire, et les collectivités subissent une perte de compétences en la matière. De son côté, l'IMGC a donc rappelé qu'il était impératif de former des ingénieurs spécialisés dans les diagnostics et les travaux de rénovation.

 

"Aujourd'hui, on n'a plus les gestionnaires d'il y a 20 ou 30 ans", déplore Christian Tridon. "Il faut recommencer à recadrer la compétence perdue pour des raisons de volonté politique. On doit remettre dans les programmes de l'enseignement supérieur des formations dédiées. Le 'Plan Marshall' proposé par les sénateurs doit être proportionné au drame de Morandi [le viaduc qui s'est effondré à Gênes, ndlr]. Car ce qui est arrivé en Italie pourrait bien nous arriver si on ne consacre pas les moyens nécessaires à nos ponts."

 

 

Prendre en compte la nature de l'ouvrage

 

Des chantiers qui dépendent de surcroît de la nature des ponts, étant donné que chaque matériau possède ses propres contraintes techniques : ceux en béton armé se dégradent la plupart du temps beaucoup plus vite que ceux en maçonnerie, du fait de pathologies qui entraînent la corrosion des aciers d'armature et, par extension, l'éclatement du béton. Les structures en métal, elles, se corrodent également au contact de l'air. Pour les protéger, des revêtements spéciaux doivent régulièrement être appliqués. Quant aux ouvrages de soutènement, situés en aval pour soutenir la route et en amont pour la protéger des glissements de terrain, ils sont généralement anciens et en maçonnerie de pierre. Leur fonctionnement n'est pas perturbé tant que leur résistance demeure compatible avec la poussée des terres et de l'eau.

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