RÉNOVATION. CITE, Eco-PTZ, CEE, TVA réduite, Taxe carbone, Réglementation environnementale… Quels sont les leviers les plus efficaces à actionner pour favoriser la rénovation thermique des logements français ? Louis-Gaëtan Giraudet, chercheur au Cired, révèle les résultats d'une étude prospective modélisant les choix des ménages français lors du lancement de travaux.

Pour un euro investi, combien de kilowattheures seront réellement économisés ? Le Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired) développe, depuis une dizaine d'années et le Grenelle de l'Environnement, un modèle d'évaluation des politiques d'efficacité énergétique. La dernière itération de ce modèle s'appuie sur la base de données Phébus qui croise des informations sur la performance des logements et les caractéristiques socio-économiques des ménages qui les habitent, ce qui permet de mieux appréhender la distribution des aides. Louis-Gaëtan Giraudet, chercheur au Cired intervenu lors d'une après-midi organisée par l'Association technique énergie environnement (ATEE), explique : "Trois années d'étude ont été menées entre décembre 2015 et décembre 2018 avec l'aide de l'Ademe et de Total. Le modèle RES-IRF montre les choix des ménages lors d'une rénovation avec amélioration de l'étiquette énergétique". Les paramètres techniques et comportementaux sont pris en compte, tout comme le coût de l'opération et les contraintes de financement liées aux revenus ainsi qu'à l'évolution du prix des énergies (électricité, gaz, fioul ou bois). Une matrice complexe, validée, qui révèle des comportements hétérogènes selon la situation des occupants, propriétaires ou locataires, et celle du bien, au sein d'une copropriété ou non.

 

Un modèle pour évaluer les aides

 

Afin d'évaluer les critères d'efficacité des différentes aides à la rénovation, les chercheurs du Cired rappellent les différents objectifs que la France cherche à atteindre : une réduction des consommations d'énergie de -20 % en 2030 et -50 % en 2050, un rythme de 500.000 rénovations par an dont 120.000 dans le parc social, l'éradication des étiquettes énergétiques "G" et "F" en 2025 et la réduction de la pauvreté énergétique de -15 % dès 2020. "Les objectifs CO2, en revanche, n'ont pas été évalués", note Louis-Gaëtan Giraudet. Il précise les données d'entrée : "Nous avons considéré que les revenus progressaient annuellement de +1,2 % tandis que le prix des énergies augmentait de +1,5 % par an". Six aides différentes ont été testées, selon plusieurs variantes différentes, plus ou moins ambitieuses ou plus ou moins ciblées : Crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), Eco-prêt à taux zéro (Eco-PTZ), Certificats d'économies d'énergies (CEE), Taxe carbone, TVA à taux réduit (5,5 % au lieu de 10 %) et future réglementation de la construction RE2020 (considérée comme équivalente à un niveau BePos). Le chercheur prévient : "Il y a des précautions à prendre avant de tirer des conclusions. Une simplification est inhérente à la modélisation : les aides sont considérées comme pleinement cumulables, elles fonctionnent à plein régime et il y a une transmission parfaite des incitations sans ajustement du prix des opérations. Ce que l'on recherche c'est une cohérence des ordres de grandeur et pas une précision absolue. Les écarts éventuels avec la réalité peuvent relever de mécanismes extérieurs non modélisés".

 

 

Première conclusion : la baisse des consommations d'énergie est atteignable, "avec une politique ambitieuse qui serait maintenue jusqu'en 2050", avertit l'ingénieur. Les deux-tiers des progrès réalisés sont dits "autonomes", dépendant en fait de l'évolution des prix de l'énergie et de l'impact de l'actuelle réglementation thermique. L'objectif de 500.000 rénovations par an serait, lui aussi, à portée de main. Selon les résultats de l'étude du Cired, il pourrait même être déjà atteint avec 534.000 opérations de réhabilitation considérées comme des rénovations thermiques. "Mais l'objectif est loin d'être atteint dans le parc social avec seulement 38.000 rénovations par an", tempère le spécialiste. Plus la politique sera ambitieuse, plus il y aura de rénovations, certains scénarios frisant même le million de chantiers annuels. L'écart entre le scénario "Zéro politique" (sans aide) et "Toutes politiques" (avec les six dispositifs en parallèle), s'élève à 115.000 réhabilitations par an. Toutefois, sur la portée des travaux réalisés, l'étude montre que les gains obtenus en performance sont parfois décevants. "Pour l'éradication des étiquettes 'G' et 'F', nous n'y serons pas. Leur diminution sera de -75 % en 2025 mais leur élimination totale n'interviendra qu'en 2040, et encore, seulement si les aides sont ciblées sur le parc locatif". A l'horizon de 2050, entre 50 et 70 % de tout le parc existant atteindra la performance BBC, mais pas davantage. Quant à la lutte contre la précarité énergétique, considérée comme une priorité nationale, là encore l'atteinte de l'objectif fixé nécessitera une politique ambitieuse et appuyée, prenant en compte l'effet retardateur de la taxe carbone. "Le coût à long terme s'équilibrera avec les recettes, aux alentours de 2027. Mais le coût initial des aides sera important, supérieur à 2,5 Mrds €/an".

 

 

L'obligation de travaux : infaillible mais prohibitive ?

 

Parmi les six aides passées au crible du modèle RES-IRF, il apparaît que la plus efficace reste le CITE, mais c'est également celle qui coûte le plus cher par kWh économisé. Son effet de levier reste faible, avec un ratio de 1:1, là où les autres dispositifs ont un niveau légèrement supérieur. "La taxe carbone présente un intérêt en jouant à la fois sur l'efficacité et sur la sobriété", souligne Louis-Gaëtan Giraudet. Sur les CEE, le chercheur note que leur production est à 90 % naturelle (à 0 €/cumac) et qu'ils présentent une faible sensibilité au prix. Les certificats seraient sous-estimés dans la lutte contre la précarité, contrairement à l'Eco-PTZ, fortement surestimé dans le modèle par rapport à la réalité. Le scientifique analyse : "Il y a des barrières cognitives non modélisées chez les demandeurs. Et les banques ne font pas de publicité de leurs offres pour plutôt mettre en avant des prêts à la consommation". Le spécialiste du Cired conclut : "Pour atteindre les objectifs, il faut que les politiques les plus ambitieuses soient étendues au parc locatif privé, en ciblant les ménages modestes en cas de contrainte budgétaire". Il recommande également, pour plus de clarté, que soient bien définis les concepts de précarité et de rénovation énergétiques. Interrogé sur une éventuelle obligation de travaux lors de la mutation des biens (mise en location ou revente), Louis-Gaëtan Giraudet insiste sur les mesures d'accompagnement à proposer en parallèle, "car le coût pour les ménages sera colossal". Une telle mesure serait toutefois particulièrement efficace pour éradiquer les étiquettes énergétiques les moins performantes…

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