CONJONCTURE. Avec la flambée des prix énergétiques qui a mis en péril de nombreuses trésoreries, l'activité de la Médiation des entreprises dirigée par Pierre Pelouzet est restée soutenue en 2022. Un climat qui a contribué à détériorer les relations entre clients et fournisseurs, notamment dans le secteur de la construction.

"Une année passionnante, pleine de surprises." C'est ainsi que Pierre Pelouzet, le Médiateur des entreprises (administration rattachée au ministère de l'Économie), résume l'activité de ses services pour l'exercice 2022. En effet, avec 3.700 demandes reçues, ces derniers n'ont pas chômé.

 

Un niveau qui reste certes supérieur à celui observé avant la pandémie de Covid (2.300 en 2019) mais qui diminue malgré tout par rapport à 2021 (5.200). De plus, 7 fois sur 10, une médiation débouche sur un accord (voir encadré). Mais l'évolution du climat géopolitique et économique depuis le printemps 2022 a contribué à plomber les relations entre clients et fournisseurs. La flambée des prix des matières premières, des énergies et des coûts logistiques a clairement détérioré la situation.

 

"Le leitmotiv qu'on a entendu pendant toute l'année 2022 a été : 'Ce sont des voleurs qui profitent de la crise pour nous imposer des hausses de prix'", analyse Pierre Pelouzet. Un discours notamment audible dans le secteur de la construction, où artisans et entreprises ont pointé du doigt fabricants et distributeurs. "Cela crée quelque chose de terrible : la défiance. La réalité, ce sont les contraintes internes et externes que chacun subit", poursuit le Médiateur. Et de lancer : "Halte à la défiance ; revenons à la confiance, au dialogue".

 


L'activité de la Médiation des entreprises en détail

 

La Médiation des entreprises distingue les sollicitations, au nombre de 2.077 en 2022, et qui consistent en des réponses personnalisées aux demandes d'information, des médiations à proprement parler, s'élevant pour leur part à 1.600.

 

Les demandes les plus fréquentes - et qui ont entraîné une saisine - ont porté sur les révisions de prix de marchés publics et privés, ainsi que sur les résiliations abusives de contrats. Ces deux catégories ont totalisé 23% des sollicitations, suivies par les factures impayées et les conditions de paiement (12%).

 

Les sollicitations liées à l'inflation énergétique ont d'abord concerné des renouvellements de contrats, des tarifs appliqués ou des durées de souscription. Puis, dans un second temps, elles ont davantage concerné des montants de factures jugés dangereux pour la trésorerie des entreprises, ainsi que le périmètre des aides gouvernementales. Les litiges dans le secteur privé pèsent 77% des demandes contre 18,4% pour les marchés publics.

 

Les TPE-PME (très petites, petites et moyennes entreprises) représentent la quasi-totalité des demandeurs (94%). Les services constituent le premier secteur à saisir la Médiation (37% des dossiers), devant le commerce (24%) et la construction (22%), cette dernière ayant néanmoins vu sa part progresser.

 


En attendant l'outil de suivi des matériaux

 

Bien sûr, la situation s'améliore depuis que les conséquences de la crise du coronavirus s'estompent petit à petit. Mais les tensions sont revenues à la charge au 2e semestre 2022, la première cause étant l'énergie. C'est d'ailleurs dès le printemps de l'année dernière qu'un comité de crise dédiée à cette problématique a été instauré, rassemblant toutes les parties prenantes (énergéticiens, patronat...) autour de la table.

 

"Nous avons fait remonter les bonnes comme les mauvaises pratiques avec la signature d'une charte de responsabilité et de solidarité, et la publication d'une 'checklist'. Car derrière la défiance, il y a surtout beaucoup d'incompréhension sur les contrats, les factures...", note Pierre Pelouzet. Lequel assure que ses équipes avaient ressenti ces difficultés dans le BTP dès 2021, ce qui avait conduit à l'époque à l'instauration d'une médiation de filière rassemblant tous les acteurs autour des questions des approvisionnements et des conditions de paiement.

 

Là encore, une charte de bonnes pratiques a vu le jour, et elle devrait bientôt être complétée par un "outil anti-défiance". À la demande du ministre Bruno Le Maire, un dispositif de suivi des coûts de fabrication des matériaux de construction va en effet voir le jour afin de garantir de la transparence sur l'évolution des coûts dans le secteur. L'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) a été désigné comme "tiers de confiance" pour élaborer ces indicateurs qui se veulent neutres et objectifs, et dont la publication est attendue courant avril.

 

"Des entreprises ont profité de la situation"

 

En attendant, Bercy reconnaît qu'il y a eu des abus chez certains. "Il y a probablement des entreprises qui ont profité de la situation pour augmenter leurs marges, mais d'autres ont aussi baissé leurs marges pour préserver leur clientèle", nuance Pierre Pelouzet. "C'est dans le BTP qu'il y avait le plus besoin d'actions", ajoute-t-il. À l'heure actuelle, le comité de crise de la filière est encore en activité et les entreprises peuvent toujours lui faire remonter les bonnes comme les mauvaises pratiques auxquelles elles sont confrontées.

 

Mais dernièrement, son travail s'est plutôt concentré sur le dispositif de suivi des prix des matériaux, "la balle étant maintenant dans le camp de l'Insee". L'objectif étant que les professionnels en disposent à compter d'avril pour avoir "une première visibilité garantissant la transparence et leur permettant d'expliquer pourquoi ils doivent appliquer des hausses de prix".

 

S'agissant de l'impact de la crise énergétique sur les trésoreries et les délais de paiement, le Médiateur enjoint les entreprises à recourir aux dispositifs de soutien mis en place par l'État. "Il y a malheureusement beaucoup de TPE qui ne bénéficient pas des aides, non pas parce qu'elles n'y ont pas droit mais parce qu'elles n'en ont pas connaissance", déplore-t-il, arguant au passage de la "simplicité" de ces dispositifs.

 

Désamorcer d'éventuels litiges

 

"Comme tous les acteurs économiques, les artisans et petites entreprises peuvent se saisir des aides et outils à leur disposition sur tout le territoire", abonde Nicolas Mohr, directeur général de la Médiation des entreprises. Celle-ci peut être sollicitée, tout comme le comité de crise et la Médiation du crédit. Le portail Internet de Bercy recense par ailleurs toutes les aides proposées aux professionnels rencontrant des difficultés et ayant besoin d'un accompagnement.

 

Le Médiateur des entreprises tente aussi de désamorcer d'éventuels futurs litiges, comme l'illustre la première médiation de projet instaurée pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Cette démarche a été initiée en octobre 2022 par la Solideo (établissement public chargé de la construction de 64 ouvrages olympiques) et les organisations représentatives du BTP (qui sont déjà membres de la médiation de filière).

 

Elle s'est traduite par la signature d'un protocole consacrant le recours à la médiation "afin d'assurer un traitement amiable des potentiels différends qui pourraient survenir dans l'exécution des marchés des ouvrages des JOP 2024", précise-t-on à la Médiation. Avec deux médiateurs nationaux dédiés, cette initiative a pour objectif "d'offrir un accompagnement sur-mesure, rapide et équilibré, aux acteurs de la filière BTP leur permettant ainsi de régler leurs différends dès que ces derniers surviennent plutôt que d'attendre la fin du chantier".

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