LES SAUVEURS DE NOTRE-DAME. Après avoir récompensé d'un trophée d'honneur les professionnels de la construction ayant participé au sauvetage de Notre-Dame de Paris, Batiactu vous livre une série de portraits de certains de ces acteurs. Premier épisode avec la maîtrise d'ouvrage, Antoine-Marie Préaut, chef du service de la conservation régionale des monuments historiques de la Drac Île-de-France. Il témoigne sur ce que signifie gérer la maîtrise d'ouvrage d'un chantier exceptionnel comme celui-ci.

"J'ai été fier de mon ministère." C'est Antoine-Marie Préaut, chef du service de la conservation régionale des monuments historiques de la Drac d'Île-de-France, qui le dit. Lui qui était présent lors de la nuit de l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, mais aussi dans les heures et les jours qui ont suivi, "les pieds dans l'eau". Pourquoi cette fierté ? Car être parvenu à évacuer 1.300 œuvres de l'édifice en un temps record constitue, assure-t-il, une sorte de "miracle". Surtout de la part d'une administration n'étant évidemment - et heureusement - pas habituée à ce genre de situation.

 

Dans les premières heures après l'incendie, une "toute petite task force"

 

Mais il y avait urgence. "Cela a été un travail d'équipe : Drac, direction générale des patrimoines, service des musées de France, musée du Louvre, centre de recherche et de restauration des musées de France..., tous se sont mobilisés pour effectuer les sécurisations de première nécessité. En seulement quinze jours." Le fonctionnaire parle d'une " petite task force", composée d'agents du ministère de la culture, de maîtres d'œuvres, et de quelques entreprises.

 

Les heures qui ont suivi l'incendie ? "Nous avons organisé la fourmilière", résume-t-il. "Nous avons inventé des solutions avec les bonnes volontés présentes. Il y a eu quelques nuits blanches, oui." A situation exceptionnelle, déluge de problèmes exceptionnels, auxquels il faut trouver des réponses rapides : comment organiser le travail sous arrêté de péril ? comment assurer la cartographie et la documentation de la cathédrale dévastée ? Que faire des décombres ? Comment les trier, les sortir, les conserver ? Comment déposer la statuaire, le faîtage des maçonnerie, les éléments de verrière ?... La liste n'est pas exhaustive. "Durant les deux, trois premiers mois, nous étions dans l'état d'esprit suivant : A chaque jour suffit sa peine !", résume Antoine-Marie Préaut, citant au passage, à dessein ou non, une phrase de l'Évangile.

 

"C'était une réelle pression"

 

Un tel désastre a remis au centre des préoccupations ce monument mythique, cette "grande dame" qui ne constituait habituellement qu'une petite partie du travail de la Conservation régionale des monuments historiques. La cathédrale de Paris est pour ainsi dire au service des urgences, et représente aujourd'hui un sacré chantier, avec des dizaines d'entreprises montées au front et bénéficiant, pour le meilleur et pour le pire, de l'attention du monde entier.

 

Antoine-Marie Préaut ne cache pas les difficultés qu'il a eues, avec son équipe à tenir le cap dans ce tourbillon. Bien sûr, supporter les sollicitations des médias. Mais également, et c'est plus étonnant, gérer les milliers de propositions d'aide venues du monde entier. "Même si cela se voulait bienveillant, cela a fini par représenter une réelle pression", se souvient Antoine-Marie Préaut. L'intensité des envois est telle qu'elle fait boguer ordinateurs et téléphones des équipes. "Cela en devenait un peu traumatisant de ne pas pouvoir prendre le temps de répondre à chaque personne ou entité qui proposait son aide, les gens nous relançaient régulièrement car ils n'avaient pas eu de réponses..." On pouvait s'en douter, mais c'est confirmé : se retrouver, par la force des choses, membre de l'équipe chargée de sauver l'un des monuments les plus célèbres et vénérés de la planète, "c'est passionnant mais dur physiquement et moralement".

 

Ces agents qui ont pris des risques personnels pour sauver des œuvres

 

Sans oublier que les polémiques sont venues se mêler à cela, l'enquête sur les causes de l'incendie bien sûr, puis la question du plomb. "C'est dommage, car ce sujet est venu cacher beaucoup de belles histoires." Celles de ces agents anonymes du ministère de la Culture qui se sont surpassés dès le 16 avril 2019, pour certains ont pris des risques personnels, afin d'évacuer les œuvres. "Mais nous avons fait le maximum pour limiter les prises de risque, un accident sur le chantier n'étant pas envisageable après l'incendie qui n'a fait aucune victime."

 

Où en sommes-nous aujourd'hui ? "La cathédrale n'est toujours pas sauvée", lance Antoine-Marie Préaut. "L'échafaudage, surveillé 24 heures sur 24 par des capteurs, pourrait encore rompre et entraîner la voûte dans sa chute, avec un risque d'effet domino. Et la stabilité des voûtes pourrait elle-même être remise en cause à force de sécher. Le péril sur l'édifice ne sera sans doute pas levé avant le 1er semestre 2020." Ces fameuses voûtes, les compagnons et agents de la Culture y parviennent tout juste, en ce mois de septembre 2019. "Un plancher a été installé au-dessus de la voûte du chœur", nous explique le chef de service. "Puis un autre sera mise en œuvre par le dessous." L'idée est notamment de retirer les débris qui pèsent encore aujourd'hui sur le 'toit', et d'évaluer sa solidité. Étapes suivantes : échafauder l'échafaudage (sic), le stabiliser par la mise en place de poutre, le sangler, et le déconstruire en le sciant, tube par tube ("un mikado géant", résume Antoine-Marie Préaut).

 

Le diagnostic dépendra en partie des contours du concours d'architecture

 

Quant au diagnostic sur l'intégrité de l'édifice, il commencera avant la fin de l'année 2019. Mais les experts auront besoin d'en savoir plus sur les contours du concours d'architecture afin de faire ce diagnostic. "La nature et les dimensions de la future flèche seront des données qui permettront d'adapter les études préalables à la restauration", nous éclaire Antoine-Marie Préaut.

 

Ce travail de longue haleine n'est donc pas près de se terminer, et l'avenir réserve probablement son lot de nouveaux rebondissements et de nouvelles polémiques - à commencer par ce fameux concours d'architecture. Cette folle ambiance n'est pas près de s'arrêter. "Les pompiers ont fait un travail remarquable à la cathédrale, mais il ne faut pas oublier que l'investissement quotidien d'une centaine de personnes dure encore jusqu'à aujourd'hui, et ce n'est pas terminé", rappelle Antoine-Marie Préaut. "Mais nous n'avons pas le droit de nous plaindre tant nous sommes chanceux d'avoir été témoins de cet exceptionnel rendez-vous avec l'Histoire."

 

"Notre-Dame est entre les meilleures mains"
Lors de la cérémonie de réception d'un trophées d'honneur remis aux bâtisseurs qui sauvent la cathédrale de Notre-Dame de Paris, organisée par Batiactu, Antoine-Marie Préaut a prononcé quelques mots. "Je suis très heureux, au nom des centaines de personnes que représente ce fabuleux rendez-vous avec l'histoire, de pouvoir honorer un travail de grands professionnels, de passionnés. Heureusement, les occasions comme celle-ci sont assez rares. Mais ils ont su, dès le démarrage de l'incendie, se mobiliser, aux côtés des services du ministère de la Culture, des pompiers, de la mairie de Paris, de la préfecture de police, pour sauver ce qu'il était possible de sauver. Dès le lendemain du sinistre, a commencé la mise en musique avec le concours des architectes en chef des monuments historiques, et le concours d'une quarantaine d'entreprises. Nous sommes restés au chevet de cette grande malade que reste Notre-Dame aujourd'hui. Mais elle est entre les meilleures mains pour sortir de cette phase difficile et renaître de ses cendres encore plus belle qu'elle ne l'était."

 

Des portraits des acteurs à suivre sur Batiactu
Découvrez la série de portraits réalisés Batiactu de certains des acteurs de la consolidation et la restauration de Notre-Dame de Paris.

 

- Didier Cuiset, directeur général d'Europe échafaudage

 

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