DECRYPTAGE. Dans la ville du futur, la notion de mutualisation des espaces, des ressources et des usages sera au cœur de la vie des habitants et usagers dans les quartiers. Une fonction de chef d'orchestre capable de coordonner les différents acteurs et "d'administrer" ces communautés, devrait se faire jour. Explications avec des juristes, gestionnaires immobiliers et acteurs de l'urbanisme.

De nouveaux métiers apparaissent sans cesse, y compris dans le monde du bâtiment et de l'urbanisme. Tout comme la fonction de BIM manager est apparue pour coordonner les différents acteurs d'un projet de construction autour de la maquette numérique, devrait également naître un nouveau métier, celui d'éco-gestionnaire. Sa mission ? Aborder toutes les nouvelles questions liées à la vie dans les éco-quartiers : maîtrise des usages, société de partage, développement de services… Camille Picard, directrice territoriale Seine-Saint-Denis et Val d'Oise à la Caisse des Dépôts, explique : "La ville est dense, active, mixte, avec des logements, des bureaux, des équipements publics. Il existe donc de nombreuses potentialités d'échanges entre les résidents et les usagers, comme des espaces partagés - terrasses, parkings, locaux - qu'il faut gérer efficacement. La question de l'énergie se pose aussi, avec de l'électricité ou de la chaleur qu'il est possible d'échanger entre les immeubles. Mais vers qui faut-il se tourner ?".

 

Anne Girault, la directrice générale de l'Agence Parisienne du Climat (APC), répond : "L'éco-gestionnaire, c'est-à-dire une personne ou un dispositif qui ferait d'abord un diagnostic, pour trouver tous les échanges possibles et toutes les solutions disponibles, à la fois techniques, financières et juridiques". Un rôle qui permettrait ainsi de répondre opérationnellement aux enjeux de neutralité carbone, de résilience urbaine, de végétalisation de la ville… Pour un gestionnaire d'actifs comme Icade, ce rôle est une évolution naturelle du "property manager" actuel. Benjamin Ficquet, le directeur Transitions environnementales du groupe immobilier, résume : "Il faut changer d'échelle et passer du bâtiment à l'îlot ou au quartier, passer au micro-local, c'est-à-dire l'intermédiaire entre la ville et l'immeuble seul". Pour lui, l'enjeu est de développer tout un panel de services d'intérêt collectif : conciergerie, aide à la personne, ateliers partagés. Mais, pour parvenir à les mettre en place puis les soutenir de façon durable, le spécialiste est catégorique : "Le schéma juridique est fondamental, dès le début, dès la programmation".

 

Un aspect juridique essentiel dans les échanges

 

 

Michèle Raunet, notaire associée chez Etude Cheuvreux, rebondit : "Aujourd'hui, on pense à l'intégration d'un projet dans un quartier existant. Il est également important de penser à l'immobilier dans le temps, avec ses usages, ses interactions, ses évolutions". Pour l'experte, le droit français disposerait déjà de nombreux outils juridiques utiles qui permettraient de répondre aux objectifs. Elle évoque les associations syndicales libres et les unions de syndicats de copropriétaires, et propose seulement de changer la manière d'utiliser ces outils. "C'est l'enjeu des professionnels du juridique que d'adresser cette évolutivité. Il ne faut pas figer mais au contraire mettre en place des règles contractuelles évolutives", fait-elle valoir, en notant que le droit de la copropriété allait également changer. Pour Michèle Raunet, le travail réalisé par les architectes et les bureaux d'études dans les éco-quartiers devrait également impliquer des juristes, "pour mettre en place la bonne gouvernance". "Et l'éco-gestionnaire sera le plus efficace", estime la notaire.

 

Les professionnels travaillant sur le sujet tiennent également à ce que cette gouvernance ne soit pas seulement entre les mains des propriétaires, mais qu'une représentativité des occupants, des utilisateurs et des collectivités publiques soit instaurée. "Ce serait le reflet de la diversité pour co-construire et travailler ensemble", assure Anne Girault, de l'APC. Quant à savoir s'il s'agit d'une fonction ou d'une personne, Benjamin Ficquet partage la vision de tous les experts : "L'éco-gestionnaire doit être incarné, humanisé. C'est une personne en charge de l'orchestration des services". Le directeur des Transitions environnementales d'Icade évoque même le rôle de "Happiness manager" qui lorgne vers l'animation événementielle de tout un voisinage. Il s'agit donc d'un métier émergeant, qui passera par l'acquisition de compétences nouvelles et d'une offre de formation adaptée. Les contours iront au-delà des attributions du syndic et il sera nécessaire de passer d'une culture de gestion du patrimoine à une culture de gestion des usages des bâtiments. Encore une fois, les acteurs de l'urbanisme souhaitent que l'Humain soit remis au cœur des processus.

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