POLITIQUES PUBLIQUES. Dans son rapport public de l'année 2020, la Cour des comptes analyse les performances des éco-organismes, qui ont collecté près de 5,6 milliards de tonnes de déchets en 2019. Si quelques améliorations de fonctionnement ont été constatées par les Sages, ceux-ci appellent cependant à davantage de régulation et de résultats.

Parmi les dossiers constituant le rapport public 2020 de la Cour des comptes, il en est un consacré aux éco-organismes, acteurs incontournables des politiques publiques de collecte et de traitement des déchets. En lien avec l'Etat, les collectivités territoriales et les producteurs de biens de consommation, ils participent de fait à la limitation et à la prise en charge des déchets. Personnes morales de droit privé exerçant une activité à but non lucratif, ils sont créés et financés par les producteurs de déchets en vertu du principe "pollueur-payeur" et doivent donc assumer la responsabilité des déchets résultant des produits qu'ils ont mis sur le marché. "Le montant des contributions qu'ils perçoivent (1,4 milliard d'euros en 2018) ainsi que la part des déchets ménagers et assimilés qu'ils prennent en charge (environ 40%) justifient qu'une attention spécifique soit portée aux résultats de leur action", explique la rue de Cambon dans son rapport.

 

 

Et à l'heure où la filière REP (Responsabilité élargie du producteur) se dessine pour le secteur du bâtiment et des travaux publics, en aval du vote de la loi Economie circulaire, le sujet est plus que jamais d'actualité. Ces deux dernières années, les Sages ont contrôlé trois éco-organismes, à savoir Dastri (filière des déchets d'activités de soins à risque infectieux des patients en auto-traitement), EcoDDS (déchets diffus spécifiques ménagers) et Eco-mobilier (déchets d'éléments d'ameublement), mais le retour d'expérience ainsi que les recommandations en la matière concernent l'ensemble des acteurs du recyclage et de la valorisation.

 

Recentrer les cahiers des charges et contrôler dans les faits les éco-organismes

 

En premier lieu, la Cour des comptes affirme que les volumes de déchets collectés par les éco-organismes se sont envolés de 46% entre 2014 et 2018, atteignant environ 5,6 milliards de tonnes. Une belle progression globale qui masque en réalité des disparités parfois importantes d'une filière à l'autre. De plus, "d'importantes marges de progrès demeurent au regard des gisements de déchets", autrement dit de l'estimation de la production de déchets au sein de chaque filière.

 

"Dans de nombreuses filières, le gisement de déchets est souvent difficile à quantifier précisément, en raison notamment du caractère recyclable ou non des déchets produits, de l'évolution des technologies, des caractéristiques spécifiques et de la durée de vie des produits."

 

Mais l'autre enjeu majeur dans ce domaine est celui du rôle de l'Etat. Comme le rappellent les Sages, la puissance publique est censée réguler les filières REP au travers de trois objectifs : "l'organisation et l'animation des filières", "la définition des objectifs des filières", et "le suivi et le contrôle des filières". Or à ce sujet, la Cour a constaté que les changements effectués dans la gouvernance n'ont pas porté leurs fruits, "que les cahiers des charges applicables aux éco-organismes mériteraient d'être recentrés sur des objectifs de résultats", et enfin qu'un contrôle "effectif" des éco-organismes doit être instauré.

 

Renforcer le principe "pollueur-payeur"

 

Impliquer davantage les producteurs et les consommateurs au tri, à la collecte et au traitement des déchets paraît donc nécessaire aux yeux de la rue Cambon. Pour l'institution napoléonienne, les filières REP sont même encore loin d'atteindre un de leurs objectifs majeurs, à savoir "détourner des ordures ménagères résiduelles le plus de déchets possible" : à l'heure actuelle, près de 40% des déchets résiduels collectés par le service public de gestion des ordures relèveraient en fait d'une filière REP, ce qui fait dire à la Cour que "de nouvelles mesures doivent donc être envisagées". Concrètement, cela passerait par un renforcement du statut de "polleur-payeur" dans l'optique d'améliorer l'éco-conception des produits et de développer de nouvelles filières de collecte.

 

"Une des voies d'amélioration passe par l'éco-modulation des contributions financières versées par les producteurs aux éco-organismes, c'est-à-dire la modulation de ces contributions en fonction de critères de performance environnementale (système de 'bonus-malus' progressivement mis en place dans une majorité de filières REP) afin de rendre le levier de financement plus incitatif qu'il ne l'est aujourd'hui."

 

Par ailleurs, la rue Cambon recommande de suivre deux "orientations" : "la reprise des produits usagés ou inutiles sans obligation d'achat et la généralisation de la reprise sans frais des produits usagés pour toute vente d'un produit neuf". Deux axes qui devraient permettre d'accroître les volumes de déchets collectés séparément, mais qui figurent déjà dans la loi relative à l'économie circulaire et à la lutte contre le gaspillage. Comme le rappellent les Sages, cette dernière prévoit en l'occurrence un système de primes ou, a contrario, de pénalités, supérieures au montant de la contribution financière nécessaire à la gestion des déchets, justement pour consolider le principe de l'éco-modulation.

 

"Fiabiliser les indicateurs fondés sur les gisements de déchets" et communiquer davantage sur les bons gestes de tri

 

 

En conclusion de ce chapitre de son rapport annuel, la Cour pointe donc des "résultats inégaux" chez les différents éco-organismes, "pas toujours à la hauteur des objectifs environnementaux qui leur sont assignés". Pour améliorer cette situation, l'institution précise qu'elle veillera à la bonne application des dispositions de la loi Economie circulaire, mais formule aussi au passage quelques recommandations. Pour l'Etat comme pour les éco-organismes, elle préconise de "réaliser plus régulièrement des études de gisements" dans le but de "fiabiliser les indicateurs fondés sur les gisements de déchets et d'améliorer le pilotage des filières REP". En outre, les deux acteurs devraient également "développer, à la faveur des campagnes de communication, au niveau adapté, national ou local, des messages opérationnels incitant concrètement aux bons gestes de tri".

 

Concernant les seuls pouvoirs publics, les recommandations portent sur un meilleur pilotage et un contrôle accru des REP : "différencier la durée de l'agrément des éco-organismes et, au besoin, en envisager l'allongement, en fonction de la maturité des filières" serait une première piste d'amélioration. Ensuite, la rue Cambon conseille de "simplifier le contenu des cahiers des charges des éco-organismes et [de] les assortir d'objectifs de résultats", et enfin de "simplifier la procédure et l'assiette des sanctions envers les éco-organismes et les producteurs ne remplissant pas leurs obligations dans le cadre de leur responsabilité élargie, et les mettre en oeuvre". A la veille de la création de sa propre filière, reste à voir si le secteur de la construction saisira la balle au bond.

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