AVIS D'EXPERT. L'expérimentation E+C- vise à atteindre simultanément deux objectifs parfois contradictoires : assurer une bonne performance énergétique tout en diminuant l'empreinte carbone. Une résidence de Clermont-Ferrand devrait toutefois parvenir au niveau E3C2. Philippe Perani, responsable du pôle Collectif au sein du bureau d'études ABM Energie Conseil, donne des clefs pour y parvenir.

Le projet Cocoon'Ages à Clermont-Ferrand est une future résidence intergénérationnelle qui promet un grand confort d'usage. Conçue par l'atelier Jean-Paul Cristina pour le compte d'Eiffage Construction, sa particularité sera d'atteindre le niveau E3C2 dans le cadre de l'expérimentation E+C-. Un niveau particulièrement élevé (la note maximale étant E4C2) qui ne semble pas avoir présenté de difficulté insurmontable grâce à l'exploitation du contexte. Philippe Perani, chef d'agence et responsable du pôle Collectif chez ABM Energie Conseil, nous explique : "Ce n'est pas si compliqué. La rareté de cette performance va avec la rareté du système : là, les deux immeubles seront raccordés à un réseau de chauffage urbain alimenté à plus de 90 % par de la biomasse, ce qui donne automatiquement un très bon score en carbone". En effet, le bois énergie utilisé pour faire fonctionner la production de chaleur et d'eau chaude sanitaire permet d'abaisser grandement l'impact CO2 des installations et donc, d'obtenir des gains très forts dans le cadre de E+C-. Dans le cas de la résidence Cocoon'Ages, chaque logement sera équipé d'un module thermique d'appartement (MTA), sorte de "switch", qui répartira l'eau de la boucle locale vers le chauffage ou vers la production d'eau chaude, ce qui permet de ne créer qu'une seule arrivée d'eau du réseau. Côté solution constructive, point de bois, ni même de béton à la formulation exotique, seulement des matériaux standards.

 

 

Philippe Perani poursuit : "Le bâti n'est pas 'riche' en accessoires, façades, garde-corps… Il n'est pas trop compliqué et présente une bonne configuration sur site, avec une certaine compacité. L'emprise au sol a été optimisée sur la parcelle ce qui entraîne que peu de VRD ont été nécessaires". Les circulations avec enrobés et passages de réseaux coûtent en effet relativement cher en carbone pour certaines constructions. Autre astuce, le recours à des places de parking enterrées qui amènent un bonus carbone au projet. "Pour chaque place en sous-sol, est obtenue une majoration des droits à construire d'environ 25 kg de CO2. Et ce, même si la place en elle-même coûte déjà 14 kg de gaz carbonique à produire…", dévoile l'expert.

 

Energies et matériaux forcément décarbonés ?

 

 

Le responsable du pôle Collectif d'ABM Energie Conseil estime que, sans le raccordement au réseau de chaleur urbain et sans le recours à des places de stationnement souterraines, les deux bâtiments n'auraient pas présenté un score aussi élevé. "La moyenne que nous observons, depuis le lancement de l'expérimentation, sur une dizaine de projets, est de E2C1 dans le collectif, voire moins bien", nous explique-t-il. Interrogé sur l'ambition de toute la démarche E+C-, Philippe Perani répond : "Ce n'est pas trop ambitieux mais cela dépend d'où seront fixés les seuils définitifs. Les industriels travaillent à développer des produits moins émissifs en CO2, comme le béton ou des systèmes. Ça ira pour le mieux, comme pour la RT2012 où les débuts étaient difficiles et qui est aujourd'hui devenue la norme". Il tempère toutefois : "Des seuils trop élevés dès le départ entraîneraient des coûts excessifs ou l'impossibilité de réaliser certains projets". Le spécialiste prend l'exemple du gaz comme source d'énergie, qui ne permet pas, pour l'instant, d'atteindre l'objectif Carbone 2. "Pas tant que le biogaz n'est pas valorisé et toujours considéré comme le gaz naturel".

 

La mission des bureaux d'études consiste donc à ménager la chèvre et le chou, "en tenant compte des interactions entre Energie et Carbone". Car la recherche d'une performance très élevée en Energie (E3 ou E4) finira par dégrader la performance Carbone, par l'emploi de matériaux et systèmes supplémentaires ou surabondants. Dès lors, comme se situer par rapport au label E+C- pour des projets non reliés à des réseaux de chaleur aussi vertueux que celui de Cocoon'Ages ? "Nous étudions des projets tout bois et tout électricité. Effectivement, il y a une plus-value au niveau du carbone. Mais il est possible de faire du C2 avec d'autres matériaux que le bois si le bâtiment est bien conçu", nous révèle le chef d'agence ABM Energie Conseil. Il ajoute : "Depuis octobre 2016 et le début de l'expérimentation, nous jouons un peu au yoyo, au fur et à mesure que les fiches FDES sont renseignées dans la base Inies. Nous nous rendons compte que les fiches génériques n'étaient pas forcément défavorables. Aujourd'hui, de plus en plus de fiches sont vérifiées par le CSTB et, plus on avance, plus il est difficile d'atteindre le niveau Carbone 2". Quant à la durée de vie des bâtiments, pour l'heure officiellement fixée à 50 ans, le responsable du pôle Collectif estime pour sa part qu'elle sera sûrement revue… à la baisse. D'où une évolution des parts relatives entre l'empreinte liée à la construction (qui redeviendra primordiale) et celle liée à une exploitation plus courte (qui deviendra moins prégnante). Philippe Perani conclut : "D'autant que les choses peuvent évoluer : si le réseau de chaleur change son alimentation biomasse, parce qu'un jour prochain on considérera que le bois émet trop de particules fines ou que son approvisionnement durable n'est pas assuré, tous les calculs d'ACV seront remis en cause…". Des paradoxes risquent donc de surgir à l'avenir.

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