ÉCONOMIE. Alors qu'il ne reste plus que trois semaines avant l'amorce du déconfinement, de nombreux points de blocage persistent dans les secteurs du bâtiment, du logement, de l'immobilier et du numérique, d'après les remontées du terrain centralisées par la cellule de crise du Sénat. Le soutien de l'Etat serait à relativiser tandis que des difficultés financières menaceraient la construction.

Environ trois semaines avant l'amorce du déconfinement sanitaire en France, pour l'heure fixée au 11 mai et avec toutes les précautions qui s'imposent en la matière, la situation économique serait préoccupante à plus d'un titre, si l'on en croit les remontées du terrain centralisées par la cellule de crise de la commission des affaires économiques du Sénat. Cette structure suit de près l'évolution de la situation dans bon nombre de secteurs d'activité, dont la construction, le logement, l'immobilier et le numérique, et liste les principales difficultés auxquelles font face les entreprises. En premier lieu, de nombreux points de blocage persistent sur les plans administratif et juridique, tous secteurs d'activité confondus : ainsi, les entreprises seraient "confrontées à des injonctions contradictoires", tiraillées entre le souhait de reprendre leur activité et la nécessité sanitaire de préserver leurs salariés, avec en arrière-plan des messages à clarifier du côté des autorités.

 

 

Des conditions d'octroi de prêts "plus strictes" et durcies par certains établissements bancaires

 

Corollairement au premier point, se pose la question de la responsabilité des chefs d'entreprises dans l'application des mesures sanitaires : "les employeurs ont-ils une obligation de moyens ou de résultats quant aux mesures sanitaires ?", s'interroge la cellule de crise du Sénat dans un compte-rendu daté du 10 avril 2020. Un problème complexifié encore par le manque d'équipements de protection, comme les gels désinfectants et les masques. Sur le plan financier, les prêts garantis par l'Etat (PGE), présentés comme facilement accessibles, seraient plus difficiles à obtenir dans la réalité, avec des conditions d'octroi "plus strictes" et durcies par certains établissements bancaires, qui n'hésitent pas à demander à des entrepreneurs des cautions personnelles, "voire même de réaliser une visite médicale" dans l'espoir de décrocher un prêt.

 


Et dans le bâtiment ?

 

Les artisans du bâtiment ont fait remonter au Sénat des constatations spécifiques : d'abord, le décalage des autorisations d'urbanisme présenterait un risque de désorganisation de la filière ; ensuite, le fameux guide de bonnes pratiques de l'OPPBTP s'avère "lourd à mettre en place et reste subordonné à l'accord du client, qui doit signer une décharge de responsabilité, ce que les particuliers refusent de faire", explique la note de la commission. Une évaluation a permis de chiffrer à 40 € par jour et par salarié le coût moyen de ces mesures sanitaires, ce qui aurait découragé "90% des reprises de chantiers". Enfin, la pénurie de matériaux de construction entraîne des conséquences néfastes, comme des demandes de paiements immédiats de la part de certains fournisseurs.

 


De nombreux chefs d'entreprises jugent par ailleurs les paramètres de l'indemnisation de l'activité partielle flous, avec un délai entre le paiement des salaires et son remboursement par l'Etat jugé "trop long, de même que le délai de traitement des dossiers, quand le site Internet fonctionne". Autre serpent de mer : l'élargissement du champ des bénéficiaires des reports de charges, voire l'annulation pure et simple de ces dernières. Face à des appels d'offres publics "au point mort", un appel est également lancé aux maîtres d'ouvrages publics pour relancer les procédures et assouplir certaines règles, "comme les délais et autorisations en matière de permis de construire ou les seuils d'appels d'offres" - entre-temps, une nouvelle ordonnance présentée en Conseil des ministres le 15 avril est revenu sur ces délais.

 

"Beaucoup" d'entreprises n'auraient toujours pas touché le versement de 1.500 € du mois de mars

 

Les retours des entreprises recensés par la cellule de crise parlementaire concernent aussi le fonds de solidarité mis en place par le Gouvernement : en dépit des annonces de Bercy, "beaucoup" d'entreprises n'auraient toujours pas touché le versement de 1.500 € du mois de mars. De plus, "l'éligibilité de certains dirigeants majoritaires de SAS pose question, de même que celle des entreprises qui ont un chiffre d'affaires irrégulier ou qui ont des fonds propres négatifs". D'après le compte-rendu de la commission, le plafond de 60.000 € de bénéfice imposable permettant d'être éligible au fonds de solidarité est "bien trop faible". L'aide complémentaire mise en place par les régions serait elle aussi à relativiser, sachant que pour en profiter une entreprise doit compter au moins un salarié, "ce qui exclut automatiquement la moitié des artisans".

 

En outre, des interlocuteurs ont proposé au Sénat que les compagnies d'assurances décalent leurs échéances mensuelles, "qui pourraient être étalées sur plusieurs mois", pour redonner de l'oxygène aux entreprises. L'apprentissage est aussi impacté : les contrats sont habituellement signés au printemps en vue de la rentrée scolaire suivante, mais risquent de ne pas l'être dans les mêmes proportions cette année, ce qui pourrait engendrer à moyen et long terme des difficultés de main-d'oeuvre.

 

Des surcoûts "qui pourraient atteindre 20%" dans le BTP et une chute d'activité de 70% dans le déploiement de la fibre optique

 

La nécessité d'organiser les assemblées générales de copropriétés "dans de bonnes conditions de délais (faire sauter le verrou du 30 juin) et de convocation" a aussi été soulignée auprès de la commission des affaires économiques, tout comme celle de la prorogation (et non du renouvellement) des contrats de syndics immobiliers. Des professionnels du secteur qui demandent par ailleurs de remettre en route, de manière progressive, la "chaîne du bâtiment et du logement", au moment où la menace de surcoûts "qui pourraient atteindre 20%" commence à se profiler dans le BTP. Des "pistes de relance" sont en cours de réflexion, comme la digitalisation et la simplification des procédures, ainsi que des priorités clairement définies et adaptées "à un tissu économique fragilisé", et où le logement social "aura certainement une place importante".

 

 

Les entreprises du numérique impliquées dans le déploiement de la fibre optique ont également fait part de leurs difficultés aux parlementaires du Palais du Luxembourg. En effet, la filière est "particulièrement inquiète" de la baisse d'activité de ses entreprises, qui atteint les -70%. Le Plan France Très haut débit subirait jusqu'à un an de retard dans son calendrier, sans oublier la fragilisation des plus petites entreprises et le maintien, par la force des choses, d'une "fracture numérique" dans le pays. "Le prix de déploiement d'une prise ayant doublé, une solidarité entre tous les acteurs doit être établie, sans quoi les sous-traitants risquent de faire défaut", affirme la cellule de crise dans son compte-rendu. "La responsabilité des grands opérateurs est de soutenir l'écosystème."

 

L'Etat est lui aussi appelé à la rescousse, via l'Agence nationale de la cohésion des territoires, pour mettre en place une plateforme centralisant les problèmes de déploiements rencontrés dans l'Hexagone. Et les sénateurs d'être prudents s'agissant de la levée éventuelle de certaines contraintes administratives pour faciliter les déploiements : "il conviendrait, avant d'adopter de telles dérogations aux pouvoirs des élus locaux, d'une part, [que les opérateurs] poursuivent les déploiements déjà autorisés ou n'ayant pas besoin d'une autorisation ; d'autre part, de prendre le temps de consulter les associations d'élus et, éventuellement, le régulateur".

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