ENVIRONNEMENT. La Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique qui se tenait à Madrid (Espagne) du 2 au 15 décembre 2019 s'est soldée par un échec : les 196 pays représentés n'ont pas réussi à s'accorder sur un consensus de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni sur les règles des marchés carbone internationaux. Le blocage de la Chine persiste mais les milieux économiques se sont emparés du sujet.

Le temps continue à filer et rien ne bouge. Organisée à Madrid (Espagne) du 2 au 15 décembre 2019 - et après avoir été rallongée de 36 heures de négociations supplémentaires -, la Conférence des parties des Nations-Unies sur le changement climatique, ou COP25, s'est soldée par un échec. Les 196 pays représentés n'ont pas réussi à trouver un terrain d'entente sur la réduction globale des émissions de gaz à effet de serre (GES) ni sur les règles des marchés carbone internationaux, qui avaient été inscrites dans le texte de l'Accord de Paris de 2015 (COP21). Même s'il reconnaît quelques avancées, le ministère de la Transition écologique et solidaire "regrette que les gouvernements ne soient pas allés plus loin dans leurs engagements". L'évènement, placé sous la présidence du Chili et organisé par l'Espagne, devait effectivement finaliser les règles d'application de l'Accord de Paris pour permettre sa mise en oeuvre, à savoir contenir la hausse des températures mondiales en-deçà de 2°C, voire la limiter à 1,5°C.

 

 

Mais rien n'y a fait. Pour Elisabeth Borne, la ministre de l'Ecologie, "l'ambition n'a clairement pas suffisamment été au rendez-vous dans la décision finale de la COP25. Cela ne doit pas nous faire renoncer : l'Union européenne vient d'annoncer son objectif d'être le premier continent au monde à atteindre la neutralité carbone d'ici l'année 2050", a-t-elle ajouté, en référence au "pacte vert" présenté par la Commission européenne fraîchement élue de l'Allemande Ursula von der Leyen. "La France et l'Union européenne ont été au rendez-vous lors de cette COP mais l'urgence de la bataille climatique n'est plus une priorité partagée par tous les pays", a pour sa part estimé la secrétaire d'Etat Brune Poirson.

 

"Une réussite était impossible au vu des circonstances"

 

"Il y a eu une confusion sur le moment de cette COP ; les pays se sont en fait positionnés sur l'année 2020 pour le rehaussement de l'ambition", explique Bettina Laville, présidente du Comité 21, à Batiactu. "2019 n'était qu'une veillée d'armes. Et avec les 80 pays qui ont déjà accepté de revoir leurs engagements à la hausse, et la présentation du Green Deal européen, qui concerne 26 pays, nous arrivons déjà à plus de 100 pays sur les 196 représentés à la COP. Mais les plus gros émetteurs n'en font pas partie : il y a un blocage total des Etats-Unis, de la Chine, de l'Inde, de l'Afrique du Sud et de l'Australie." Les connaisseurs du dossier mettent en avant trois raisons à cela. D'abord, les principaux pollueurs considèrent que la réduction des émissions n'est pas le sujet de cette fin 2019, mais celui de la fin 2020. Ensuite, ils tentent une inversion de la négociation : considérant que les pays développés n'ont pas donné les 1.000 milliards de dollars promis chaque année depuis Copenhague (la COP15, en 2019), ils attendent de voir ce que ces derniers vont faire pour 2020. Et enfin, la Chine bloquerait complètement sur l'Accord de Paris en refusant toute transparence sur ses actions relatives aux niveaux d'émissions. "Une réussite était donc impossible au vu des circonstances. Mais en attendant, les choses se sont considérablement aggravées, aussi bien pour le rehaussement des ambitions que pour les besoins de financements", prévient Bettina Laville. Malgré tout, le "pacte vert" d'Ursula von der Leyen est une bonne chose : l'Europe ayant toujours joué un rôle d'intermédiaire entre les pays réticents et les pays dits du Sud, on peut espérer que la situation s'améliore par rapport à la précédente Commission européenne, présidée par le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, où les choses avaient été un peu figées. "Le marché européen est considérable en termes d'argent disponible et de potentiel de baisse des émissions", précise la présidente du Comité 21.

 


Quels sont les (rares) engagements de cette COP25 ?

 

Ce rendez-vous diplomatique décevant a tout de même été marqué par quelques points positifs. Parmi les rares engagements adoptés figure la reconnaissance de la notion de "pertes et préjudices", qui désigne les conséquences irréversibles du changement climatique sur l'économie et les populations. Un groupe d'experts a d'ailleurs été créé à ce sujet, pour réfléchir à l'instauration d'un mécanisme d'indemnisation. "Mais aucune référence n'a été faite sur un financement additionnel, comme demandé pour les pays les plus vulnérables et les Etats insulaires, qui sont les premiers touchés", relèvent Les Echos.

 

En outre, les associations, les collectivités territoriales (communes, régions...) ainsi que le secteur privé ont tenté de sensibiliser les Etats au coût du réchauffement climatique sur l'économie mondiale. D'après le quotidien économique, quelque 600 investisseurs, à la tête d'un portefeuille cumulé de 37.000 milliards de dollars d'actifs (soit environ 33.200 milliards d'euros), ont appelé les gouvernements à prendre les choses en main. En parallèle, 177 grandes entreprises ont pris l'engagement de diminuer leurs émissions de dioxyde de carbone pour s'inscrire dans l'objectif d'une limitation de la hausse à 1,5°C. Un engagement "considérable" selon Bettina Laville, qui peut faire même office de "levier" : "Depuis 2014, le milieu des affaires s'est rendu compte que le changement climatique pouvait détruire l'économie, et il cherche depuis à préserver ses intérêts en rejoignant le combat historique qui est celui de la préservation de la vie sur Terre".

 

 

Blocages sur les dispositions des marchés d'émissions

 

L'accord adopté à l'issue de la quinzaine de jours de négociations se contente du strict minimum syndical en éludant la problématique, pourtant essentielle, de la réglementation des marchés carbone internationaux, établie par le sixième et dernier volet du guide de l'Accord de Paris. D'après Le Figaro, environ 80% des nations présentes à Madrid auraient accepté de revoir leurs engagements à la hausse, mais ces dernières ne représentent qu'à peu près 10% des émissions mondiales de GES. A contrario, les plus gros émetteurs n'ont rien annoncé pour réduire leur impact environnemental : les Etats-Unis d'Amérique - qui sortiront d'ailleurs de l'Accord de Paris en novembre 2020 -, la Chine, l'Inde, le Brésil, le Japon, l'Australie ou encore l'Arabie Saoudite font partie de ces pays qui n'ont pas fait montre d'une grande volonté. Plus largement, les pays en développement demandent aux pays développés d'assumer la plus grosse charge de cette transition écologique et énergétique.

 

Pour en revenir aux marchés carbone, quelques-uns des plus gros pollueurs cités plus haut sont pointés du doigt pour vouloir imposer des dispositions qui ne rempliraient pas les objectifs de protection de l'environnement. Suite à leur mise en place en 1997 grâce au Protocole de Kyoto, les marchés d'émissions de dioxyde de carbone doivent dorénavant être modernisés par l'article 6 de l'Accord de Paris ; les négociations ont toutefois achoppé sur deux points. D'une part, la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Arabie Saoudite ont, toujours selon Le Figaro, fait pression pour instaurer un système de double comptabilité des crédits carbone, qui reviendrait à compter deux fois les réductions d'émissions de GES : d'abord chez les pays vendant des crédits, ensuite chez les pays achetant ces mêmes crédits, ce qui reviendrait au bout du compte à biaiser les calculs. D'autre part, l'avenir des crédits carbone hérités du mécanisme de Kyoto pose problème : 60% de ces dispositifs sont détenus actuellement par la Chine, l'Inde et le Brésil, qui ne souhaitent logiquement pas les perdre en passant au nouveau système, mais l'Union européenne milite pour un contrôle accru du reversement de ces sommes au sein du nouveau marché d'émissions. Le cas de la Chine est d'ailleurs spécifique : figurant parmi les plus gros pollueurs mais également parmi les plus importants investisseurs dans les énergies renouvelables, l'Empire du Milieu est obligé de développer en parallèle les deux sources d'énergies, fossiles et propres, pour subvenir aux besoins de sa population. "Les Chinois attendent que leurs courbes de production énergétique respectives, pour les énergies fossiles et les énergies renouvelables, s'inversent ; il leur faut un intérêt économique pour opérer pleinement la bascule", analyse Bettina Laville.

 

 

"Le problème, c'est que l'Accord de Paris n'est pas contraignant"

 

Du côté des responsables politiques comme des spécialistes du climat, les déceptions sont donc grandes. Quant aux associations de protection de l'environnement, l'amertume est de mise : "Les conclusions de cette COP, adoptées dans la douleur, marquent le pas, avec l'absence d'une feuille de route claire pour 2020", regrette Greenpeace. "De nombreux Etats, en particulier les plus gros polleurs, arriveront vraisemblablement les mains vides à Glasgow [Royaume-Uni, ndlr], pour la COP26, qui doit voir la mise en application de l'Accord de Paris." Pour la présidente du Comité 21, "le fossé est de plus en plus grand entre la crainte de la société civile et la diplomatie classique des Etats", chacun d'entre eux voyant midi à sa porte. "Le problème depuis 5 ans, c'est que l'Accord de Paris n'est pas contraignant et que les Etats peuvent l'interpréter comme ils veulent, d'où des échéances totalement souples et une application a minima. Comme le texte n'a rien prévu jusqu'en 2020, les gouvernements font ce qu'ils veulent. L'adaptation progresse quand même, les Etats y sont de plus en plus intéressés mais il n'y a pas plus d'argent en face." Rendez-vous donc l'année prochaine, en Ecosse, pour réévaluer les chances pour l'Humanité de saisir de toute urgence le dossier.

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