INFO BATIACTU. Plusieurs acteurs de l'efficacité énergétique et de la construction s'inquiètent d'un projet gouvernemental de redéfinition du niveau BBC-rénovation. Ils prévoient d'éventuelles conséquences néfastes en matière d'efficacité énergétique des bâtiments, et regrettent un nouvel avantage offert aux solutions électriques.

C'est une petite phrase qui met le feu aux poudres, glissée à la page 97 d'un document mis en consultation par le ministère de la Cohésion des territoires le 14 février dernier. Le rapport s'intitule "Stratégie à long terme de la France pour mobiliser les investissements dans la rénovation du parc national de bâtiments à usage résidentiel et commercial, public et privé", et vise à transposer les prescriptions de l'article 2 bis de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments révisée le 30 mai 2018. Le texte est ouvert à commentaires jusqu'au 10 mars 2020.

 

De l'énergie primaire à l'énergie finale, il n'y a qu'un pas

 

Dans cette série de propositions visant à améliorer l'efficacité énergétique du parc existant, le Gouvernement propose notamment, "dans une optique de simplicité et de lisibilité", d'ajuster "la frontière entre les étiquettes B et C du futur DPE (qui sera fixée à l'été 2020 et formulée en énergie finale) sur la cible de performance définie dans la SNBC, soit environ 60 kWhEF/m²/an". Tout ici est dans le "EF", qui signifie donc "énergie finale". L'État propose également de faire correspondre ce niveau de 60 à celui du BBC rénovation, aujourd'hui situé à 80kWhEP/m²/an (exprimé, cette fois-ci, en énergie primaire). Or, comme on sait, l'électricité dispose d'un coefficient d'énergie primaire de 2,58 (probablement bientôt baissé à 2,3), et le passage à une expression en énergie finale avantagerait mécaniquement l'électricité, comparativement aux autres types d'installations. Cette source d'énergie, très peu carbonée en France, serait ainsi une nouvelle fois comparativement avantagée, après de premiers arbitrages favorables dans le cadre de la réglementation environnementale 2020. La logique gouvernementale étant de mettre en avant les solutions les moins carbonées possibles afin d'atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone 2050.

 

 

"Les notions de simplification envisagées en page 97 et supposant une modification de la définition du label BBC-rénovation font craindre une détérioration de ce niveau", réagit pour Batiactu Yann Dervyn, directeur du collectif Effinergie. Au-delà de se demander si ces évolutions seraient, ou non, en accord avec les textes de loi français, Effinergie rappelle aussi être impliquée dans la définition de ce niveau, Yann Dervyn estimant inadmissible de "modifier ces critères sans nous associer étroitement à cette démarche et sans demander l'accord [de notre] conseil d'administration".

 

Un "déséquilibre" en faveur de l'électricité

 

Du côté de l'Association française des industries des matériaux et produits de construction (AIMCC), contactée par Batiactu, on relève notamment le déséquilibre entre énergies que déclencherait ce choix, avantageant "le chauffage et l'ECS à l'électricité (par effet joule direct ou par pompe à chaleur) au détriment des autres énergies et sans relation avec l'évolution du mix énergétique et des usages". Ce relâchement de la contrainte pour l'électricité pourrait avoir des conséquences néfastes en termes d'isolation du bâti. "Une telle proposition permettrait dans le cas des pompes à chaleur et des solutions d'eau chaude sanitaire thermodynamiques de ne plus isoler (parois et fenêtres), laissant le bâtiment au stade de passoire thermique sans aucune exigence sur la sobriété énergétique", alerte l'AIMCC. "Cette augmentation de consommation se traduirait donc uniquement par une dégradation de l'enveloppe du bâtiment puisque ce ne peut être sur les équipements car ceux-ci doivent répondre à la directive éco-conception."

 

Cette invitation à pouvoir consommer davantage d'énergie n'irait pas dans le sens des objectifs de sobriété énergétique, et ferait faire à la France un bond en arrière de dix ans, assure l'organisation professionnelle. Enfin, l'AIMCC regrette la méthode, et appelle à "un travail de fond" et une "concertation équilibrée" pour aboutir à des résultats équilibrés en matière de rénovation énergétique.

 

Un nouveau concept : les équivalents-rénovation

 

Un autre aspect dérange les acteurs : le concept d'équivalent-rénovation, permettant, en fait, d'agréger "les petits gestes de rénovations, y compris ceux ne permettant pas l'atteinte de l'étiquette énergétique B", pour au final comptabiliser une rénovation BBC comme une série de 'petits gestes'. En clair, comme indiqué dans une note du bas de la page 97, "cette méthode de mesure fera apparaître des opérations comptant pour plusieurs 'rénovations', notamment celles permettant des gains énergétiques substantiels pour des passoires très dégradées". Les pouvoirs publics proposent un exemple : passer de G à C ou D pourrait compter pour jusqu'à 3 'rénovations'. Cette notion d'équivalent rénovation permet ainsi d'intégrer sur une trajectoire BBC des gestes tels que le remplacement d'une chaudière à un euro, "alors que ces gestes isolés ne permettront jamais à un bâtiment d'atteindre le niveau BBC", commente un spécialiste du sujet.

"Des objectifs uniquement quantitatifs"

 

Pour le Cler, réseau pour la transition énergétique, "une 'stratégie' qui vise à modifier les indicateurs de suivi pour atteindre les objectifs uniquement quantitatifs n'est pas recevable", peut-on lire dans un document de réaction à la stratégie gouvernementale transmis à Batiactu. L'organisation regrette aussi l'absence "d'analyse critique des dispositifs déployés (certificats d'économie d'énergie dont les offres à 1€...), d'évaluation de leur contribution à l'atteinte des objectifs de la France (à la fois à court terme et à moyen terme)". "En se privant d'une analyse critique, la capacité d'apprentissage et de conception d'actions permettant plus certainement d'atteindre les objectifs fixés s'amoindrit", regrette le Cler.

 

Par ailleurs, cette stratégie touchant au diagnostic de performance énergétique (DPE) qui deviendra opposable en 2021, semble montrer qu'il sera bien exprimé en énergie finale, et non plus primaire, comme annoncé par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) fin 2019.

 

"Si la transition écologique par le nucléaire est le choix de la technocratie française, il faut l'expliquer clairement", la députée Marjolaine Meynier-Millefert

 

Dans une tribune publiée par le journal Le Monde, la députée LREM Marjolaine Meynier-Millefert, copilote du plan de rénovation énergétique des bâtiments, revient sur les débats entourant le fait de favoriser l'électricité nucléaire dans le neuf. L'élue revient tout d'abord sur la révision du coefficient d'énergie primaire de l'électricité à 2,3, évolution qui "permet, de fait, aux solutions électriques peu efficaces de se redéployer dans les équipements de chauffage des logements neufs". Elle déplore également l'abandon probable de l'encouragement à l'autoproduction électrique. "Dans la nouvelle réglementation [la RE2020, NDLR], si vous produisez, ce sera uniquement pour votre propre consommation et non pas pour reverser l'excédent sur le réseau. On préfère de loin visiblement une production électrique centralisée, et donc a priori plutôt nucléaire. Sinon, pourquoi décourager les productions électriques décentralisées puisqu'elles sont elles aussi décarbonées ?"

Freiner le soutien au gaz vert ?

La députée semble également regretter l'unification de la taxe sur le gaz renouvelable avec la taxe sur les énergies fossiles. "Serait-ce une manière de freiner le soutien au gaz vert, principal concurrent de l'électricité dans les logements neufs ?", commente-t-elle.

 

Marjolaine Meynier-Millefert voit mal comment ces décisions iront de paire avec la promesse de la programmation pluriannuelle de l'énergie de diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique. "Existe-t-il une loi zéro de la transition énergétique qui favoriserait la production plutôt électrique, et plutôt nucléaire, au détriment de toutes les autres solutions de transition énergétique ?" Si tel est bien le cas de la part de la "technocratie française", la parlementaire estime qu'il vaudrait mieux "l'assumer et l'expliquer". "On entend trop souvent dire qu'il ne faut pas encombrer nos têtes politiques avec ces arbitrages austères et techniques… Mais il ne faudrait pas dissimuler des choix qui relèvent de la décision politique au creux d'arbitrages techniques de coefficients obscurs et de réglementations dont l'interprétation serait laissée aux seuls spécialistes", conclue-t-elle.

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