ENTRETIEN. Le Gouvernement a réagi à l'incendie de la tour Grenfell en introduisant un nouveau type de bâtiment dans la loi Elan, l'immeuble de moyenne hauteur (IMH). Le risque de propagation des flammes par la façade devrait y être limité. Mais pour Philippe Schultz, président de Défifeu, bureau d'études spécialisé en sécurité incendie et explosion en immeuble d'habitations, il faut aussi intervenir sur d'autres types de bâtiments, plus sensibles encore, ceux où l'on déplore le plus de victimes.

[Note du 6 février 2019 : nous republions cet entretien qui prend malheureusement tout son sens après le dramatique incendie parisien du 5 février ; le sinistre est à l'origine de dix décès.]

 

Batiactu : La loi Elan, à travers la création de l'Immeuble de moyenne hauteur (IMH), vient renforcer la sécurité incendie dans les immeubles de 28 à 50 mètres, segment considéré comme le maillon faible de la réglementation incendie française. Est-ce pertinent ?

Philippe Schultz : Les travaux qui ont été entamés en France pour améliorer la réglementation incendie dans les immeubles résidentiels de quatrième famille sont pertinents. Ce que je crains, toutefois, c'est que l'ensemble des avancées réglementaires ne concernent uniquement cette configuration d'immeuble, avec une isolation thermique par l'extérieur. Car, statistiquement, nous savons que les victimes d'incendie, elles ne sont que rarement liées à l'ITE, elle concernent surtout le collectif ancien où il n'y a pas forcément d'isolation thermique. Et non pas en quatrième famille, mais plutôt en troisième famille, dans du bâti urbain, sur lequel aucune réglementation incendie ne s'applique (c'est-à-dire qui ont été construits avant 1955, date du premier décret régissant ce domaine).

Batiactu : Comment pourrait-on améliorer la sécurité incendie dans ces immeubles ?

Philippe Schultz : Sur ce type de bâtiments, le gros souci est qu'il n'y a aucun suivi de la sécurité par qui que ce soit, si ce n'est le propriétaire ou les copropriétaires. Or, les copropriétaires n'investissent que rarement dans l'amélioration de la sécurité incendie, et les syndics ne connaissent pas les dispositions de l'arrêté de 2013, qui tend notamment à réduire les risques de propagation d'incendie dans les immeubles anciens. Il est pourtant tout à fait possible d'apporter des modifications qui feraient diminuer le risque feu sur ce bâti. Cela est d'autant plus important que les feux sont aujourd'hui plus puissants qu'il y a soixante ans. Il y a davantage, dans les habitations, de matériaux à haute charge calorifique. Et les fumées sont plus massives et toxiques.

 

 

Batiactu : Pour en revenir à l'IMH, la question se pose aujourd'hui d'une éventuelle mise en sécurité d'ITE existantes, posées ces 30 dernières années, mais qui pourraient représenter un risque pour les habitants. Certains acteurs sont-ils sensibilisés à ce sujet ?

Philippe Schultz : Dans le milieu du logement social et intermédiaire, on trouve un certain nombre de bailleurs qui sont sensibles au sujet de la sécurité incendie. Ils ont un sentiment de responsabilité vis-à-vis de leurs locataires, et disons-le ils veulent éviter la mise en examen. Le souci que nous rencontrons, c'est que la mémoire des bâtiments disparaît. Le gros du bâti, toutes familles confondues, date des années 60-70. Les personnes qui ont construit ne sont donc plus là pour nous en parler, et les plans sont difficiles à obtenir. En ce qui concerne les ITE, elles ont été passées dans les années 80-90, et là aussi il est difficile d'obtenir les plans. Donc difficile d'apprécier la qualité du système d'isolation, et de savoir s'il faut opérer ou non des retouches sur existant. Il faudrait effectuer pour cela des investigations destructives, mais peu de bailleurs sont passés à l'acte, même parmi ceux qui ont la fibre sécuritaire. Ils restent dans l'attente d'une décision des pouvoirs publics à ce sujet. Nous en sommes encore aux balbutiements.

 

Plus généralement, pour avancer réellement en matière de sécurité incendie dans l'existant, il nous faut donc aller au-delà du simple bon vouloir des acteurs. Ou alors, il faut dire clairement que nous acceptons collectivement le fait que les bâtiments où il y a le plus de morts ne sont soumis à quasi aucun règlement de sécurité incendie.

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