ANALYSE. Un système de surveillance spécifique mis en place par Santé Publique France et l'Inspection médicale du travail montre une importante progression des troubles musculo-squelettiques et de la souffrance psychique ces dernières années. Les femmes y sont davantage confrontées que les hommes.

La santé des travailleurs s'aggrave au fil des années. L'agence nationale Santé Publique France vient de publier les nouveaux résultats issus de son système unique de surveillance des maladies à caractère professionnel, opéré en partenariat avec l'Inspection médicale du travail, et ils ne sont pas rassurants. Pour ces travaux, l'agence est aussi amenée à collaborer avec la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP).

 

 

Lancé en 2003, ce système a donc pour objectif de quantifier et de décrire les maladies et troubles se déclenchant dans le monde du travail, d'estimer leur sous-déclaration - car un certain nombre passent entre les mailles du filet -, d'établir les mesures préventives et de faire évoluer les pratiques afin de préserver la santé et la sécurité des salariés. Pour rappel, les maladies à caractère professionnel, bien qu'elles soient en lien direct avec la sphère professionnelle, ne sont toutefois pas reconnues par les régimes de sécurité sociale.

 

Beaucoup de signalements dans le BTP

 

La dernière fournée des résultats porte sur la période 2012-2018 ainsi que sur l'évolution des maladies pendant 12 années consécutives. Ce travail a mobilisé l'expertise clinique de 1.375 médecins du travail, qui ont ausculté pas moins de 40.000 salariés sur la seule année 2018. L'analyse a aussi porté sur l'exposition des travailleurs à des facteurs organisationnels, relationnels ou même éthiques qui peuvent déclencher, voire aggraver ces pathologies.

 

D'après le système de Santé Publique France et de l'Inspection du travail, les troubles musculo-squelettiques et la souffrance psychique sont les deux principales maladies professionnelles, et leurs signalements continuent à augmenter. Un pic a été observé entre 2016 et 2018, où celui-ci a été multiplié par 1,4 chez les hommes et par 1,5 chez les femmes. Les TMS sont globalement en augmentation depuis 2015, tandis que les problèmes psychologiques ont connu une hausse progressive entre 2007 et 2018.

 

"Les femmes étaient plus concernées que les hommes par les TMS (2,8 à 4,4% selon l'année) ainsi que par les problèmes de souffrance psychique (3,5 à 6,2% selon l'année)", détaille l'étude, qui précise que ces derniers s'observent notamment chez les femmes de 35 à 44 ans et chez les hommes de 45 à 54 ans. Plus largement, les maladies professionnelles diffèrent évidemment en fonction du métier exercé. Pour les hommes, les taux de signalements les plus élevés ont ainsi été régulièrement constatés dans les secteurs de la construction et de l'industrie.

 

Les cadres plus exposés aux troubles psychologiques

 

Sans grande surprise, les ouvriers sont bien plus concernés par les TMS que les cadres, dans la mesure où les "facteurs biomécaniques" - les mouvements répétitifs, les postures pénibles, le travail avec force... - sont à 80% responsables de ces troubles. C'est en revanche l'inverse pour la souffrance psychique, même si les auteurs du rapport se montrent prudents "en raison d'une possible sous-déclaration chez les ouvriers".

 

Il semblerait en effet qu'une "grande majorité" de maladies professionnelles ne soit pas déclarée, ce qui s'explique la plupart du temps par le fait que le salarié ne connaît pas la procédure adéquate avant la consultation du médecin du travail, et que le diagnostic qui en ressort est souvent "insuffisant".

 

Un phénomène qui s'en ressent au niveau des chiffres, et donc de la santé des travailleurs : les trois quarts des TMS correspondant à des maladies professionnelles n'ont pas fait l'objet d'une déclaration appropriée. Quant à la détresse psychologique, il n'existe pas de correspondance en termes de maladies professionnelles.

 

Porter "une attention particulière" aux ouvriers

 

 

L'étude recommande donc de continuer à informer toujours plus et mieux les salariés, de consolider et de cibler davantage les actions de prévention en améliorant les conditions de travail, en réduisant les expositions aux risques ou encore an adaptant les tâches, surtout à partir de 45 ans. "Les expositions chimiques, biologiques, physiques ou biomécaniques (mouvements ou postures) et les facteurs organisationnels, relationnels et éthiques (Fore) sont des déterminants des maladies professionnelles", souligne le document.

 

Les spécialistes entendent par "Fore" tout ce qui a trait à l'organisation du travail, aux relations professionnelles et aux questions d'éthique : l'encadrement, les violences sous toutes leurs formes, les exigences relatives à l'activité (horaires, déplacements...), la surcharge ou la sous-charge de travail ou encore le manque de reconnaissance. En conclusion, ils appellent à porter "une attention particulière" aux ouvriers, estimant que "la prévention en entreprise adressée à ces travailleurs [est] actuellement majoritairement axée sur la santé physique et les expositions biomécaniques".

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