ENTRETIEN. Denis Dessus, président du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa), répond pour Batiactu aux arguments de l'Union sociale pour l'habitat (USH) quant à la question de l'obligation de concours d'architecture.

Il y a une semaine, Christophe Boucaux, directeur de la maîtrise d'ouvrage de l'Union sociale pour l'habitat (USH), expliquait à Batiactu pourquoi les bailleurs sociaux ne souhaitaient pas être soumis au concours d'architecture. Un article qui a fait réagir Denis Dessus, président du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa).

 

Batiactu : Que pensez-vous des arguments de l'USH en ce qui concerne l'obligation de concours ?

 

Denis Dessus : Nous regrettons que l'USH communique de faux chiffres et avance des arguments qui ne nous paraissent guère valables. D'autant plus que des négociations sont en cours entre le Gouvernement et les bailleurs sociaux dans le cadre d'une remise en cause de la loi Mop. Il est inadmissible que la maîtrise d'œuvre ne soit pas associée aux discussions. L'USH s'attaque aux fondements de la commande publique, en remettant en cause la mission de la maîtrise d'œuvre et son indépendance des intérêts de l'entreprise. Ce serait un retour de 30 ans en arrière ! Nous avons pourtant demandé un entretien au Premier ministre et au Président, sans recevoir de réponses, malgré le fait que notre tribune ait récolté plus de 3.400 signatures, dont de nombreux élus et associations - pas seulement des architectes ! C'est un véritable mouvement de protestation qui se met en place car les évolutions envisagées ne vont pas dans l'intérêt public.

 

Batiactu : L'USH estime que l'obligation de concours les prive de l'accès au foncier. Qu'en pensez-vous ?

 

Denis Dessus : Je rappelle déjà que l'obligation de concours, les concernant, est en vigueur depuis juillet 2017, soit quelques mois ! Cela signifie-t-il qu'avant cette date [c'est la loi Warsmann de 2011 qui a soustrait les bailleurs à cette obligation, NDLR], les bailleurs sociaux avaient des problèmes d'accès au foncier ? Je ne le pense pas. L'USH estime par ailleurs que les promoteurs privés sont plus avantagés qu'eux dans l'accès au foncier. C'est doublement faux. D'une part, je rappelle que les maîtres d'ouvrage privés ont aussi leurs contraintes. De nombreuses opérations ne démarrent pas car la commercialisation ne se déroule pas aussi bien que prévu. Comme vous le savez, les promoteurs ne commencent pas la construction sans avoir pré-commercialisé 50 à 60% de leur projet, pour être sûrs de rentrer dans leurs frais. Autre point que l'USH se garde bien d'aborder : en zones non tendues, les bailleurs sociaux ont un accès privilégié au foncier public par rapport aux autres acteurs. Je rappelle d'ailleurs que des élus siègent dans les conseils d'administration d'offices publics de l'habitat.

 

 

Batiactu : Qu'en est-il des coûts liés au concours ?

 

Denis Dessus : La Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) a chiffré le coût du concours à 0,44% du coût du projet. Et je rappelle que dans le cas d'un contrat de conception-réalisation, ce coût est deux fois plus élevé qu'en concours. Car vous devez indemniser, comme dans le cas du concours, mais sur la base d'un avant-projet sommaire, et non pas d'esquisses. Par ailleurs, le meilleur coût de construction, ce n'est pas le contrat de réalisation-conception, c'est la procédure par allotissement, qui ouvre la concurrence. La conception-réalisation, c'est au contraire la méthode la plus chère ! Ce qui nous amène, selon moi, au problème de fond : ce n'est pas sur les coûts de construction que l'on réalisera des économies. Ceux-ci restent à peu près stables, même si les normes se complexifient. Nous devrions plutôt regarder ailleurs, sur ce qui compose la majeure partie du prix de construction ou du prix de vente, du côté du prix du foncier, des charges de gestion d'un bailleur social, des taxes qui grèvent l'acte de construire, du coût des branchements des bâtiments aux réseaux. Sur ce dernier point, nous sommes obligés de passer par des sociétés en situation de monopole, et les prix ont été multipliés par dix par rapport à il y a vingt ans. Ces coûts-là ne sont pas soumis à concurrence, alors que la part construction est soumise à une concurrence effrénée, autant pour les entreprises que pour la maîtrise d'œuvre.

 

Batiactu : De nombreux bailleurs utilisent le concours d'architecture. Quels avantages y trouvent-ils ?

 

Denis Dessus : Cette procédure leur offre la possibilité de faire un choix transparent, qualitatif et de choisir le meilleur projet dans une concurrence architecturale ouverte. Et il est stimulant pour le maître d'ouvrage de participer à ce moment d'intelligence collective. Par ailleurs, il permet de réunir tous les acteurs autour de la table, en amont, ce qui limite les risques de recours et de contentieux ensuite. Je crois que certains bailleurs sociaux n'ont pas conscience des atouts de cette procédure, en partie parce qu'ils ne la connaissent pas bien. Par exemple, j'ai lu dans l'accord signé entre l'État et les Entreprises sociales pour l'habitat (ESH) qu'il était demandé à ce que le concours soit réservé au-dessus d'un certain seuil de marché. Mais c'est déjà le cas ! Le concours n'est obligatoire qu'au-delà de 144.000 euros HT d'honoraires pour l'Etat, 221.000 euros pour les collectivités territoriales et 418.000 euros pour les entités adjudicatrices. Autrement dit, le concours est obligatoire à partir d'opérations d'une trentaine de logements. Ce qui représente 10% de la production des bailleurs sociaux en construction neuve...

actionclactionfp