RÉACTION. Alors que la polémique bat son plein en ce qui concerne les arbitrages favorisant le chauffage électrique dans le cadre de la future réglementation environnementale 2020, EDF a souhaité avancer sa position et tordre le cou à des "idées reçues".

Tordre le cou à des idées reçues : c'est ce qu'EDF a souhaité faire, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue dans son siège parisien, ce 5 février 2020. Depuis près d'un an, en effet, la polémique n'a cessé au sujet de la décision des pouvoirs publics de favoriser le chauffage électrique dans la future réglementation environnementale 2020. Une tribune contestant ces arbitrages a recueilli plus de 1.800 signatures d'acteurs de la construction, et une lettre ouverte au Premier ministre a été signée par treize organisations professionnelles.

 

EDF a souhaité réagir à ces polémiques en rétablissant ce qu'elle considère être des vérités, dans un contexte où nombreux sont ceux qui voient dans les arbitrages pro-électricité un soutien à la filière nucléaire - l'État étant actionnaire majoritaire de ce groupe, à 83,7%.

 

Les récents arbitrages étatiques favorisent les solutions de chauffage électrique ? Oui, mais...

 

EDF reconnaît que les baisses du coefficient d'énergie primaire (Cep) pour l'électricité (de 2,58 à 2,3) et du contenu carbone du chauffage électrique (fixé à 79g de CO2/kWh) avantagent a priori l'électrique. Cela dit, le fait de favoriser réellement et concrètement des solutions électriques, notamment les radiateurs ou convecteurs électriques, dépendra aussi du niveau du seuil demandé en matière d'efficacité énergétique. Ainsi, selon EDF, si l'État fixe une obligation de 30kWh/m² - plutôt que 50 pour la RT2012, et 57,5 en logements collectifs -, "les solutions électriques ne passeront pas, de la même manière qu'elles ne passent pas aujourd'hui avec la RT2012 en collectif". Et ce, même avec un Cep à 2,3. Tout n'est donc pas joué, rappelle ainsi EDF, avec la fixation du coefficient d'énergie primaire. Les prochains arbitrages qui seront effectués au printemps constitueront le point décisif pour savoir quels équipements pourront, ou non, répondre aux exigences. La publication finale des textes est prévue pour l'été 2020. Nous en sommes ainsi à la "mi-temps" de la concertation.

 

 

Le contenu carbone du chauffage électrique à 79g/kWh ne correspondrait pas à la réalité ?

 

Pour EDF, le choix de fixer à 79g/kWh le contenu carbone du chauffage électrique est justifié. Et, au-delà de la fixation de cet indicateur, le débat porte sur les conséquences de la pointe électrique d'hiver en termes d'émissions de carbone, et la manière avec laquelle on les calcule. Pour EDF, aux jours les plus froids de l'hiver, la France ne dépasse pas 110-120g/kWh pour le contenu carbone du chauffage électrique, et il ne sera pas question de dépasser "largement" ce chiffre à l'avenir, même si l'électrification des logements était actée. "C'est une mesure effectuée quotidiennement par RTE", précise Chantal Degand, directrice adjointe département solutions innovantes bas carbone chez EDF. "Elle nous permet de constater que la pointe électrique ne coïncidait pas nécessairement avec le maximum d'émission de carbone", assure-t-elle.

 

EDF espère quoi qu'il en soit qu'une exigence carbone sera fixée par l'État pour la phase exploitation des bâtiments, et pas seulement pour la phase construction.

 

"Ayons l'électricité intelligente dans le bâtiment !", répond l'ingénieur Thierry Rieser

 

Thierry Rieser, gérant du bureau d'études Enertech, est devenu en quelque sorte le porte-parole des opposants aux récents arbitrages en faveur du chauffage électrique. Contacté par Batiactu, il rappelle que l'essentiel de son message n'est pas de défendre le gaz contre l'électricité, mais de privilégier les solutions électriques les plus performantes, comme les pompes à chaleur, plutôt que des convecteurs électriques.

 

Il insiste notamment sur le calcul du contenu carbone du chauffage électrique en période de pointe, en mettant en avant la méthode marginale, et non la méthode de moyenne, visiblement privilégiée par les pouvoirs publics qui débouchent sur le fameux nombre de 79g/kWh. "On nous explique que 'la' seule méthode est la méthode proportionnelle et non marginale", détaille-t-il auprès de Batiactu. "Sur le fond, c'est déjà critiquable : bien sûr que l'approche marginale a du sens, sinon elle n'existerait pas. Elle revient à dire que si je dois allumer une centrale à charbon pour assurer les besoins du chauffage électrique, je lui impute les émissions de la centrale à charbon. Et non la moyenne du mix à ce moment. C'est une question de bon sens : si je n'avais pas construit ce nouveau bâtiment qui consomme du chauffage, je n'aurais pas eu à allumer cette centrale." C'est en suivant cette méthode que l'ingénieur arrive à des contenus carbone dépassant les 500 g de CO2/kWh pour le chauffage électrique.

 

Thierry Rieser regrette aussi le manque d'objectivité sur ces sujets : "Quand pourra-t-on avoir un débat sur l'énergie en France entre experts indépendants ?"

 

Le gaz peut-il jouer un rôle dans le logement, au vu de la stratégie nationale bas carbone ?

 

Pour EDF, qui dit se caler sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), le biogaz, qui représenterait 2TWh des consommations actuelles, serait réservé à l'avenir pour certaines applications industrielles - donc serait chassé du logement. Un logement neuf chauffé au gaz dégage 12kg de CO2/m²/an, assure EDF, contre 1 à 2 kg pour un logement chauffé à la pompe à chaleur ou au radiateur électrique. Or, l'accent doit être mis aujourd'hui sur le carbone : "Nous sommes, avec la RT2012, presque au maximum en termes d'efficacité énergétique", a ainsi expliqué Chantal Degand. "Mais nous n'avons pas encore pris le tournant du carbone."

 

Signe des temps : les pouvoirs publics ont abandonné l'objectif bâtiment à énergie positive (Bépos) dans le futur texte, a rappelé EDF. "Le Gouvernement s'est rendu compte qu'il aurait poussé à construire des logements chauffés au gaz, sur lesquels on aurait installé du photovoltaïque pour les rendre Bépos." L'exclusion de la prise en compte des autres usages de l'énergie est également à mettre au compte de la décarbonation : ces usages sont visiblement très peu carbonés, assure EDF.

 

La RE2020 signerait-elle le retour des radiateurs "grille-pains" ?

 

"Des grille-pains, il y en a eu à une époque, mais le secteur a beaucoup innové depuis", assure Chantal Degand. "Les équipements sont pilotables, peuvent stocker, et cette progression technique a d'ailleurs été reconnue par l'Ademe dans une fiche de certificats d'économie d'énergie (CEE), qui reconnaît que les nouveaux équipements apportent 16% d'économie d'énergie par rapport à l'ancienne génération."

 

L'électrification du parc de logements augmentera de manière conséquente la consommation énergétique ? Non, répond EDF

 

Dans un scénario envisagé par EDF, la fixation d'un Cep à 2,3 ferait dans l'immédiat très légèrement augmenter la consommation d'énergie finale (ou énergie consommée) dans un appartement chauffé à l'électricité : de 22 kWh/m²/an (pour un Cep à 2,58) à 25 kWh/m²/an (pour un Cep à 2,3). Mais cela restera toujours inférieur à ce qu'un chauffage gaz nécessiterait (50 kWh/m²/an), et cela ferait passer la facture de 830 euros (appartement chauffé au gaz avec Cep à 2,58) à 650 euros (à l'électrique avec un Cep à 2,3). En matière de carbone, l'écart serait aussi important : de 11 kg de CO2/m²/an pour le gaz à 1,4-1,6 pour l'électricité.

 

"La consommation d'électricité serait le résultat certes de l'électrification de davantage de logements, mais aussi de la réduction des consommations énergétiques", assure Chantal Degand. "En conséquence, nous prévoyons une stabilité à moyen terme, puis à long terme une augmentation très modérée des consommations."

 

La RT2012 avantageait l'électricité en maison individuelle ? Oui, mais...

 

Si le gaz a une part de marché de 75%, depuis la RT2012, en logements collectifs, la pompe à chaleur détient la majorité du segment de la maison individuelle. Mais, selon EDF, c'est surtout parce que ces maisons n'ont bien souvent pas accès au réseau de gaz - cette part de marché ne traduirait ainsi pas un avantage conféré au chauffage électrique.

 

La baisse du coefficient d'énergie primaire, au contraire, sera un moyen d'avantager l'électricité en collectif, espère la société. Car le coefficient situé à 2,58 aujourd'hui, constitue un "surcoût" dans la mesure où cela "nécessite davantage d'isolation". "Réduire le CEP de l'électricité revient à diminuer le coût de construction des logements chauffés à l'électrique", résume Olivier Grignon-Massé, chef de mission au département solutions innovantes et usages bas carbone.

 

Le coefficient d'énergie primaire de l'électricité (Cep) a été choisi arbitrairement ?

 

Pour EDF, la fixation du Cep à 2,3 a du sens, en ce qu'elle constitue "une réalité physique sur un mix énergétique prospectif". L'État a en effet fixé un coefficient en se basant sur le mix énergétique de 2035 envisagé dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) - dont rien aujourd'hui, il faut le préciser, ne garantit qu'il sera atteint.

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