REGLEMENTATION. L'État vient de faire connaître les règles du jeu de la future réglementation environnementale 2020, qui sera appliquée à compter du 1er janvier 2021. Les arbitrages en faveur du chauffage électrique sont à présent inscrits dans le marbre. Détails.

L'État persiste et signe. Comme l'avait annoncé Batiactu précédemment, la réglementation environnementale 2020 (RE2020) signera une montée en puissance du chauffage électrique dans les bâtiments. En effet, par un communiqué de presse du 14 janvier 2020, le ministère de la Cohésion des territoires confirme que le coefficient d'énergie primaire (Cep) de l'électricité sera bien ramené de 2,58 à 2,3 et que le contenu carbone du chauffage électrique sera ramené à 79g/kWh (contre 210 dans l'expérimentation E+C-, censée préfigurer la RE2020). Le raisonnement des pouvoirs publics semble simple : qui dit baisse des émissions carbone dit utilisation d'énergie décarbonée, et qui dit énergie décarbonée dit notamment électricité nucléarisée ou renouvelable. L'objectif de la stratégie nationale bas carbone 2050 est aujourd'hui érigé en principal horizon. Autre confirmation apportée par les pouvoirs publics : la RE2020, comme son nom ne l'indique pas, entrera en vigueur au 1er janvier 2021.

 

Garantir la fraîcheur en période de canicule

 

Le Gouvernement fixe le cap en trois points principaux : la RE2020 devra diminuer l'empreinte carbone des bâtiments, améliorer leur performance énergétique et "garantir la fraîcheur pendant les étés caniculaires" qui nous sont promis par le Giec. Les simulations sont d'ores et déjà lancées et tiennent compte des évolutions réglementaires évoquées ci-dessus. Le recours aux matériaux biosourcés qui stockent le carbone, aux modes constructifs peu émissifs, ou aux énergies décarbonées, sera encouragé. En matière d'efficacité énergétique, le "Bbio" sera renforcé, assure aussi le Gouvernement.

 

 

Ces éléments déclenchent naturellement déception et colère chez Thierry Rieser, gérant du bureau d'études Enertech, devenu en quelque sorte le chef de file de la contestation quant à la RE2020 telle qu'elle se dessine. Il a signé une tribune, fin 2019, qui a récolté 1.700 signatures d'architectes et maîtres d'œuvre. Contacté par Batiactu, il se dit "très déçu" à la suite des annonces ministérielles, dans la mesure où il attendait de bonnes nouvelles après des échanges menés avec les pouvoirs publics, fin 2019. "Nous voulions aller plus loin, plus vite, plus fort, mais le soufflé est retombé", regrette-t-il. "L'État a dit qu'il ne fallait pas avoir l'électricité honteuse dans le bâtiment [lire notre article ici, NDLR], mais le risque est d'avoir aujourd'hui une électricité un peu bête dans le bâtiment", résume-t-il.

 

Contenu carbone de l'électricité : "Ce choix n'est pas tombé du ciel"

 

Contactée par Batiactu, l'Union française de l'électricité (UFE) a réagi aux annonces gouvernementales. En matière de contenu carbone du chauffage électrique, l'organisation assure que "ce choix n'est pas tombé du ciel". "Les pouvoirs publics ont décidé de s'appuyer sur une méthode plus fine et plus proche de la réalité qu'auparavant. Ceci est indispensable si nous souhaitons atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone 2050." L'UFE invite aussi, en comparaison, à ne pas se reporter au chiffre qui avait été choisi pour l'expérimentation E+C- (à savoir 210), mais à celui choisi par l'Ademe, 147 gCO2/kW.h.

 

Sujet connexe, celui de la pointe électrique d'hiver. A ce sujet, l'UFE assure qu'en France "1 kWh d'électricité en période de pointe hivernale est toujours moins carboné qu'1 kWh de chauffage au gaz en temps normal". Toutefois, la filière électrique assure ne pas perdre de vue les objectifs en matière d'efficacité énergétique. "Dans notre scénario prospectif présenté fin 2019, nous envisageons certes une hausse de la part de marché de l'électrique dans le résidentiel et le tertiaire (de 35% en 2018 à 55% en 2050), mais en valeur absolue la consommation électrique diminuerait (de 271 tWh à 258 tWh)." Pour quelle raison ? Principalement par l'utilisation de technologies plus performantes comme "chauffages Joule performants ou des pompes à chaleur", indique l'UFE.

 

Enfin, au sujet des passoires thermiques qui pourrait mécaniquement sortir des classifications F et G du fait de la modification du coefficient d'énergie primaire, l'UFE estime que le vrai sujet n'est pas là. "Le sujet social est celui de la précarité énergétique et du montant des charges qui pèsent sur certains ménages, en lien avec l'énergie consommée (énergie finale). D'où l'importance d'avoir décidé d'indiquer dans les futurs DPE la consommation en énergie finale et le montant des dépenses théoriques de l'ensemble des usages du DPE. Pour autant, que l'on change le coefficient d'énergie primaire de l'électricité ne doit, bien sûr, pas nous faire abandonner l'objectif de rénovation du parc existant."

 

"Nous avons donc un retour aux grille-pains"

 

Il assurait dans sa tribune, sur ce point, qu'il n'était pas nécessaire de modifier le Cep ou le contenu carbone du chauffage électrique pour pouvoir privilégier des solutions performantes telles que les pompes à chaleur. "Nous avons donc un retour aux 'grille-pains', qui consomment trois fois plus que les solutions électriques intelligentes, mais cela n'ira pas au service de la lutte contre la précarité énergétique." Selon lui, le pic de chauffage hivernal reste difficile à gérer, et la donnée de 79g/kWh ne "reflète pas la réalité physique".

 

Pour l'Association française du gaz, ce choix va "aggraver la facture d'électricité des Français"

 

Ce choix va "favoriser indéniablement le chauffage électrique et y compris le chauffage électrique peu performant dans le collectif à partir de radiateurs", a regretté mardi Patrick Corbin, président de l'Association française du gaz (AFG), contacté par l'AFP. "Par conséquent, ça va aggraver la facture d'électricité des Français." Il estime également que favoriser à outrance l'électricité entraînera le soucis de la carbonation des énergies supplémentaires : "Aujourd'hui l'électricité supplémentaire est produite soit à partir d'électricité carbonée sur le territoire français soit à partir d'importations - et on le sait les importations sont assez largement carbonées du fait de nos voisins."

 

Un soutien étatique à l'électricité ?

 

Mais le professionnel va plus loin : il rapproche ces arbitrages des décisions allant en faveur de la massification des véhicules électrique, dans une politique générale cherchant à justifier la construction de nouveaux EPR en augmentant les besoins en électricité du pays. "Ces arbitrages remontent au plus haut niveau de l'État et montrent la dimension systémique du soutien à l'électricité dans cette période", croit savoir Thierry Rieser. Qui estime par ailleurs que les aides au déploiement des énergies renouvelables ne sont pas à la hauteur. "Nous allons ainsi tout droit vers l'annonce de la construction de nouveaux EPR. Mais qui va payer la facture ?" Pour autant, il reste des points de satisfaction, pour lui, dans la réglementation, comme le renforcement du Bbio, et le maintien du bilan Bépos - même si l'ingénieur aurait préféré qu'il ne soit pas qu'informatif. L'Union française de l'électricité (UFE), de son côté, se satisfait également de l'inclusion du confort d'été dans la RE2020. "Les bâtiments que nous livrons aujourd'hui, respectant la RT2012, n'y sont pas adaptés : des usagers recourent ainsi à des climatiseurs très énergivores, ce qui n'est pas souhaitable du point de vue de l'efficacité énergétique", précise un porte-parole de l'organisation.

 

La concertation n'est pas terminée

 

L'ingénieur salue également la qualité de la concertation qui a précédé ces arbitrages, lors de ces derniers mois et années. "Certaines de nos propositions ont été prises en compte, ce qui n'était pas le cas pour les RT précédentes. Mais si cette concertation a eu lieu pour déboucher sur des arbitrages tels que ceux qui viennent d'être communiqués, peut-on vraiment parler de concertation ?..." Celle-ci n'est, pour autant, pas terminée. Une nouvelle phase aura lieu à l'issue des simulations, précise le Gouvernement, pour "analyser avec précision les effets de la RE2020 sur les matériaux, les modes constructifs et les filières du bâtiment". "Cela permettra d'arrêter l'ensemble des paramètres et objectifs de la future réglementation en vue d'une publication des textes réglementaires d'ici l'automne 2020." Thierry Rieser espère bien avoir son mot à dire à ce moment. "On m'a assuré que les rails qui seront imposés seront si exigeants que les radiateurs grille-pains ne passeront pas : j'attends de voir...", conclut-il.

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