ARCHITECTURE. Différents acteurs de la création architecturale et de la construction expliquent les tenants et aboutissants du permis d'innover et du permis d'expérimenter. Sont-ils identiques ou complémentaires ? Sont-ils des permis de déroger à toutes les règles ou des encouragements à l'imagination ? Eléments de réponse avec Agnès Vince, du ministère de la Culture, et Mickael Thierry, de la DHUP.

"Le permis d'expérimenter dans la loi est-il un permis de faire n'importe quoi ?", s'interroge Agnès Vince, directrice de l'Architecture au ministère de la Culture, avant de répondre : "Non, il s'agit de s'émanciper momentanément de certaines règles de moyens". Elle s'exprimait le 26 mars 2019, dans le cadre d'une soirée d'informations organisée par l'université Paris Dauphine et Architecture et maîtres d'ouvrage (AMO).

 

 

La spécialiste insiste sur la mission même de l'architecte : "C'est l'art de la synthèse, de l'intégration, de l'invention, pour répondre aux demandes, aux enjeux patrimoniaux ou environnementaux, et à des engagements qui ne doivent pas être considérés comme des contraintes". Elle rappelle les façons d'aborder un projet architectural, par le biais des caractéristiques historiques et géographiques du site, avant de glisser sur l'aspect inhérent d'innovation, propre au processus de création. "Il y a une phase expérimentale, avec des tâtonnements, des essais, des itérations. Ce qui induit une prise de risque, l'ennemie jurée du court-terme", poursuit-elle, insistant sur l'aspect de long terme et la notion de bien commun pour toute la profession et la société des avancées produites par cette démarche de recherche des entreprises, des architectes et urbanistes. Ce que soutien Max Castro, directeur des Grands projets urbains à la Compagnie de Phalsbourg : "Cette notion de prise de risque de la part de l'investisseur permet la création de valeur dans le temps, grâce la qualité architecturale. Il n'est pas question de rentabilité financière de l'opération". Selon ses propres mots, la France aurait "été dévastée par les promoteurs immobiliers et la piètre qualité architecturale" de leurs projets, louant la créativité débridée des concours comme Réinventer Paris.

 

Innover dans certains projets…

 

"La loi ELAN contient un dispositif intéressant à ce titre, le permis d'innover", souligne Agnès Vince. Une disposition qui permet de déroger à certaines règles de la construction dans des zones géographiques précises. Il s'agit des Opérations nationales d'intérêt (OIN), des Grandes opérations d'urbanisme (GOU), des Opérations de revitalisation du territoire (ORT) et du futur village olympique de Paris 2024. C'est d'ailleurs suivant cette logique que Solideo, société qui doit livrer les ouvrages de l'événement sportif, a choisi d'opter pour la solution constructive bois. Ce permis d'innover est différent du permis d'expérimenter apparu dans la loi relative à la Création, à l'architecture et au patrimoine (CAP), étendu dans la loi pour un Etat au service de la société de confiance (ESSOC). "Un dispositif puissant, qui ne portait initialement que sur les logements et bâtiments publics", relate la directrice de l'Architecture au ministère, pour qui il ne s'agit pas d'un simple droit à déroger ou éviter des règles, mais bien d'une démarche de conception renouvelée, inclusive et responsable.

 

... avant de généraliser à toute la construction

 

 

Mickaël Thiery, adjoint au sous-directeur de la Qualité et du développement durable dans la construction, explique : "Les deux ordonnances de la loi ESSOC portent sur le permis d'expérimenter et sur la réécriture du code de la construction. Elles intègrent donc les deux dimensions, d'innovation technique et architecturale". Pour l'ingénieur, l'accumulation de règles et d'exigences de moyens, était néfaste. Il reprend : "Aujourd'hui on dispose de connaissances plus fines et de moyens de contrôle ou de simulation performants. D'où un choc de simplification". La première ordonnance "préparera donc le terrain" avec la recherche de solutions à effets équivalents et la définition de garde-fous performanciels. La seconde sera plus ambitieuse avec l'inscription, dans le code de la construction, d'une logique de résultats et non plus de moyens. Un premier décret est sorti le 11 mars 2019, tandis qu'un second permettant de capitaliser les données afin de pérenniser les avancées est attendu pour le mois d'avril. "C'est un dispositif transitoire, dont le texte a été co-construit avec les professionnels et le Conseil supérieur de la construction", précise-t-il. Concrètement, les projets souhaitant bénéficier de ce droit à l'innovation subiront des contrôles techniques, d'abord sur dossier en amont par un "attestateur" (CSTB, Cerema, bureau d'études qualifié) lors de l'étape de dépôt de permis de construire, puis à postériori, à la fin des travaux, afin de vérifier la bonne mise en œuvre des solutions retenues. Un appel à manifestation d'intérêt a été récemment lancé par Julien Denormandie, se fondant sur trois piliers énumérés par Mickaël Thierry : "L'appui technique de la DHUP, le soutien financier pour les surcoûts d'ingénierie pouvant aller jusqu'à 10 k€ par projet, et la promotion des projets les plus ambitieux". Par rapport au permis d'innover, le permis d'expérimenter aura une durée de vie plus longue, s'étirant au moins jusqu'en 2025.

 

Quant à l'ordonnance II d'ESSOC, qui abrogera la première, est en cours de rédaction, espérée pour février 2020. Cette réécriture des règles de la construction sera le chantier le plus important à mener pour les différents groupes de travail mis en place. "Il faudra réécrire la partie législative et créer une procédure d'innovation. Des objectifs chiffrés à atteindre seront fixés", note l'adjoint au sous-directeur qui rappelle l'élaboration, en parallèle, de la future Réglementation environnementale 2020 des bâtiments. Agnès Vince, pour sa part, estime que si les résultats des solutions innovantes étaient équivalents à ce qui était jusqu'ici la norme, il faudrait alors les enseigner dans les cursus de formation des architectes, notamment avec l'aide du CSTB. A l'avenir, l'important ne sera donc plus de connaître par cœur tous les codes de la construction et de l'urbanisme mais bien de s'appuyer sur la compétence d'équipes diversifiées, valorisant l'ingéniosité.

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