ENTRETIEN EXCLUSIF. Continuité du secteur énergétique, relance des chantiers de BTP et adaptations nécessaires, point de situation sur les réformes en cours avant la crise, etc. La ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, répond aux questions de Batiactu.

Batiactu : Comment s'organise la continuité du service public dans le secteur énergétique et quelles recommandations doivent suivre les agents mobilisés ?

 

Elisabeth Borne : Très concrètement, les acteurs de l'eau, du gaz et de l'électricité disposent la plupart du temps de plans de continuité d'activité qui permettent de réorganiser le travail en période de crise et qui ont été activés dès le début du confinement. Depuis, ils sont pleinement mobilisés pour remplir leur mission et faire en sorte que le pays continue de fonctionner. Des femmes et des hommes sont sur le terrain chaque jour pour que chaque hôpital, chaque foyer, chaque entreprise ouverte soient alimentés. Nous avons des échanges constants avec les représentants de ces filières pour garantir leur fonctionnement et l'application des gestes barrière qui permettent aux salariés de travailler en sécurité. Nous constatons un fonctionnement normal, sans tension sur la sécurité d'approvisionnement.

 

Batiactu : Observez-vous des phénomènes de consommation énergétique inhabituels ?

 

E.B. : Selon les évaluations de RTE, on constate une baisse des consommations d'électricité sur ces dernières semaines par rapport aux consommations normales : un changement dans les usages s'est opéré chez les Français puisque les pics d'activité ne sont plus au même moment de la journée. Cela s'explique en grande partie par la fermeture des écoles et la baisse de l'activité économique dans le pays.

 

Batiactu : Un guide de bonnes pratiques pour une reprise des chantiers de BTP étant disponible, faut-il généraliser la relance des opérations et inciter toutes les entreprises à reprendre le chemin du travail?

 

E.B. : Rappelons d'abord ce qu'est ce guide. Il s'agit de recommandations sanitaires élaborées par les représentants de la filière du BTP. Ce travail a été réalisé en lien étroit avec les ministères du Travail, de la Transition écologique et solidaire, de la Ville et du Logement et celui des Solidarités et de la Santé, qui ont validé ces préconisations. Ce guide permet à chaque entreprise de connaître les règles à suivre pour reprendre les chantiers en assurant la protection de ses salariés, en s'organisant de manière adaptée et en respectant les gestes barrières. Il est adapté à la situation actuelle et pourra au besoin évoluer en fonction des circonstances.

 

"Le guide est adapté à la situation actuelle et pourra au besoin évoluer"

 

L'objectif est de permettre à une activité-clé pour le pays de reprendre de façon plus significative en assurant la protection des salariés. Mais si ce guide peut s'appliquer à tous les types de chantiers, ma préoccupation comme ministre de la Transition écologique et solidaire porte, bien entendu et avant tout, sur les travaux indispensables pour la continuité des activités dans les secteurs de l'énergie, des transports, de l'eau ou des déchets.

 

 

Quoi qu'il en soit, le guide précise que la reprise de l'activité doit se faire en accord avec le maître d'ouvrage ou le client particulier, après avoir vérifié que les conditions de sécurité sanitaire sont réunies. Si, malgré tous les efforts d'adaptation, la relance des chantiers en toute sécurité n'est pas possible, les entreprises concernées peuvent faire appel aux dispositifs de soutien mis en place par le Gouvernement, notamment l'activité partielle.

 

Batiactu : Les grands chantiers doivent-ils être prioritaires pour ne pas prendre un retard incompressible qui mettrait en péril la tenue des JO par exemple, et engendrerait un surcoût trop important à supporter ? Et qui devra prendre en charge ces conséquences ?

 

E.B. : Avec la sortie du guide, une circulaire a été adressée aux préfets pour relayer les bonnes pratiques sanitaires et établir avec les acteurs locaux un point de la situation et de la poursuite d'activité. Elle évoque les grandes catégories de chantiers qui répondent à des besoins vitaux, par exemple les établissements de santé, ou des travaux d'urgence, de maintenance dans des logements qu'il est nécessaire de poursuivre.

 

"Une réflexion sur l'adaptation des contrats (…), le partage d'éventuels surcoûts est en cours"

 

Les chantiers stratégiques feront l'objet d'un recensement dans chaque région et, si besoin, des solutions pour leur maintien ou leur reprise seront recherchées avec les acteurs sous l'égide des préfets. Il est encore tôt pour évaluer le retard que pourraient prendre certaines opérations et les coûts générés : une réflexion sur l'adaptation des contrats, le report de délais, de pénalités et le partage d'éventuels surcoûts est en cours, en veillant à l'équilibre entre les contractants.

 

Le CDG express pas prioritaire

 

Dans un article du Parisien, publié le 13 avril, plusieurs élus franciliens, opposés au projet, se sont émus de la reprise du chantier du Charles-de-Gaulle Express, qui pourrait intervenir cette même semaine selon eux. Ils ont adressé un courrier à la ministre de la Transition écologique et solidaire, estimant que "la reprise de tels chantiers serait une véritable mise en danger des salariés". Ils en appellent même à rouvrir la réflexion sur le projet et à réinterroger son utilité sociale "à l'aune des priorités de l'après-pandémie".

 

Ce projet, estimé à 2Mds€, prévoit de relier le plus grand aéroport français à la gare de l'Est en moins de 20 minutes. Ces opposants le jugent inutile car ne bénéficiant qu'à quelques "privilégiés" qui pourront faire le trajet plus rapidement, mais ne servira pas la mobilité du quotidien. Pis, sa construction aura des répercussions sur le trafic du RER B et sur la modernisation de cette ligne, saturée. Pour limiter cet impact, Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, annonçait il y a un an un report du calendrier pour une mise en service d'ici à la fin 2025.

 

Alors la relance de ce chantier contesté est-elle vraiment imminente ? L'entourage de la ministre tient, dans tous les cas, à préciser qu'Elisabeth Borne n'a aucunement prononcé le caractère urgent et prioritaire de ce projet pour une reprise rapide. Par ailleurs, la ministre ne compte pas se substituer aux préfets, qui tiennent le rôle de coordonnateurs et doivent définir les priorités sur leur territoire : "elle ne va pas répondre et instruire chaque chantier, cette tâche revient aux préfets. Il n'y a pas d'opposition à une reprise, où qu'elle soit, si et seulement si les conditions évoquées dans le guide de l'OPPBTP sont respectées. Car la priorité est la sécurité des personnels", insiste-t-on au ministère.

 

Batiactu : Certaines voix en appellent déjà à envisager un grand plan de relance, qui passera notamment par l'investissement public et privé, et dont le BTP serait un acteur clé. Cette idée constitue-t-elle une piste pour commencer à préparer l'après-confinement ?

 

E.B. : Le gouvernement est prioritairement mobilisé sur la gestion de la crise sanitaire. A ce jour, notre préoccupation concernant le secteur du BTP, qui est bien entendu un secteur d'activité central pour le bon fonctionnement du pays, est d'abord de permettre aux chantiers en cours de reprendre en assurant la sécurité des salariés.

 

Batiactu : Où en sont les travaux concernant la RE2020, le label RGE… ?

 

E.B. : Les travaux qui le peuvent se poursuivent, et c'est bien ainsi. La situation actuelle rend certes plus complexes les concertations avec les acteurs ou les consultations obligatoires. Mais certaines peuvent en effet être dématérialisées. Ces projets ne sont cependant pas tous au même stade d'avancement. Ceux qui étaient en cours de finalisation, comme la réforme du label Reconnu garant de l'environnement (RGE), seront mis en œuvre dès que cela sera possible.

 

Les travaux en cours de finalisation, comme la réforme du label RGE, seront mis en œuvre dès que cela sera possible

 

Pour les autres projets qui nécessitent encore une concertation plus approfondie, nous allons, avec Julien Denormandie et Emmanuelle Wargon, recaler les calendriers pour que la tenue des concertations puisse tenir compte de la période d'urgence sanitaire.

 

Les acteurs en appellent à un travail de "préparation" et de "surveillance"

 

Le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique s'est réuni le 7 avril dernier. L'occasion d'effectuer un point de situation lors de cette crise inédite. Par rapport au guide de l'OPPBTP, Thierry Repentin, président de l'instance, rappelle qu'il "ne faut pas oublier que construire dans une telle période de crise sanitaire relève d'un travail de préparation et de surveillance considérable".

 

L'application de certaines clauses et pénalités des contrats tourmente également certains acteurs. Le CSCEE en appelle à un cadre "sécurisé pour tous les intervenants". Les acteurs souhaitent aller plus loin que l'ordonnance présentée par le Gouvernement.

 

Enfin, le BTP voudrait qu'une continuité dans l'instruction des permis de construire soit assurée pour soutenir la reprise d'activité. "C'est un sujet sur lequel le Gouvernement réfléchit et proposera des solutions concrètes par ordonnance dans les prochains jours", précise Thierry Repentin.

 

F.L.

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