CRITIQUES. Pour l'association Amorce, réunissant collectivités territoriales et professionnels de l'énergie, le projet de loi énergie et climat n'est pas assez acéré pour répondre aux objectifs en matière de rénovation. Il constituerait même une forme de recul par rapport à la loi de transition énergétique de 2015. Explications.

"Nous sommes stupéfaits de voir émerger ce projet de loi énergie et climat qui semble ignorer le décrochage de nos objectifs par rapport à ceux de la loi de transition énergétique de 2015", lance Nicolas Garnier, délégué général de l'association Amorce, composée de collectivités territoriales et de professionnels de l'efficacité énergétique. Il s'exprimait lors d'une conférence de presse, le 3 juillet 2019. L'organisation s'appuie notamment sur le diagnostic effectué par le Haut conseil pour le climat, sévère pour le Bâtiment. "Nous nous attendions à une réaccélération afin que la France reste crédible par rapport à ses engagements nationaux et internationaux ; au final, le texte parle bien de rénovation énergétique, mais de manière saupoudrée..."

 

Raisonner en énergie finale "avantage forcément l'électricité"

 

Pourquoi cette indignation ? Car malgré les dispositions prises, les acteurs d'Amorce regrettent un manque de fermeté dans les engagements pris, au-delà même du projet de loi actuellement en discussion. "Le projet de décret tertiaire [prévu par la loi Elan, NDLR] a le mérite d'exister", affirme par exemple Nicolas Garnier, "mais il est aveugle sur l'énergie consommée, au type d'énergie utilisé. Ainsi, une école chauffée au fioul ou à la chaufferie bois aura les mêmes objectifs à remplir", regrette-t-il - notant d'ailleurs une tendance générale des politiques publiques à raisonner en énergie finale, et non en énergie primaire. "Quand on parle en énergie finale, cela avantage forcément les solutions de chauffage électrique", décrypte Amorce, qui note que l'État est actionnaire majoritaire d'EDF, à 83,7%.

 

 

L'association est forcément revenue sur la disposition qui a tant agité les débats ces dernières semaines, à savoir l'interdiction des passoires thermiques à la location. Et les acteurs d'Amorce sont loin d'être convaincus sur son efficacité à court et moyen terme. Car en 2023, le niveau de performance énergétique indiqué dans la définition de la décence pourrait être compris à un niveau de 600 à 700 kWh/m². Ce qui limiterait, selon Amorce, le nombre de logements concernés à 150-200.000, alors qu'il y aurait entre deux et trois millions de passoires énergétiques. "Nous préfèrerions placer la barre à 250-300 KWh/m²." Par ailleurs, note Amorce, "c'est le prochain président de la République qui devra mettre en œuvre la mesure, même si l'on nous dit qu'elle sera précisée d'ici-là".

 

Cette mesure ne déclenchera donc pas, dans l'immédiat, des travaux de rénovation. D'autant plus que pour que cela soit le cas il faudrait tout d'abord que le diagnostic de performance énergétique (DPE) soit fiabilisé, ce qui n'est pas encore le cas, même si des travaux sont en cours. "Car en l'état actuel des choses, il suffit [dans certains cas] d'offrir un café au diagnostiqueur pour gagner deux classes", grince un élu...


Des sanctions de 7.000 euros pour les bailleurs indélicats ?

 

L'autre moyen de déclencher des travaux immédiatement serait d'annoncer d'ores et déjà le montant des sanctions pour les bailleurs indélicats qui ne respecteraient pas l'exclusion des passoires thermiques du marché locatif. "Nous proposons 7.000 euros par logement", explique Nicolas Garnier. Amorce pose ensuite la question du contrôle des performances. "Les collectivités locales n'ont pas les moyens de le faire", assure Nicolas Garnier. "Surtout pas à l'heure où nous perdons des plateformes de la rénovation énergétique [lire notre article ici, NDLR]." Le label Reconnu garant de l'environnement, dont une nouvelle version devrait paraître en 2020, n'a visiblement pas suffit à sécuriser totalement ce problème de la qualité.

"On laissera des gens vendre aux particuliers des fenêtres en PVC en leur disant que c'est génial"

 

La question de la confidentialité des données est également un frein à lever, et constitue une autre "bataille" avec la Cnil. "Il faut assurer une information neutre sur l'énergie, secteur qui a été débordé par le démarchage téléphonique. Nous devons passer un conventionnement avec les téléprospecteurs, sinon on laissera des gens vendre aux particuliers des fenêtres en PVC en leur disant que c'est génial", craint Nicolas Garnier.

 

Cibler les passoires énergétiques et massifier les travaux reproductibles

 

Davantage de moyens devraient ainsi être fournis aux collectivités locales en réactivant la fiscalité carbone, et en la fléchant vers les actions favorisant la transition énergétique au niveau des territoires. "Ces ressources nous permettraient par exemple de contrôler la qualité des travaux, comme nous le faisons pour l'assainissement", explique le porte-parole d'Amorce. Les collectivités ont, de ce point de vue, lancé à titre expérimental, sur plusieurs petits communes, la construction d'une base de données permettant de repérer les habitations en précarité énergétique à rénover urgemment. "Nous recevons de nombreuses alertes, de la part des fournisseurs d'énergie, des bailleurs sociaux, des distributeurs d'énergie, des travailleurs sociaux..., mais il nous manque une structure où les centraliser", explique Nicolas Garnier. L'idée est donc de mieux repérer ces gisements de travaux et d'inciter les propriétaires à rénover si on leur propose un reste à charge est très faible, de l'ordre de 15 euros par mois par exemple. "Nous pouvons identifier 1.000 logements par commune, et jouer sur des travaux reproductibles, profitant ainsi des économies d'échelle à la dimension d'un territoire." Trois millions d'euros ont été mis sur la table pour ce programme. En attendant la concrétisation de la proposition d'Emmanuel Macron de décentraliser la politique du logement ? "Pour le moment, c'est très flou, nous n'avons aucune information à ce sujet", balaie un porte-parole d'Amorce.

 

Les élus représentés au sein d'Amorce regrettent enfin le côté tapageur des offres du type "chaudières et Pac à 1 euro". "Ce n'est pas réellement de la rénovation, le rendement n'est pas toujours au rendez-vous, et c'est assez paradoxal de faciliter la vente de chaudières à gaz, donc carbonées...", regrette Nicolas Garnier.

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