Après des mois d'enquête, 120 gendarmes et policiers ont interpellé 26 chefs d'entreprises de maçonnerie dans l'ouest de la France et en région parisienne. Tous sont soupçonnés d'avoir organisé un vaste réseau de travail clandestin.

Vingt-six responsables d'entreprises de maçonnerie, principalement de nationalité turque, ont été placés en garde à vue mercredi dans le cadre d'une vaste opération de démantèlement de filières de travail clandestin, a-t-on appris jeudi à Rennes de source proche de l'enquête.
Quatorze étrangers en situation irrégulière ont également été interpellés lors de l'opération, dirigée par la section de recherches de la gendarmerie de Rennes, avec la participation notamment de policiers de la PAF, d'agents des impôts et de personnels de l'Urssaf, selon la même source. Ces interpellations ont eu lieu à Rennes, Nantes, Saint-Nazaire, Redon, Compiègne et Paris.
Le groupement d'intervention régional (GIR) de Rennes soupçonne les responsables interpellés d'avoir mis en place un vaste réseau de travailleurs clandestins sous la pression d'un responsable d'une des plus importantes entreprises de BTP de l'Ouest.
Ce chef d'entreprise, dont l'identité n'a pour l'instant pas été révélée, a été tiré de son lit à 6h, à son domicile en Ile-et-Vilaine raconte le quotidien régional Ouest-France. Il a aussitôt été placé en garde à vue avec son épouse et son comptable. Ce responsable, qui est également élu local, sous-traitait de nombreux chantiers à des artisans maçons.

A la Fédération du Bâtiment d'Ile-et-Vilaine, on s'interroge sur l'aspect «dramatique» donné à ces interpellations. «Sur notre département, nous avons une à deux affaires de ce type par an, mais jamais de cette ampleur et surtout, nous n'avons jamais vu une telle mise en scène. Quelles sont les réelles motivations ? Sont-elles d'ordre politique ?» s'interroge Michel l'Hoste, secrétaire général de la fédération départementale, contacté par Batiactu.

L'enquête, menée pendant six mois environ, visait essentiellement des entreprises de maçonnerie dirigées par des patrons turcs et leur système d'embauche d'ouvriers démunis parfois de titres de séjour. Ils seraient environ au nombre de 200 dans le département de l'Ile-et-Vilaine.
Souvent, une ou deux personnes sont embauchées et déclarées officiellement. L'équipe se complète alors avec une main d'oeuvre bon marchée, car clandestine, recrutée par connaissance ou dans des bars de quartier. Un bon nombre de ces travailleurs au noir qui ne son pas clandestins sont inscrit au RMI ou touchent le chômage, ce qui permet de ne pas être trop exigeant en matière de rémunération.

Dans la région, le marché de la pose de parpaings ou de dalles est quasiment monopolisé par ces entreprises dirigées par des turcs. «Sur ces marchés, ces entreprises disposent d'un réel savoir-faire et sont plus compétitives. Il n'est pas surprenant que des entreprises générales aient recours à leurs services, surtout lorsque l'on sait que les prix sont de plus en plus tendus et qu'elles font face à de gros problèmes de main d'oeuvre» reconnaît Michel L'Hoste. «Le problème vient plutôt des sous-traitants de ces sous-traitants. Car en bout de chaîne, le donneur d'ordre ne contrôle plus rien» explique-t-il.

Entrer dans ce réseau comme sous-traitant de sous-traitant est, semble-t-il, relativement simple pour un membre de la communauté turc de la région. Il suffit simplement d'être titulaire d'un certificat d'aptitude délivré après un stage d'une semaine à la chambre des métiers.
En cas de soupçon du fisc ou de l'Urssaf, ces entreprises déposent le bilan. «Les liquidations judiciaires prononcées par le tribunal de commerce de Rennes dans le secteur du bâtiment sont nombreuses» constate Ouest-France. «Cinq, rien que pour la semaine dernière». La société renaît alors, l'ancien dirigeant n'hésitant pas à se salarier et à utiliser un prête-nom. Bien évidemment, le numéro de téléphone portable qui sert de lien avec le donneur d'ordre reste inchangé.

Avec la baisse de la TVA, le travail au noir a sensiblement diminué dans le BTP, mais cette baisse est surtout effective dans la rénovation et force est de constater que ces pratiques demeurent encore largement. Le secteur de la construction n'est pas le seul concerné. Le problème est quasiment identique dans l'hôtellerie et la restauration, les transports de marchandises, l'agriculture... bref, tous les secteurs réputés pénibles et où il est difficile de trouver de la main d'oeuvre. Selon les Comités de lutte contre le travail illégal (Colti), le travail clandestin ferait même son apparition dans de nouveaux secteurs comme la sécurité et les services informatiques. Tous secteurs confondus, le manque à gagner pour l'Etat et les organismes sociaux est estimé à 55 millions d'euros.

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