ENTRETIEN. Plusieurs scientifiques de pointe, connaisseurs de la cathédrale Notre-Dame, se sont réunis au sein de l'association des scientifiques pour Notre-Dame, pour participer au travail de diagnostic et d'études du monument. Olivier de Châlus, porte-parole de l'organisation, ingénieur infrastructure au sein d'Arcadis, nous détaille les enjeux concernés.

Batiactu : Pourriez-vous, dans un premier temps, nous présenter votre association de scientifiques pour Notre-Dame ?

 

Olivier de Châlus : Notre association regroupe entre 200 et 220 scientifiques de disciplines différentes, dont les meilleurs connaisseurs de la cathédrale de Paris. Certains sont parmi ceux qui produisent le plus de connaissance sur la cathédrale. Notre premier objectif est donc de mettre nos compétences à disposition des équipes de restauration de l'édifice, en centralisant notamment les connaissances produites par la recherche académique. Notre transversalité rend possible cela, au-delà de ce que peuvent les acteurs traditionnels du monde du patrimoine.


Batiactu : Concrètement, quelle pourrait être votre 'valeur ajoutée' sur cette opération ?

 

Olivier de Châlus : Nous permettons par exemple le dialogue avec des disciplines comme la physique ou la chimie, plus éloignés du cœur du domaine patrimonial. Nous récoltons donc et compilons de très nombreuses données sous forme de fiches, que nous publions régulièrement sur notre site internet (cliquez ici pour en savoir plus), pas forcément connues de la Drac ou des spécialistes du patrimoine stricto sensu. Si la Drac le souhaite, nous pouvons également dégrossir certains sujet, certaines recherches documentaires pour lui faire gagner du temps si elle y trouve un intérêt.

 



"A trop se concentrer sur l'objectif final, on peut oublier les problématiques du moment."

 

Batiactu : Quelle est votre analyse sur les débats en cours : délai de cinq ans, reconstruction, etc. ?

 

Olivier de Châlus : Actuellement, de nombreux débats se tiennent sur la question de la restauration, et du délai de cinq ans fixé par le président de la République. Mais la plupart de ces questions sont très anticipées, voire anachroniques. Et à trop se concentrer sur l'objectif final, on peut oublier les problématiques du moment. J'ai par exemple publié un billet sur des fondations non-utilisées de la cathédrale qui pourraient accueillir un échafaudage [à lire ici, NRLD]. Il ne serait ainsi pas nécessaire d'installer des micropieux et de risquer d'esquinter des trésors archéologiques dont on peut raisonnablement supposer l'existence sous l'édifice.

"Le savoir-faire français s'étend aussi aux personnes qui font de la gestion de projet en matière de patrimoine"

 

Par ailleurs, nous avons remarqué la présence de peintures à l'intérieur de l'édifice jusque-là inconnues. Il faut les étudier et les préserver. Ces exemples illustrent bien l'importance de prendre le temps d'un vrai diagnostic : est-on vraiment à six mois près ? Nous parlons beaucoup, et à raison, de la compétence des entreprises de restauration, des artisans (charpentiers, tailleurs de pierre…), mais le savoir-faire français s'étend aussi aux personnes qui font de la gestion de projet en matière de patrimoine. Un autre exemple, lorsque des joints de maçonnerie sont dégradés, leur analyse préalable à tous travaux est essentielle pour ne pas avoir à réintervenir quinze ans plus tard parce qu'une opération a été mal préparée et faite à la va-vite.

 

Je tiens également a rappeler que les étapes définies par le code des marchés constituent un outil de qualité de restauration. Lorsque que vous initiez un appel d'offres, les soumissionnaires construisent en détail leur réponse, permettant d'avoir un retour circonstancié de tout ce que peut proposer le monde de la profession sollicitée. S'il n'y a plus de mise en concurrence, cette phase de contrôle du métier par le métier ne se fera pas.

 

Batiactu : Le projet de loi pour la reconstruction envisage toute une série de dérogations à diverses réglementations et procédures classiques. Cela est-il compatible avec vos recommandations ?

 

Olivier de Châlus : Peut-on dire que l'on soigne le patrimoine si l'on se passe de fouilles archéologiques ? La découverte de pirogues à Bercy, datées du cinquième millénaire avant Jésus-Christ, prouve qu'il y a de l'activité depuis près de sept milles ans dans les environs. Au début du quatrième siècle, un mur d'enceinte gallo-romain a été par ailleurs édifié sur l'île de la Cité, englobant le site actuel de la cathédrale. Ce lieu est donc un lieu de vie depuis très longtemps et regorge d'informations et de vestiges patrimoniaux insoupçonnés : on ne sait pas même pas précisément combien de cathédrales ont précédé Notre-Dame sur ce site.

"Tout doit être mis en œuvre pour avoir la meilleure connaissance possible du monument avant de lancer un chantier"

 

Autre exemple : au chevet de Notre-Dame, il y avait l'église Saint-Denis du Pas où, d'après une légende médiévale, le premier évêque de Paris, Saint-Denis, a été détenu. Il y a donc peut-être, à cet endroit, une prison gallo-romaine.

 

La charte de Venise dont la France est l'un des signataires, et l'un des rédacteurs les plus représentés puisque quatre Français y ont participé, stipule que tout doit être mis en œuvre pour avoir la meilleure connaissance possible du monument avant de lancer un chantier, cela concerne évidemment aussi le sous-sol.

 

Batiactu : La reconstruction de la flèche fait l'objet d'une nouvelle querelle des anciens et des modernes. Comment vous positionnez-vous sur le sujet ?

 

Olivier de Châlus : En tant que scientifiques, nous n'avons pas à nous prononcer sur cette question, elle est hors de notre champ de compétences. Notre sujet est celui de la préservation de l'existant et du diagnostic. Je n'ai d'ailleurs pas d'avis personnel sur le fait qu'il faille ou non reconstruire la même flèche. Un concours sera ouvert, et tout dépendra des règles du jeu qui seront alors fixées.

 

Batiactu : Le délai de 5 ans fixé par le président de la République est-il tenable ?

 

Olivier de Châlus : Cela dépend : de quoi parle-t-on exactement ? S'agit-il de rouvrir la cathédrale au culte ? De lui rendre son faste liturgique ? De pouvoir accueillir le public dans un monument historique ? De lui rendre son rayonnement international ? De récréer une activité économique autour de la cathédrale ? Énormément de pistes peuvent alors être explorées en fonction des objectifs poursuivis : mettre en avant des expositions d'œuvre d'arts liées à la cathédrale, présenter sur Internet des données 3D, des images hautes résolutions, avoir recours à la réalité virtuelle, développer toutes sorte de publications, notamment pour expliquer le chantier, trouver des média ludiques (jeux de société, escape games…), l'éventail des possible est en réalité énorme : tout est possible !

 

Repères biographiques
Olivier de Châlus, ingénieur chez Arcadis, a travaillé notamment sur le Grand Paris Express en tant qu'assistant maître d'ouvrage (directeur adjoint de l'AMO de la ligne 15 ouest). Il fait partie depuis 2008 de l'équipe des guides bénévoles de la cathédrale de Paris. Il étudie également, à la Sorbonne, l'histoire des techniques de construction au XIIIe siècle, avec Notre-Dame de Paris comme cas d'illustration.

actionclactionfp