PATRIMOINE. Dans son premier bilan sur la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, la Cour des comptes indique que l'état du monument était déjà préoccupant avant l'incendie, et que les responsabilités sur la sécurité incendie sont entremêlées. Les Sages formulent plusieurs recommandations pour clarifier la situation, notamment sur la question de l'utilisation des dons.

Dresser un premier point d'étape sur le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris après l'incendie dont elle a été victime le 15 avril 2019, tel est l'objet du rapport dévoilé ce 30 septembre 2020 par la Cour des comptes. Portant non seulement sur les travaux de réhabilitation en eux-mêmes mais également sur la conservation du monument d'une manière plus large, le document formule des recommandations pour davantage de transparence et de clarification dans les responsabilités. Au-delà de la "vive émotion" qu'a suscité le drame, les Sages ont rappelé qu'une souscription nationale avait été lancée dès le lendemain, soit le 16 avril 2019, et qu'ils avaient annoncé le contrôle des fonds mobilisés le 24 avril. Le 29 juillet, la loi pour la conservation et la restauration de Notre-Dame était adoptée par le Parlement, et l'établissement public chargé de piloter cette reconstruction a vu le jour le 1er décembre.

 

 

Un chevauchement de responsabilités qui a conduit à un manque d'anticipation

 

Dans ce rapport qui n'est qu'un premier bilan sur le sujet, les juristes de la rue Cambon ont étudié les situations de l'édifice avant, pendant et après l'incendie, mettant ainsi le doigt sur des enchevêtrements de responsabilités et un manque de transparence sur certains financements. Lieu de culte cependant ouvert à la visite et accueillant ainsi des millions de touristes chaque année, Notre-Dame affiche une gestion complexe, partagée entre la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), le Centre des monuments nationaux (CMN) et l'archevêché de Paris ; si la cathédrale appartient à l'Etat, ses abords, à savoir le presbytère et le parvis, sont en revanche la propriété de la Ville de Paris.

 

Un mille-feuilles qui a conduit à des "incertitudes" sur la propriété des biens présents dans l'édifice, mais aussi sur les responsabilités, particulièrement dans le domaine de la sécurité incendie. Un "défaut d'anticipation" a en outre conduit à proroger début 2019 la convention tripartite (Etat, Eglise et CMN) sur la sécurité incendie, qui était arrivée à échéance mais qui n'a conduit à aucune remise à plat de l'organisation. C'est le même manque d'anticipation qui "a conduit à renouveler le marché de sécurité incendie et d'assistance dans des conditions irrégulières", assène le rapport.

 

"Cette situation traduit à nos yeux une attention très insuffisante portée aux questions de sécurité dans la cathédrale. La Cour recommande donc d'engager, sans attendre la réouverture du monument, une clarification, une remise à plat des responsabilités de gestion et de mise en sécurité. Cette gestion complexe explique sans doute en partie l'état de dégradation très préoccupant de la cathédrale dans les années précédant l'incendie. Les moyens humains comme financiers consacrés à l'entretien et à la restauration du monument étaient très limités, trop limités." -Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

 

L'ouverture d'une enquête judiciaire ne dispensait pas celle d'une enquête administrative

 

Pendant le drame, la Cour juge néanmoins que les services de l'Etat, à commencer par la Drac, ont réagi très rapidement et se sont immédiatement mobilisés. Beaucoup de marchés de gré à gré ont été passés pour lancer le plus vite possible les travaux de restauration. Mais le chantier de sauvegarde a été perturbé par la découverte d'une pollution au plomb, puis par l'épidémie de Covid-19 qui a interrompu les travaux pendant plusieurs mois. Deux facteurs qui expliquent vraisemblablement l'augmentation des coûts du chantier, estimés à l'origine à 65 millions d'euros et aujourd'hui chiffrés à 165 millions, pour un achèvement prévu en août 2021.

 

Il y a toutefois un sérieux bémol que la Cour des comptes a tenu à souligner : "Nous ne comprenons pas que le ministère de la Culture n'ait pas engagé d'enquête administrative, au vu de l'ampleur et de la gravité de l'évènement", a poursuivi Pierre Moscovici. "La catastrophe justifiait totalement de s'assurer de l'absence de défaillance dans le pilotage du chantier et dans la conduite des travaux, d'autant que ce sont les mêmes équipes de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d'oeuvre qui ont la responsabilité de mener les travaux urgents, et que ce sont aussi les entreprises déjà présentes sur le chantier avant l'incendie qui réalisent désormais les travaux de sauvegarde."

 

Pour les Sages, l'enquête judiciaire actuellement menée par le parquet de Paris n'excuse pas que l'Etat se prive d'une enquête administrative ; "une carence préjudiciable" pour les autres cathédrales et monuments du patrimoine français. "Il faut absolument tirer toutes les leçons de l'incendie pour éviter d'autres drames. Nous recommandons au ministère d'engager sans plus tarder cette enquête administrative", a insisté le président de l'institution.

 

824,75 millions d'euros de dons collectés au 31 décembre 2019

 

Sur l'après-incendie, la Cour s'est penchée plus précisément sur la souscription nationale et l'établissement public chargé de la conduite des travaux de restauration. La loi du 29 juillet 2019 a confié la collecte des dons à quatre organismes agréés : le Centre des monuments nationaux, la Fondation de France, la Fondation du patrimoine et la Fondation Notre-Dame, sans oublier le Trésor public. "Les réseaux de ces collecteurs se sont avérés très complémentaires et la souscription a rencontré un succès extraordinaire", a assuré Pierre Moscovici. Et pour cause : au 31 décembre 2019, pas moins de 824,75 millions d'euros avaient été collectés. Sur cette somme colossale, environ 72 millions ont été reversés avant la fin 2019 aux deux fonds de concours spécialement instaurés après l'incendie par un décret de Bercy. Les donateurs se distinguent par ailleurs par leur diversité : particuliers comme entreprises provenant de 140 pays ont ainsi contribué à l'effort national, leurs dons représentant 16% des sommes perçues au 31 décembre 2019. Et si plus de 338.000 dons ont déjà été versés, soit près de 185 millions d'euros, une autre enveloppe impressionnante de 640 millions constitue à elle seule des promesses.

 

 

"L'utilisation des fonds recueillis doit répondre à deux impératifs : l'information des donateurs et la transparence dans l'utilisation des fonds, pour lesquels des marges de progrès existent, et des efforts doivent être entrepris rapidement à ce sujet", souligne le premier président de la Cour. L'enquête menée par l'institution napoléonienne a aussi permis de mettre en lumière le coût de l'organisation de la collecte, les conventions entre ministères et organismes collecteurs prévoyant la possibilité d'imputer sur les dons des frais de gestion bénéficiant aux institutions concernées. Des dispositions pas condamnables en soi mais contraires aux engagements qu'avait pris le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi, celui-ci déclarant alors que les collectes seraient réalisées gratuitement.

 

Des dons qui servent essentiellement à financer les frais de fonctionnement de l'établissement public

 

Autre point sensible : la nature des dépenses pouvant être financées par les dons, et les modalités d'information des donateurs. La loi est censée réserver "exclusivement" l'utilisation des fonds collectés au chantier de restauration ; or il apparaît que les premiers budgets de l'établissement public ont imputés les dépenses de fonctionnement de ce dernier sur les dons. "Nous ne sommes pas convaincus que les donateurs avaient pour objectif de financer le fonctionnement, via des salaires ou des loyers, de l'établissement public en charge de la restauration de Notre-Dame", relève Pierre Moscovici. "Nous recommandons que soit apportée à l'établissement une subvention annuelle sur les crédits budgétaires du ministère, car une telle situation risque de fragiliser la confiance des donateurs. Nous recommandons également de doter l'établissement d'une comptabilité analytique permettant une traçabilité des dons, en fournissant des données détaillées et régulières sur l'utilisation des fonds. Les donateurs se sont mobilisés de façon exceptionnelle et ont droit à la transparence la plus stricte sur l'emploi des dons."

 

Pour leur deuxième bilan d'avancement du chantier, les Sages donnent rendez-vous en 2022, une fois que les opérations de sauvegarde auront été achevées et lorsque celles de restauration auront débuté.

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