AVIS D'EXPERT. La loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc) fait entrer le champ de la maîtrise du risque incendie dans le "permis d'expérimenter". Y a-t-il de quoi s'inquiéter pour la sécurité des personnes ? Réponse avec Jean-Michel d'Hoop, spécialiste du sujet et expert honoraire auprès de la Cour d'Appel de Paris.

Début 2018, plusieurs spécialistes de la sécurité incendie, dont les sapeurs-pompiers, s'inquiétaient de l'entrée de leur domaine dans le champ d'application du permis d'expérimenter. Pour rappel, ce dispositif, contenu dans la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), vise à ouvrir le champ de l'innovation dans le secteur de la construction en faisant primer l'objectif de résultats sur l'objectif de moyens. Si la Fédération nationale des sapeurs-pompiers s'est dit, depuis, relativement "rassurée", des inquiétudes demeurent. Pourra-t-on maintenir un bon niveau de sécurité en donnant moins de poids au prescriptif ?

 

Jean-Michel d'Hoop, expert du sujet, livre à Batiactu son analyse de la situation, en se montrant optimiste.

Batiactu : La loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), publiée le 11 août dernier au Journal officiel, consacre son article 49 à la construction en général, et en particulier à la sécurité incendie. À partir de votre expérience d'expert judiciaire spécialisé dans ce domaine, quels sont vos premiers commentaires ?

Jean-Michel d'Hoop : En matière de sécurité incendie dans la construction, cette loi permettra aux constructeurs de pouvoir garantir un niveau de sécurité satisfaisant autrement que par la conformité à la réglementation. Comme tout changement, ce projet fait l'objet de commentaires divers : certains sont inquiets, d'autres sont optimistes, d'autres, réalistes, cherchent à organiser ce changement.

 

Batiactu : Pourquoi être inquiet ?

 

Jean-Michel d'Hoop : Actuellement, nous vivons sous le régime de la conformité à un ensemble de règlementations. L'objectif est d'obtenir la conformité. Cette conformité rassure, offre une garantie de moyens qui est souvent considérée (à tort à mon avis) comme une garantie de résultat. C'est confortable, légal et rassurant. Certains voient dans cette liberté de «faire autrement» le risque d'une baisse du niveau de sécurité. On parle même «d'alerte sur la sécurité», de «sécurité en danger»… En réalité, les craintes sont dues au fait que les textes actuels (normes et règlements) ne seront plus les seuls repères dans la maîtrise des risques d'incendie, ce qui risque de bousculer les habitudes, les prérogatives, les certitudes.

 

 

Le concepteur d'un projet devra intégrer les études de sécurité incendie dans sa mission, en prendra la responsabilité (moyennant des honoraires supplémentaires), alors qu'aujourd'hui, il suffit d'appliquer la réglementation et, si nécessaire, de consulter le service départemental d'incendie et de secours.

 

Batiactu : Qu'en pensent alors ceux que vous jugez «optimistes» ?

 

Jean-Michel d'Hoop : Je dois préciser que j'en fais partie… Pouvoir prendre du recul vis-à-vis des prescriptions réglementaires permettra d'améliorer la sécurité du bâti ancien malgré une impossibilité structurelle de «mise en conformité». On pourra (enfin !) se référer sur ce point à la circulaire du 13 décembre 1982 qui n'ai pas appliquée, n'étant pas un Règlement. La réglementation n'évolue pas aussi vite que les besoins de notre société : de nouvelles activités ne sont pas «réglementées» (self-stockage par exemple). Cette souplesse légale permettra de faire appel plus aisément à une ingénierie de sécurité incendie, mieux adaptée à des projets innovants, en faisant du «sur mesure» qui permettra de diminuer certains coûts.

 

Enfin, on se référera naturellement à la norme NF ISO 23932 qui, norme française depuis 2009, reste confidentielle et traite de toutes les conséquences de l'incendie sans se limiter à la sécurité des personnes dans les espaces publics ou communs. Cette norme précise la méthodologie applicable à cette démarche.

 

Cette loi représente un progrès significatif dans la maîtrise du risque d'incendie.

 

Batiactu : Concrètement, comment appliquer ces principes ?

 

Jean-Michel d'Hoop : Dans son rapport de 2013 sur le «droit souple», le Conseil d'état insiste sur l'importance du «changement de comportement». C'est là l'essentiel et le plus difficile. Le changement important est que l'étude de la sécurité incendie sera intégrée à la maîtrise d'œuvre, en temps réel, en suivant l'évolution du projet. L'application du Bim implique la participation constante de l'ingénieur conseil dans le déroulement des études de conception. Cela suppose une formation des acteurs.

 

Le préventionniste intégré à la maîtrise d'œuvre devra répondre à l'article 1792 du code civil : il devient locateur d'ouvrage, et devra donc être assuré en fonction de son activité car il devient responsable de la conception de la sécurité incendie dans le projet.

 

C'est pour ces raisons, entre autres, que le Conseil d'État parle de «changement de comportement». C'est bien ce qui inquiète !

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