ANALYSE. Plusieurs amendements au projet de loi Elan viennent retoucher les règles de l'assurance construction. Gwénaëlle Durand-Pasquier, agrégée et professeur à l'Université de Rennes I, décrypte la situation pour Batiactu.

Batiactu : Alors qu'initialement aucun des textes du projet de loi Elan ne traitait de l'assurance construction, un débat parlementaire semble envisager de modifier les limites de l'assurance construction obligatoire. Pourriez-vous nous en dire plus ?

 

Gwénaëlle Durand-Pasquier : Plusieurs amendements successivement déposés et votés dans le cadre de l'adoption de la loi Elan visent en effet à restreindre le champ de l'assurance obligatoire en cas de travaux sur existant. Il s'agit plus précisément de mettre fin aux conséquences, en matière d'assurance, d'une solution jurisprudentielle développée depuis 2017 au sujet de l'installation d'éléments d'équipement sur des bâtis existants.

 

Batiactu : Quels problèmes ces amendements cherchent-ils à résoudre ?

 

Gwénaëlle Durand-Pasquier : Les difficultés sont apparues avec un premier arrêt rendu le 15 juin 2017. Dans cette décision, puis à quatre reprises ensuite, la Cour de cassation est venue affirmer que l'installation d'un élément d'équipement dissociable sur un bâti existant relève de la garantie décennale lorsque cette installation rend l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. Autrement dit, l'installation d'une pompe à chaleur, d'un insert de cheminée, voire, comme cela a été retenu dans l'une des décisions, d'un simple revêtement de sol peut engager la responsabilité décennale de l'installateur dès lors que, suite à cette installation, l'ensemble composé par le bâti nouvellement équipé est devenu impropre à sa destination.

 

 

Juridiquement, cette ligne prétorienne contribue à élargir considérablement le champ de la responsabilité décennale. Des travaux qui n'étaient pas concernés jusque-là le deviennent. De même, de simples installateurs, qui interviennent régulièrement pour changer une chaudière par exemple ou ajouter tel ou tel équipement sur des immeubles bâtis, sont désormais susceptibles de voir leur responsabilité décennale engagée. Cela soulève de nombreuses questions, en cas de revente du bien notamment, pour la responsabilité du vendeur, mais également eu égard aux assurances que ces installateurs doivent souscrire. En outre, une dernière question, qui n'est pas des moindres, consiste à savoir si, lorsque ces installateurs ont souscrit une assurance décennale, cette assurance obligatoire vient désormais systématiquement couvrir les dommages causés aux existants.

 

Concrètement, la difficulté, s'agissant de l'assurance obligatoire, est de déterminer si l'assurance décennale de celui qui a installé un insert de cheminée ou une pompe à chaleur couvre tous les dommages causés à la maison. Et c'est à cette question, précisément, que les différents amendements déposés dans le cadre de la loi Elan cherchent à répondre.

 

Batiactu : Quelle est la position de la jurisprudence par rapport aux dommages sur existants couverts par l'assurance obligatoire suite à l'installation d'un élément d'équipement ?

 

Gwénaëlle Durand-Pasquier : La question de la couverture des dommages causés aux existants par l'assurance obligatoire lorsqu'un constructeur a réalisé de gros travaux de rénovation ou d'extension sur un bien déjà bâti avait déjà suscité d'importantes difficultés par le passé. Face aux problématiques juridiques et économiques soulevées, l'ordonnance du 8 juin 2005 est ainsi venue insérer un nouveau texte. L'article L 243-1-1 du code des assurances pose désormais que : "Ces obligations d'assurances ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf en deviennent techniquement indivisibles."

 

L'idée sous-jacente consistait précisément à ne pas faire couvrir les existants par l'assurance obligatoire, ceci pour des questions évidentes d'évaluation et de montant des primes, les existants étant susceptibles d'avoir des valeurs extrêmement diverses et surtout sans commune mesure avec les travaux nouveaux réalisés.

 

Toutefois, à l'époque, la question ne s'était pas posée, évidemment, de l'application de ce texte aux cas de travaux de simple installation d'un élément d'équipement dissociable, tel un insert de cheminée ou une pompe à chaleur. Pourtant, bien entendu, un raisonnement a fortiori aurait dû conduire, là aussi, à écarter la couverture des dommages causés aux existants. Or, par une nouvelle décision du 26 octobre 2017, la Cour de cassation a au contraire retenu une position inverse. Elle a posé que les dispositions de l'article L 243-1-1 du code des assurances ne sont pas applicables à un élément d'équipement installé sur existant. Dans cette affaire, il devait ainsi être jugé que, suite à un incendie ayant affecté une maison après l'installation d'une cheminée à foyer fermée, non seulement l'installateur engageait sa responsabilité décennale et devait à ce titre réparation sans faute de la totalité des désordres causés à la maison, mais aussi que son assurance décennale obligatoire devait couvrir la totalité de ces désordres causés aux existants. Cette solution est évidement critiquable. Elle se fonde, certes, sur une application littérale de l'article L 243-1-1 du code des assurances. Car, encore une fois, le texte ne vise pas directement les cas de simples installations d'un élément d'équipement. Il traite des seules hypothèses de construction d'un ouvrage sur existant. Et pour cause, puisqu'en 2005 on ne pouvait songer que la simple installation d'un élément notamment dissociable était susceptible de relever de l'assurance obligatoire ! Mais précisément alors, une attention portée à l'esprit du texte aurait dû amener la Cour de cassation à écarter les dommages causés aux existants en cas de simple installation d'une pompe à chaleur, d'un insert de cheminée ou de tout autre éléments d'équipement dissociable. Et c'est donc cette exclusion que les différents amendements soumis au vote dans le cadre de la loi Elan entendent faire définitivement graver dans le marbre de la loi.

 

Batiactu : Que disent précisément les amendements successivement adoptés dans le cadre du vote de la loi Elan et permettraient-ils d'atteindre le résultat recherché ?

 

Gwénaëlle Durand-Pasquier : Il me semble que dans l'état actuel des débats, non, le texte ne permet pas encore tout à fait d'atteindre le résultat escompté. En réalité, il y a eu plusieurs séries d'amendements sur ce sujet et le premier texte voté par l'Assemblée nationale vient tout juste d'être écarté par le Sénat, le 19 juillet.

 

La première tentative portée par l'Assemblée nationale avait en effet abouti à un texte tout à fait décevant et à mon sens voué à une grande inefficacité. Concrètement, il prévoyait d'ajouter un III à l'article L 241-1-1 suivant lequel "les assurances obligatoires mentionnées aux articles L 241-1, L 242-2 et L 242-1 ne garantissent pas les dommages aux ouvrages ou éléments d'équipement existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception des dommages subis par les seuls ouvrages existants qui totalement incorporés dans l'ouvrage neuf en deviennent techniquement indivisibles". Cette rédaction n'aurait en réalité eu aucune incidence sur les solutions prétoriennes visées et ceci pour deux raisons au moins. La première est que la formule conduisait à écarter les dommages aux éléments d'équipement existants avant l'ouverture du chantier. Or, la question n'est absolument pas celle de savoir si les éléments existants avant le chantier sont couverts ou non ! La question est de savoir dans quelles hypothèses de travaux l'assurance obligatoire couvrira les existants, et ce quels que soient ces existants ! Ensuite, le fait d'introduire un III, dernière un II qui visait lui-même uniquement la construction d'un ouvrage ajoutait à l'idée que le nouveau texte ne traitait que des hypothèses de construction d'un ouvrage sur existant, et pas celles de travaux de simples installation d'un élément dissociable.

 

C'est pour cela que deux autres amendements ont été présentés devant le Sénat. Hélas, le texte adopté ne me paraît pas non plus être des mieux rédigés. Que l'on en juge ! Suite aux critiques suscitées par le texte adopté en Assemblée nationale, les sénateurs ont finalement opté non plus pour l'ajout d'un III à l'article L 243-1-1 du code des assurances mais par la modification du II. On se souvient que c'est ce II que la Cour de cassation avait jugé inapplicable à de simples travaux d'installation d'éléments dissociables sur existants aux motifs que, précisément, ce II ne vise actuellement littéralement que les cas de construction d'un "ouvrage". Les sénateurs ont donc choisi d'opérer deux modifications pour élargir les exclusions de l'assurance obligatoire. La première a été de remplacer la proposition "ces assurances obligatoires", qui renvoyait par incise aux textes précédents visant la construction d'un ouvrage, par "Les assurances obligatoires mentionnées aux articles L 241-1, L 241-2 et L 242-1".

 

La seconde a été de préciser que ces assurances "ne sont pas applicables" à certaines hypothèses. Cette seconde idée était très bonne. Elle aurait dû amener à dissocier deux questions, à savoir celle d'une part des travaux entrant dans le champ d'application de l'assurance obligatoire et celle d'autre part, des dommages couverts. Mais finalement, la suite de l'article manque son objectif ! En effet, Le texte adopté n'est pas des plus clairs car il retient que : "Les assurances obligatoires mentionnées aux article L 241-1, L 241-2 et L 242-1 ne sont pas applicables et ne garantissent pas les dommages aux ouvrages ou aux éléments d'équipement existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux totalement incorporés dans l'ouvrage neuf".

 

Pris littéralement, l'article continue donc malheureusement à ne viser que l'hypothèse, d'ailleurs incongrue, d'une assurance obligatoire qui ne serait "pas applicable […] aux dommages causés aux éléments d'équipement existants" ! L'on conviendra que ceci n'a pas grand sens. Encore une fois, la question première n'est pas de savoir quels sont les désordres couverts en réalité, et surtout pas de préciser que les désordres causés aux éléments d'équipement déjà installés sont couverts ou non ! Elle consiste à savoir si en cas d'installation d'un élément d'équipement dissociable, les dommages causés à l'ensemble des existants (ouvrage ou élément d'équipement ancien) sont couverts par l'assurance construction.

 

Ainsi, si l'ambition du législateur est de restreindre les effets du courant jurisprudentiel développé depuis 2017, ce que le texte devrait viser, ce sont précisément les hypothèses appréhendées par la jurisprudence, à savoir les travaux d'installation , sur existant, d'éléments d'équipements nouveaux ! En réalité la confusion me semble venir du fait que les modifications proposées ne parviennent pas à distinguer encore clairement entre, d'un côté, les travaux entrant dans le champ d'application de l'assurance obligatoire, c'est-à-dire, pour schématiser, les cas où l'assurance devra être souscrite, et d'autre part, les dommages qui seront couverts ou non, lorsqu'une telle assurance aura dû être souscrite. Il s'agit de deux questions bien distinctes. Or, pris littéralement, en l'état actuel des débats, le texte n'écarte pas directement l'obligation d'assurance en cas de travaux d'installation d'un élément d'équipement dissociable. Il dit simplement que l'assurance n'est pas applicable et ne garantit pas "les dommages aux élément d'équipement existants". Rien n'est donc moins certain que l'article ainsi voté puisse avoir en l'état actuel une grande efficacité pour contrer les solutions jurisprudentielles visées.

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